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Réforme fiscale et des pensions avant l’été: la Vivaldi va-t-elle (enfin) aboutir sur un grand dossier ?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le gouvernement fédéral a bouclé son contrôle budgétaire, avec une promesse du Premier ministre: une réforme des pensions et une réforme fiscale pour l’été.

«Ce n’est pas un point final», clamait le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), voici une semaine, à la Chambre. Le gouvernement venait d’achever son contrôle budgétaire pour 2023 et 2024, au terme d’un traditionnel marathon de négociations. Ce n’est pas un point final, dans l’esprit du libéral, car l’attention est déjà portée sur les prochaines semaines. Il l’a annoncé, il se doit désormais de mettre en œuvre son engagement: d’autres dossiers doivent atterrir avant l’été. Il s’agit, dans un premier temps, des négociations en cours avec Engie pour «sécuriser notre marché énergétique», puis de deux réformes que pratiquement tout le monde attend: la réforme des pensions et celle de la fiscalité. Le gouvernement travaillera sur ces deux gros morceaux dès après Pâques.

Que ces commentaires proviennent de l’opposition, de la majorité, des médias, des économistes et d’autres, le tableau qui est brossé de la Vivaldi tient souvent en une interrogation: où sont les grandes réformes annoncées? Alors qu’une année électorale se profile, les prochaines semaines sont désignées comme les dernières durant lesquelles le gouvernement peut étoffer son bilan de l’une ou l’autre réforme qui compte.

Au 16 rue de la Loi, cette petite musique irrite quelque peu. «Il ne faut pas sous- estimer ce qui a déjà été fait, rien que depuis le début de l’année», y rétorque- t-on. Et de citer l’accord sur la prolongation du nucléaire, la réforme de la facture d’énergie, l’accord sur l’accueil des demandeurs d’asile, mais aussi le «plan XXL» de lutte contre le trafic de drogue, annoncé l’an dernier. Du point de vue du cabinet De Croo, le récent contrôle budgétaire pour 2023 et 2024 s’inscrit dans ce continuum de «décisions fortes».

Un effort de 1,75 milliard

Le gouvernement fédéral s’en est félicité en fin de semaine dernière: il a consenti à un effort net de l’ordre de 1,75 milliard d’euros (0,3% du PIB), qui vient s’ajouter à l’effort de 3,6 milliards (0,6% du PIB) mis en œuvre lors de la confection du budget en octobre. Telle était la volonté d’Alexander De Croo et de la secrétaire d’Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD).

Du côté des dépenses, le gouvernement annonce des mesures d’économie pour 782 millions d’euros. Il s’agit en grande partie (374 millions) du rabotage de la quatrième tranche de revalorisation des pensions minimum et de la suppression de cette augmentation pour une série d’allocations. Le fédéral table encore sur cent millions d’euros sous-utilisés dans les soins de santé et sur nonante millions d’euros issus d’une série de mesures d’activation des demandeurs d’emploi, notamment.

Côté recettes, entre autres, une augmentation des accises sur le tabac, une réforme de la taxe sur les asbl, le plafond raboté de la mesure «zéro coti» (une aide aux premiers engagements dans les entreprises). Mais c’est l’impôt minimal sur les multinationales, censé rapporter 334 millions supplémentaires en 2024, qui représente la nouvelle recette la plus importante. Il s’agit de la mise en œuvre d’une taxe de 15% sur les bénéfices des multinationales ou filiales belges dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros.

Réforme des pensions: «Nous sommes prêts»

La suite du programme – la volonté de voir aboutir les réformes des pensions et de la fiscalité – est certes très attendue, mais ne sera pas épargnée de quelques écueils de taille. En substance, de beaux débats à venir entre les ailes gauche et droite de la Vivaldi.

La réforme des pensions ne devrait pas être insurmontable, laisse-t-on entendre au MR. Du côté de la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), on se dit prêt «depuis de nombreux mois déjà» à la mettre en œuvre. Après la revalorisation de la pension minimale, un nouveau paquet de mesures avait été validé par le gouvernement fédéral en juillet dernier, mais qui impliquait un surcoût budgétaire de 0,1% du PIB à l’horizon 2070, pour une réforme qui se devait d’être neutre budgétairement. Au cabinet de Karine Lalieux, on explique que les décisions du contrôle budgétaire ont précisément visé à assurer ce rééquilibrage.

En février dernier, elle dévoilait ses pistes pour une nouvelle phase de réforme: plafonnement du bonus pension en fonction du salaire, convergence entre les piliers de pension, convergence également entre les régimes des fonctionnaires, salariés et indépendants, réduction d’une série d’inégalités de genre, responsabilisation des entreprises dans l’emploi des seniors, accès à la pension anticipée sur la base de la durée de la carrière. Il était aussi question de permettre aux fonctionnaires en inaptitude physique de réintégrer un parcours professionnel sans être automatiquement mis à la pension après deux ans d’arrêt: cette question a été «réglée» lors du contrôle budgétaire.

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Réforme fiscale: valoriser le travail, un mantra

Dans la foulée du conclave, et cela risque d’être une autre paire de manches, le Premier ministre s’est engagé à faire aboutir une réforme fiscale avant l’été. Pas de big bang, mais une avancée sensible néanmoins, assortie d’une triple exigence, rappelle-t-on au 16: «Un: la réforme doit mieux valoriser l’emploi, notamment pour les bas et moyens salaires. Deux: il y a un objectif de compétitivité, avec une fiscalité attractive et des entreprises qui doivent pouvoir créer de l’emploi. Trois: la réforme ne peut pas avoir d’influence sur le budget.»

Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), dévoilait, début mars, son plan pour la première phase de réforme fiscale censée entrer en vigueur au 1er janvier 2024. Pour lui, la phase suivante devra s’intégrer dans les négociations pour la formation du futur gouvernement.

Parmi les mantras évoqués à l’occasion de ce plan: une augmentation des revenus nets de ceux qui travaillent, une simplification de la fiscalité, un glissement des charges sur le travail vers le patrimoine et la consommation, de la compétitivité, de la durabilité.

Exigences à droite, exigences à gauche

En dépit de la volonté d’Alexander De Croo, les libéraux ne sont pas les plus enthousiastes à l’idée de faire aboutir une grande réforme fiscale. Au MR, en particulier, on a répété à maintes reprises qu’une telle réforme, pour se produire, devait être assortie d’une nouvelle réforme du marché du travail. La priorité est une augmentation sensible du taux d’emploi, qui doit permettre un accroissement des recettes.

Le contrôle budgétaire a donné lieu à une série de décisions en la matière. Le vice-Premier ministre David Clarinval (MR) saluait d’ailleurs «l’amorce de réforme de marché du travail» mise en œuvre. Il s’agit de mesures d’activation: des allocations de chômage temporaire calculées sur 60% du salaire (au lieu de 65%), les frontières régionales ou linguistiques ne sont plus un motif valable pour refuser un emploi, la possibilité de remise au travail des fonctionnaires en inaptitude physique de longue durée, un contrôle accru des chômeurs, des critères élargis pour déterminer ce qu’est un «emploi convenable» pour les seniors, des dérogations accordées à partir de 55 ans (au lieu de 50 ans).

Il s’agit bien, confirme-t-on au MR, d’une «amorce». Autrement dit, une série de mesures prises dans le cadre d’un exercice budgétaire, mais rien de plus.

Dans les semaines à venir, les libéraux ne devraient pas lâcher l’affaire: les futures réformes devront être associées à d’ambitieuses mesures pour l’emploi, sans quoi il est fort possible que la réforme fiscale tant espérée n’aboutisse pas sous cette législature.

L’aile gauche du gouvernement fait bien de cette réforme fiscale une priorité, tant chez Ecolo qu’au PS. C’est même «la mission n°1 de nos ministres», avançait Jean-Marc Nollet dans Sudinfo, le 1er avril. Dans La Libre, Paul Magnette déclarait le même jour que, sans réforme fiscale, le gouvernement se trouverait «en état de mort clinique en juin».

En filigrane, le message délivré par le PS est le suivant: un effort a été consenti par les socialistes sur les dépenses lors du contrôle budgétaire, place aux recettes. Une réforme, de ce point de vue, passera par une fiscalité accrue sur les plus-values, sur le capital, sur les comptes-titres – le projet de Vincent Van Peteghem prévoyant un doublement de la taxe annuelle sur les comptes-titres.

Ce dernier, au passage, comptait sur l’impôt sur les multinationales pour contribuer au financement de sa réforme: ces 334 millions ont finalement été inclus dans le contrôle budgétaire. Mais sur une réforme fiscale dont l’assiette doit se chiffrer à six milliards d’euros, la disparition de cette recette-là reste plutôt marginale, relativise-t-on chez le Premier ministre.

Elle pourrait néanmoins renforcer l’âpreté des débats à venir, de traditionnels débats gauche-droite, lorsqu’il faudra s’entendre sur la confection des colonnes «up» et «down» lors des débats sur la réforme fiscale, dont le succès semble encore loin d’être garanti.

334

millions d’euros. C’est somme que devrait rapporter, en 2024, l’impôt minimal sur les multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros. Elle représente la nouvelle recette la plus importante. Inclue au contrôle budgétaire.

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