« Le gros échec de la Vivaldi, c’est de ne pas avoir réussi à démontrer que la Belgique fédérale fonctionnait encore »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Alors que les vacances parlementaires se profilent, l’heure est au bilan pour la Vivaldi. L’année politique écoulée a été maigre en accords, mais riche en démissions. Plus que jamais, l’opposition a été pugnace et combative. Décryptage avec Caroline Sägesser, chargée de recherches au Crisp.

Comme un air de déjà-vu. En juillet 2022, l’année politique se soldait par un accord au forceps sur la réforme des pensions. Un an plus tard, l’épilogue de la Vivaldi, saison 3, est identique : lundi, les sept partenaires de la majorité ont accouché d’un nouveau texte régissant le système des retraites. Si le dénouement est le même, le scénario du film vivaldien 2022-2023 a tout de même apporté son lot de surprises et de spécificités. Caroline Sägesser, docteure en histoire et chargée de recherches au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), revient sur ces dix derniers mois politiquement intenses.

Quelles ont été les grandes victoires de la Vivaldi au cours de l’année écoulée ?

La victoire la plus évidente de la Vivaldi, c’est d’être toujours là. Les possibilités d’une chute du gouvernement ont régulièrement été agitées. Considéré à de maintes reprises comme étant en sursis, il tient finalement toujours debout. En termes de succès concrets, le gouvernement est récemment parvenu à deux accords – même si les commentateurs estiment qu’il n’y a pas de quoi pavoiser – à savoir le deal avec Engie et la réforme des pensions. La libération d’Olivier Vandecasteele en mai dernier, qui a été un véritable moment d’euphorie pour la diplomatie belge, aurait pu être considérée comme un succès mais a été rapidement gâchée par le scandale de l’octroi des visas au maire de Téhéran.
Donc hormis les deux accords cités plus haut, le bilan est maigre. On est face à un gouvernement qui a plus d’échecs ou de semi-échecs que de réelles victoires à son actif.

« La victoire la plus évidente de la Vivaldi, c’est d’être toujours là. »

Quels ont été ses plus grands échecs ?

Je crois qu’il y a un échec global de la part de ce gouvernement, qui devient de plus en plus patent à mesure qu’on se rapproche de l’échéance électorale : celui de n’avoir pas réussi ce pari de démontrer que la Belgique fédérale fonctionnait encore. Au vu du faible nombre de dossiers qui ont abouti à un accord, et des négociations chaotiques nécessaires à ces derniers, la Vivaldi n’est pas parvenue à faire taire les critiques – flamandes, surtout – qui estiment que la Belgique fédérale fonctionne mal ou tout simplement plus.

Quel ingrédient a-t-il manqué à la recette vivaldienne pour un bilan plus concluant ?

Ces écueils puisent leurs sources dans la genèse de la Vivaldi. Dès le départ, c’était un gouvernement de pis-aller. Il s’est mis en place au terme de près d’une année et demi de négociations, dans le contexte compliqué de la crise Covid. La situation d’urgence a permis la formation de ce gouvernement et de triompher des réticences du CD&V et de l’Open VLD d’entrer dans la majorité sans la N-VA. Mais, en dépit d’une ambition d’être volontariste, de faire de la politique autrement, la Vivaldi est restée prisonnière des conditions de sa naissance, c’est-à-dire d’un gouvernement mis en place faute de mieux.
D’autre part, je pense que l’accord de gouvernement n’a pas été suffisamment détaillé sur un certain nombre de points, notamment sur la réforme des pensions ou la réforme fiscale. Il aurait fallu une feuille de route plus claire.
Enfin, je pense qu’il y a eu une certaine erreur de casting et, par extenso, de mauvais rapports entre les membres du gouvernement fédéral et les présidents de parti. Le gouvernement De Croo a enfin permis d’atteindre la parité homme-femmes et un rajeunissement du personnel politique. Mais peut-être a-t-on nommé un nombre trop élevé de ministres qui n’avaient pas l’expérience du fédéral et qui ont tardé à prendre leurs marques. Ces personnalités moins expérimentées et moins flamboyantes ont, d’une part, rendu le travail ministériel plus difficile, et d’autre part, nourri les critiques externes, notamment de la part des présidents de parti. Souvent, on a eu l’impression que les différents membres de la Vivaldi n’étaient pas à 100% derrière l’action gouvernementale, ce qui l’a extrêmement fragilisée.

Cette année politique a également été marquée par de nombreuses démissions ou de retraits de la vie politique. Comment expliquer ce phénomène ?

Il faut distinguer deux motifs différents de démission. Au niveau fédéral, on peut d’abord citer les démissions de Sophie Wilmès (MR) et Meryame Kitir (Vooruit), justifiées par des raisons personnelles. Ces départs, selon moi, s’expliquent par un changement de regard sur la vie politique. A l’époque où il était Premier ministre, Jean-Luc Dehaene avait perdu une de ses petites filles, et personne n’en avait rien su. Aujourd’hui, l’époque a évolué et de manière globale, les politiciens, comme d’autres, cherchent à davantage rééquilibrer vie professionnelle et vie privée. Je ne pense pas qu’il y ait une explication genrée à ce phénomène. Je suis convaincue qu’aujourd’hui, un homme aurait pu tout autant démissionner, à l’instar de Sophie Wilmès, en raison de la maladie de son ou sa conjointe pour se consacrer davantage à sa famille.  
Ensuite, il y a eu les démissions d’Eva De Bleeker (Open VLD) et de Sarah Schlitz (Ecolo), et les quasi-démissions d’Hadja Lahbib (MR) ou Petra De Sutter (Groen). Ces départs ont été causés par des manquements épinglés par le Parlement. Le manque d’expérience du jeu politique et l’encadrement pas toujours suffisant au sein des cabinets ont peut-être précipité leurs démissions. Mais il faut surtout souligner la pugnacité des parlementaires, qui ont débusqué des erreurs et qui ont mis sur le gril ces membres de l’exécutif. Dans l’opposition, la N-VA a particulièrement été efficace et constructive.

Alors que leur rôle a été diminué au cours de la pandémie, peut-on parler d’une reconquête du pouvoir des parlementaires depuis 2022 ?

Il est certain que les enceintes parlementaires reprennent du poil de la bête. De manière générale, les parlements ont perdu de leur pouvoir sur le plan législatif ces dernières années, car les gouvernements étant des coalitions de plus en plus larges, il faut bétonner le contenu des accords très tôt, ce qui laisse peu de marge de manœuvre aux parlementaires pour rejeter ou amender les textes proposés. Par contre, les autres fonctions du parlement sont devenues plus importantes, notamment le rôle de contrôle du gouvernement. Cette année, les parlementaires ont mis les ministres devant leurs responsabilités, ce qui a conduit à des démissions. Les commissions d’enquête prennent aussi de plus en plus d’importance. Les parlementaires jouent également leur rôle dans le cadre des nominations, par exemple à la Cour Constitutionnelle. Tous ces dossiers ont mis davantage en lumière l’action des élus.

L’année politique a également été marquée par certains scandales à répétition, et une remise en question des privilèges des mandataires politiques.

Tout à fait. Comme dit plus haut, les parlementaires ont repris de l’importance. Ils ont forcé les ministres à prendre leurs responsabilités. Mais les parlementaires ont eux aussi été contraints de prendre leurs responsabilités. Entre l’épisode des pensions et des voyages aux frais du contribuable, il y a toute une série de scandales financiers qui sont venus décrédibiliser leur image et qui les ont fait apparaître comme une caste de privilégiés. Ceci s’explique notamment par le nombre d’élus d’extrême-gauche (du PTB) le plus élevé depuis 1947, qui mettent beaucoup l’accent sur ces privilèges des élus.

Quels sont les autres faits marquants de l’année politique 2022-2023 ?

Tout d’abord, il faut déplorer le faible impact de la concertation sociale malgré la crise chez Delhaize, notamment. Ce gouvernement semble impuissant à restaurer un climat de confiance entre les interlocuteurs sociaux. Ensuite, il faut souligner la montée en puissance des questions climatiques, qui révèlent encore la difficulté de faire fonctionner notre Belgique fédérale, en raison des réticences de la Flandre à souscrire à une position commune. Enfin, l’année a été marquée par une nouvelle progression dans les sondages de l’extrême-droite. Cela fait partie des épées de Damoclès qui pèsent sur l’avenir du gouvernement fédéral et de la Belgique toute entière.

« A partir de la rentrée de septembre, il faut s’attendre à un gouvernement quasi en affaires courantes. »

Comment présager l’année politique à venir ? Au vu du méga-scrutin de juin 2024, peut-on s’attendre à de réelles avancées ?

Non, on va se trouver dans une situation de stand-by, encore plus importante que d’habitude car on sent bien que la confiance entre les partenaires n’est pas au beau fixe. Si ce gouvernement n’a pas réussi en deux ans et demi à s’accorder sur certaines réformes (fiscale et budgétaire, notamment), il y a peu de chances qu’il y arrive de façon magique dans les mois à venir. Surtout qu’à l’approche de l’échéance électorale, il sera de plus en plus difficile pour les partis de justifier un compromis aux yeux de leur électorat. Il faut s’attendre à un gouvernement quasi en affaires courantes à partir de la rentrée.

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