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Pour une circonscription fédérale: « C’est une question de légitimité démocratique »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’Open VLD a relancé l’idée d’une circonscription fédérale, qui permettrait aux électeurs de voter pour des candidats issus de tout le pays, mais aussi de désigner automatiquement des formateurs, donc de potentiels Premiers ministres. Eclairage avec Dave Sinardet, professeur de sciences politiques (VUB – université Saint-Louis)

Dave Sinardet, en 2007, les universitaires du groupe Pavia, dont vous faisiez partie, proposaient l’instauration d’une circonscription fédérale. L’idée n’est pas neuve, mais n’a jamais été appliquée…

Le débat a quand même évolué. Il y a vingt ans, lors de ma première publication défendant l’idée d’une circonscription fédérale, on voyait ses promoteurs comme des académiques dans leur tour d’ivoire, déconnectés de la rue de la Loi. Entre-temps, plusieurs partis l’ont insérée dans leur programme, des personnalités politiques, des intellectuels, des journalistes défendent l’idée. Pour autant, je ne suis pas sûr qu’elle sera mise en application. Cela devra se faire dans le cadre d’une réforme de l’Etat, nécessitant donc une majorité des deux tiers et une majorité dans chaque groupe linguistique. Certains partis sont pour, d’autres pas. La N-VA, par exemple, est clairement contre, sans oser le dire explicitement.

Pourquoi?

Il n’y a pas de vraie raison d’être contre et une bonne partie de l’opinion publique y est favorable. Donc, la N-VA dira publiquement qu’elle accepte l’idée à condition d’abolir les mécanismes de protection des francophones, comme la sonnette d’alarme, alors qu’elle sait très bien que les partis francophones ne l’accepteraient pas. Il y a cette idée, y compris pour le Vlaams Belang, que la circonscription fédérale est un projet probelge, qui va de pair avec la refédéralisation. Or, les deux débats sont distincts: on pourrait tout à fait instaurer une circonscription fédérale sans refédéraliser et vice versa. Certains autres partis sont en faveur pour des raisons idéologiques profédérales, comme les écologistes et les libéraux, qui sont aussi les familles où les partis sont encore les plus proches. Bien sûr, la position des partis dépend également d’un calcul, si cela peut leur rapporter ou coûter des voix, comme c’est le cas pour toutes les réformes électorales.

Dave Sinardet, politologue (VUB). © belga

Peut-on voir de l’intérêt électoral dans la proposition de l’Open VLD? Il se porte mal dans les sondages, mais Alexander De Croo est populaire au-delà de sa circonscription.

Oui et non. Je trouve cette vision réductrice. La circonscription fédérale sera sans doute profitable à des partis qui disposent de personnalités populaires au-delà d’une seule circonscription provinciale. En même temps, une telle réforme ne serait de toute façon pas appliquée avant les élections de 2029. C’est une éternité. Allez savoir où sera Alexander De Croo à ce moment, ou quelle figure politique peut émerger, dans n’importe quel parti. La circonscription fédérale pousserait en outre les politiques à se comporter différemment, en allant s’exprimer dans l’autre communauté. Aujourd’hui, par exemple, Georges-Louis Bouchez (MR) le fait beaucoup, Paul Magnette (PS) beaucoup moins.

N’y a-t-il pas un côté «Ve République» dans la proposition de l’Open VLD? L’électeur serait amené à élire directement le formateur, potentiellement Premier ministre.

Que le formateur soit le candidat le plus populaire de la liste la plus populaire est un principe inspiré des élections locales. Personnellement, je pense que vingt sièges issus de la circonscription fédérale, c’est trop peu. Je préconiserais quarante, par exemple, pour une meilleure assise. Avec vingt sièges, vous risquez d’avoir une figure très populaire dans la circonscription fédérale, mais un parti qui obtient très peu de sièges dans les autres circonscriptions. Par contre, lier la désignation du formateur à la circonscription fédérale est une façon d’y attirer les grands formats. Mais je préfère l’idée – moins rigide – du MR, qui considère que le Premier ministre doit être élu dans la circonscription fédérale, sans cette automaticité dans la désignation du formateur.

D’autant plus qu’un candidat du Vlaams Belang pourrait automatiquement devenir formateur.

Sans doute pas immédiatement, puisque les autres partis pourraient présenter des listes communes: MR/Open VLD, Ecolo/Groen, etc. Mais si on doit changer de formateur tous les mois, faute d’accord, un Tom Van Grieken (NDLR: président du Vlaams Belang) pourrait surgir au deuxième ou au troisième tour.

L’argument principal en faveur de la circonscription fédérale, c’est la légitimité démocratique.

Dave Sinardet

Une circonscription fédérale pourrait-elle aider à accélérer la formation des gouvernements?

Elle peut y contribuer, mais ce n’est pas un remède miracle. Il est vrai que si des partis se présentent ensemble aux élections, ils ont déjà un programme commun et peuvent rester liés lors des négociations, ça peut être un facilitateur. Mais l’argument principal de la circonscription fédérale, c’est la légitimité démocratique. Aujourd’hui, il y a un déficit démocratique. Un électeur ne peut pas exprimer un vote pour la moitié des partis qui l’ont gouverné au fédéral. Et les partis ne sont pas tenus de rendre des comptes à l’ensemble des électeurs qu’ils ont gouvernés. Personnellement, j’habite en province d’Anvers et en 2019, je n’ai pas pu m’exprimer par rapport au MR, qui a occupé le poste de Premier ministre pendant cinq ans. Ce sera pareil pour les francophones en 2024, envers l’Open VLD. C’est la conséquence de ce système à la belge de partis structurés sur la base linguistique.

Quels moyens permettraient d’accélérer la formation, selon vous?

Je dirais d’abord qu’il faut éviter de créer des obstacles supplémentaires, par exemple l’exigence d’une majorité dans chacun des groupes linguistiques. On pourrait aussi lever certains obstacles, en permettant notamment des gouvernements minoritaires, système qui fonctionne dans de nombreux pays et qui a la vertu de renforcer le rôle du Parlement. Dans d’autres pays, on s’adapte, on fait preuve de créativité. Une deadline est nécessaire aussi, même si ce n’est pas simple. Convoquer de nouvelles élections, comme en Espagne ou en Israël, n’est pas toujours couronné de succès. Même si certains la qualifient de populiste, je ne suis pas contre l’idée d’une dégressivité du financement des partis. Je pense aussi qu’on peut diminuer la composition des gouvernements en affaires courantes. Objectivement, sauf crise sanitaire par exemple, ils ont beaucoup moins de travail: faut-il maintenir en place vingt ministres et secrétaires d’Etat?

L’Open VLD propose de désigner automatiquement le formateur en fonction des résultats électoraux. Cela donne du pouvoir aux électeurs, mais en retire au Palais.

C’est un dommage collatéral. Je ne pense pas qu’il faille y voir une volonté politique de déposséder le Palais de ce qui reste, de fait, un de ses derniers pouvoirs politiques.

Il y a 35 ans déjà, le Premier ministre Wilfried Martens (CVP) évoquait à demi-mot la circonscription fédérale…

A l’époque, c’était une idée très marginale. A vrai dire, le sujet n’a jamais été très présent à la table des négociations, lors des réformes de l’Etat. La question est de savoir si un parti est disposé à en faire une véritable priorité dans le cadre d’une future réforme: «Si vous nous voulez à bord pour une réforme de l’Etat, alors vous devez accepter la circonscription fédérale.» Vu qu’avec la nécessité de majorités spéciales, et compte tenu du poids des partis radicaux, pratiquement chaque parti aura un droit de veto, celui qui en a fait une priorité pourrait menacer de ne pas monter à bord s’il n’obtient pas satisfaction.

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