Dewael Tommelein
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L’amitié en politique : Patrick Dewael l’impulsif et Bart Tommelein le prudent, les deux font la paire

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les deux libéraux flamands ont vite appris à faire bien plus qu’ami-ami. Entre l’ancien ministre Patrick Dewael et son ex-porte-parole Bart Tommelein, devenu aussi ministre et actuel maïeur d’Ostende, c’est le mariage épanoui d’une prudence et d’une impulsivité.

En somme, tout a commencé par une petite annonce. «Ministre-président flamand cherche, urgemment, conseiller pour diriger cellule com», pas sérieux s’abstenir. En 1999, Patrick Dewael, libéral au long cours, accède, à 44 ans, à la tête d’un gouvernement flamand. Une consécration politique qui exige de savoir bien s’entourer, notamment dans l’exercice d’une fonction ministérielle très exposée au regard extérieur.

De la prospection de la perle rare émerge un nom, glissé dans le tuyau de l’oreille présidentielle sur recommandation des libéraux d’Ostende qui ont appris à connaître un certain Bart Tommelein, diplômé en communication, 37 ans, qui navigue aisément dans les eaux bleues. Un rapide coup d’œil sur le CV mentionne un passé Volksunie à la présidence des jeunes du parti, puis un retrait de la politique en 1991 pour une conversion plutôt bien réussie dans le monde bancaire. Rien de sulfureux ni d’incompatible, rien qui empêche une manœuvre d’approche. «Je ne connaissais pas Bart Tommelein, il n’ était pas un ami d’enfance, ni d’école ou d’université», raconte Patrick Dewael. Le courtisé, lui, se rappelle avoir vaguement approché le ténor libéral au hasard de l’une ou l’autre fête de nature protocolaire, il se souvient aussi «avoir ouvert une agence à Tongres, dont Patrick est le bourgmestre». De vagues contacts qui ne l’empêchent pas de se tâter avant d’accepter l’offre d’intégrer l’équipe ministérielle.

L’ AMITIÉ SELON PATRICK DEWAEL – «L’amitié, c’est savoir prendre le temps de nouer une relation privilégiée que l’on a toujours envie de prolonger. Les gens avec qui ces moments sont possibles sont rares et précieux. Bart en fera partie, toujours.

Entrée en matière remarquée

On y réfléchit à deux fois avant de tourner le dos à une carrière prometteuse dans le monde bancaire. «Je venais de mener à bien le rachat d’Anhyp par Axa. Je trouvais que le moment était venu de changer d’horizon mais ce que l’ on me proposait n’était pas une progression dans ma carrière, plutôt un recul, notamment financier.» Après avoir «consulté», Bart Tommelein opte pour le grand saut. L’ opportunité, lui assure-t-on, est trop belle à saisir si l’on ambitionne de devenir, à terme, chef de file des libéraux en Flandre-Occidentale. «Faire de la politique, c’est un rêve de gosse», justifie l’Ostendais.

Affaire conclue, rendez-vous est pris pour un premier contact au cabinet du nouveau chef du gouvernement flamand, place des Martyrs, à Bruxelles. Pour une entrée en matière, elle est plutôt remarquée. «J’ entre dans le bureau du ministre-président entouré de ses conseillers et j’y vais d’un grand « bonjour Patrick! »», se souvient en souriant le nouveau promu. Cette entorse sonore aux convenances laisse l’assistance visiblement décontenancée. Après-coup, Patrick Dewael confiera avoir été perturbé, sinon quelque peu dérangé, par cet accès précoce de familiarité. Le ton est donné, il faudra se frotter au «style Tommelein» et s’y faire… ou pas. Car l’homme n’est pas du genre à faire tapisserie ni des ronds de jambe. «J’ai du mal à jouer un rôle. Il faut me prendre comme je suis. Avec moi, ça doit « cliquer » immédiatement

L’ AMITIÉ SELON BART TOMMELEIN – «Je me suis fait des vrais amis en politique, en qui vous pouvez avoir entière confiance et avec qui vous pouvez être vous-même, disponibles en cas de coup dur. Mais Patrick y occupe une place particulière, la relation est très intense.

Et ça «clique» plutôt pas mal. «Bart était dispo, ouvert», se souvient le patron des lieux. Son communicant se déploie, ne tarde pas à englober dans son champ d’action la fonction de porte-parole, marque son territoire. «J’avais un bureau au 2e étage de la ministre-présidence, mais la plupart du temps, j’ étais dans celui du ministre.»

Bienvenue dans l’univers souvent impitoyable de la com et des relations parfois compliquées avec la presse en attendant l’irruption des réseaux sociaux et le fol emballement de l’information. Bart Tommelein s’y sent comme un poisson dans l’eau, excelle dans le rôle de chef d’orchestre et le ministre-président apprend vite à apprécier le savoir-faire de «ce vrai networker, très bon organisateur». Le conseiller ne dément pas: «J’ai cinq enfants, j’ai été scout. Le team spirit, c’est important chez moi. Un réseau, c’est savoir recevoir mais aussi donner.»

Choc des tempéraments

La tâche n’est pas de tout repos: il s’ agit de «vendre» le ministre-président urbi et orbi, quitte pour cela à devoir le bousculer, à l’obliger à se faire violence lorsqu’il rechigne, freine, aimerait plutôt rester sur la réserve. Télescopage de deux logiques qu’il faut concilier, de deux tempéraments qu’il s’agit d’accommoder. «Je suis d’une nature plus prudente, concède Patrick Dewael. Je suis quelqu’un qui aime vérifier les choses, prendre du recul, analyser en profondeur, peser le pour et le contre.» «Je suis un impulsif, un réactif, quelqu’un qui pense aussi avec ses tripes, répond Bart Tommelein. La communication, la presse, je la sens. La grande différence entre nous, c’est que je prends des risques. Vous savez, mon totem scout est « buse téméraire ».» Tout un programme.

Bart Tommelein
Bart Tommelein © photo news

Mieux vaut, quand on est ministre, pouvoir faire face, monter sur le ring pour mieux amortir les coups que l’on peut se prendre. Il faut aussi savoir donner aux journalistes un os à ronger quand les circonstances s’assombrissent ou lorsqu’un dossier ou un accord tarde dangereusement à se boucler. «Patrick, tu dois te montrer à la presse, ne fût-ce que quelques minutes», lui adjure souvent son communicant. Patrick Dewael n’est pas facile à convaincre, sauf que face à lui, admet-il, «j’avais quelqu’un qui sait vraiment se montrer convaincant, un fonceur». La confrontation ne se fait pas sans étincelles et «buse téméraire» a parfois fort à faire pour emporter la partie. Il connaît aussi les lignes rouges que son patron n’ est guère disposé à franchir: «Autant Patrick se sent à l’aise dans un débat politique à la télévision, comme les émissions Terzake ou De zevende dag, autant devoir se produire dans un talkshow comme De laatste show ou participer au Slimste mens représente pour lui une catastrophe. Il ne se sent pas à l’aise quand il faut aborder des facettes de la vie privée sur un plateau télé et il ne veut pas perdre au jeu…»

Bart est un esprit très ouvert, il a toujours le sourire aux lèvres. Chez lui, « optimism is a moral duty ». Cet optimisme constant m’a toujours surpris.» – Patrick Dewael

Il est impératif d’ avoir l’œil sur tout, de saisir la balle au bond, ainsi lors de cette escapade officielle au tournoi de Roland-Garros, en 2001, pour suivre la demi-finale belgo-belge Kim Clijsters-Justine Henin. «Nous apprenons que Rudy Demotte, ministre des Sports à la Communauté française, serait présent au match. Il fallait que du côté du gouvernement flamand, on soit aussi représenté. Problème, notre ministre des Sports, Bert Anciaux, n’était pas disponible. Ni une ni deux, Patrick décide de s’y rendre, on prend le Thalys pour Paris. Mais sur place, les médias français m’ ont pris pour le ministre-président flamand, et c’est moi qui étais filmé ou photographié en tribune», raconte un Tommelein goguenard. Cela fait des souvenirs, de ces moments de franche rigolade qui rapprochent et qui soudent.

Le duo ne se cherche pas longtemps, il puise sa force et forge sa solidité dans sa complémentarité. Le tandem s’emploie à faire souffler un vent nouveau sur l’image quelque peu racrapotée que la Flandre se donnait jusque-là. Ainsi dépoussière-t-il la fête flamande du 11 juillet pour, insiste Patrick Dewael, «en faire un rendez-vous festif, populaire».

Témoins de mariages mutuels

L’association momentanée entre un ministre et son porte-voix se transforme en une relation plus fusionnelle, d’autant que Patrick Dewael et Bart Tommelein se découvrent un point commun: la solitude leur pèse, comme le confesse Bart Tommelein. «Je n’ aime pas être seul, j’ ai toujours besoin de contacts. Patrick est comme moi, il veut tout le temps être accompagné, notamment au resto où il fallait toujours que j’ aille avec lui.» A ce rythme-là, la relation monte dans les tours, gagne en intensité, en intimité aussi. «De bons copains, nous sommes devenus des amis capables de parler de beaucoup de choses qui relèvent de la vie privée. Pouvoir partager ses problèmes plus personnels avec quelqu’un n’est pas évident dans le cadre d’un cabinet ministériel, exprime Patrick Dewael. Bart n’était pas uniquement là pour me donner des renseignements d’ordre technique mais aussi pour me dire: « là, tu dois y aller ». On a rapidement compris qu’on était très proches.» Un ministre a ses fragilités, des plaies à soigner, des états d’âme à canaliser, une pression omniprésente à soulager. Pouvoir compter sur un confident qui vous épaule ou vous requinque en cas de défaillance ou de coup de mou, ça n’a pas de prix. «Bart est un esprit très ouvert, il a toujours le sourire aux lèvres. Chez lui, « optimism is a moral duty ». Et cet optimisme constant m’a toujours surpris.»

Je ne prends jamais une décision importante sans en parler à Patrick et je pense que c’est aussi son cas. On s’est toujours soutenus mutuellement dans nos carrières.» – Bart Tommelein

La politique peut être aussi briseuse de ménage, les deux complices en ont fait l’expérience. «J’étais marié au gouvernement, à son ministre-président, à la politique en général», confie Bart Tommelein. Son premier couple n’y résiste pas et lorsqu’il se remarie, en 2009, avec Sarah, une ancienne collaboratrice, c’est Patrick Dewael qui est son témoin. A charge de revanche… Dix ans plus tard, inversion des rôles: c’est l’ex-porte-parole qui officie au côté de Patrick Dewael lorsque celui-ci convole pour la seconde fois en justes noces avec Greet, une journaliste.

Passer par les mêmes épreuves sentimentales, ça rapproche. Carburer au même amour du vélo aussi. Cette passion commune pour la «petite reine» les conduit à deux reprises à refaire, le lendemain de la course des pros, l’une ou l’autre étape du Tour de France lors des éditions de 2002 et 2003. L’ occasion de se frotter stoïquement au mont Ventoux et à l’Alpe d’Huez, quand d’ordinaire ils pédalent au plat pays, sur leurs terres respectives, limbourgeoises pour Patrick Dewael, west-flandriennes pour Bart Tommelein, au sein de leur club cycliste local. Des terroirs éloignés mais dans lesquels, là encore, le duo a puisé des affinités. «Nous venons de deux provinces périphériques par rapport au Brabant flamand et à Anvers. Mais c’est bien connu, les extrêmes se touchent et se rejoignent toujours», relève Patrick Dewael. Au Limbourg comme en Flandre-Ocidentale, on sait ce que se serrer les coudes signifie, ce que s’ ouvrir aux autres peut avoir de précieux, on y ressent le besoin de se battre pour exister face aux grandes villes, Anvers et Gand, qui captent volontiers la lumière.

Patrick Dewael
Patrick Dewael © belga image

Toujours le patron

2003, année électorale, celle de la séparation de corps. Alors que le numero uno du gouvernement flamand choisit de migrer au fédéral pour prendre le portefeuille de l’Intérieur au sein du gouvernement dirigé par un autre proche, Guy Verhofstadt, le conseiller en com décide de réaliser son rêve de gosse, de tâter lui-même de l’arène parlementaire, à partir d’un tremplin idéal. «Travailler aux côtés du ministre-président me donnait l’opportunité de me relancer en politique.» Une objection, patron? «Patrick pouvait être animé d’un double sentiment: soit vouloir retenir auprès de lui un talent, soit le laisser prendre son envol. Il m’a soutenu, encouragé dans ma décision.» Le boss ne lui fait pas grief de cette infidélité. «J’ai toujours dit à mes collaborateurs qu’ils devaient y aller, qu’ils devaient concrétiser leur ambitions si tel était leur souhait», assure Patrick Dewael. Bart Tommelein ne fait pas exception. Gratifié d’une place de combat sur la liste Open VLD de la Chambre en Flandre-Occidentale, il arrache un siège inespéré. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître.

Pouvoir partager ses problèmes plus personnels avec quelqu’un n’est pas évident dans le cadre d’un cabinet ministériel. Bart n’était pas uniquement là pour me donner des renseignements d’ordre technique.» – Patrick Dewael

Mais le nouveau député n’oublie pas qu’il a été porte-parole et se plaît à le rester. «Ma succession à cette fonction était difficile. Entre 2003 et 2007, j’ai pu cumuler mon poste de parlementaire, qui me laissait un peu de temps libre, avec celui de conseiller officieux de Patrick, qui était alors à l’Intérieur.» Un pépin? Bart n’est jamais loin et Patrick Dewael sait qu’il peut toujours faire appel à l’ équipe. «Patrick restera toujours mon patron et je crois qu’il entend aussi un peu le rester», relève Bart Tommelein en riant.

Député fédéral puis régional, sénateur, chef de groupe au parlement flamand et au Sénat, enfin la carrière ministérielle qui s’ ouvre au fédéral avec un poste de secrétaire d’Etat à la mer du Nord et à la Lutte contre la fraude sociale (2014-2016) puis à l’échelon flamand avec la lourde charge des Finances, du Budget et de l’Energie (2016-2018). Tommelein gagne du galon, gravit les échelons, sous le regard non dépourvu de fierté de son ancien chef qui, lui, s’est un temps reconverti en président de la Chambre et officie toujours au Parlement fédéral. «Voir réussir en politique quelqu’un qui vous est proche est évidemment un motif de satisfaction personnelle», confie Patrick Dewael qui doutait d’ailleurs peu de la capacité de son ancien conseiller à s’imposer dans la cour des grands. «Bart n’ est pas l’orateur le plus talentueux ni un tribun, mais il a un profil de coach qui inspire confiance. La devise « plus est en vous » (NDLR: celle du diplomate bourguignon du XVe siècle Louis de Gruuthuse) lui colle bien.»

L’évolution institutionnelle du pays est ainsi faite que tout devient plus cloisonné entre niveaux de pouvoir et qu’on s’y perd davantage de vue. «On se voyait toutes les semaines, c’est moins le cas à présent», constate Patrick Dewael. Les agendas chargés sont là pour contrarier les moments passés ensemble. Surtout que Bart Tommelein se donne pleinement à sa priorité, sa passion: Ostende, dont il est le bourgmestre depuis janvier 2019, «ma ville et mes habitants, c’est le plus important pour moi aujourd’hui, à part ma famille». Pas jaloux de la reine des plages pour deux sous, Patrick Dewael, lorsqu’il est à Knokke, son port d’attache au littoral, n’hésite pas à gagner Ostende le temps des retrouvailles et d’un minitrip à vélo.

Je n’aime pas être seul, j’ai toujours besoin de contacts. Patrick est comme moi, il veut tout le temps être accompagné.» – Bart Tommelein

Et puis, le portable, la tablette, ça efface les distances et entretient ce qui fait aux yeux de Bart Tommelein la clé d’une relation de vingt ans: «La concertation. Toujours. C’est devenu un réflexe: avant et après chaque grosse réunion, on passe un coup de fil pour la préparer ou la débriefer. On fait la check-list. Je ne prends jamais une décision importante sans en parler à Patrick et je pense que c’est aussi son cas. On s’est toujours soutenus mutuellement dans nos carrières, on partage les mêmes goûts, la même idéologie, nous sommes des hommes du centre, des libéraux d’ouverture. Et on a tellement ri ensemble.» Que du bonheur.

Un moment de solidité

2006, Patrick Dewael est un ministre de l’Intérieur dans l’ embarras, aux prises, notamment, avec le dossier Fehriye Erdal, militante d’extrême gauche accusée d’ assassinat, réfugiée en Belgique, que réclame le régime turc mais qui échappe à la vigilance de la Sûreté de l’Etat pour s’ évanouir dans la nature. «Allô Bart, j’ai un problème. Tu peux venir?» L’ ex-conseiller en com, en plein déménagement à Ostende, lâche ses cartons pour rappliquer dare-dare à Bruxelles et échafauder une parade médiatique pour son ancien patron.

Un moment de tension

Eté 2002, une nuit pénible, le gouvernement flamand doit gérer le départ du ministre de la Culture, Bert Anciaux (Spirit). Patrick Dewael a donné la consigne: «Bart, pas de communication à la presse!» En pleine crise, il rentre dans son bureau pour y découvrir des caméras déployées avec les journalistes qui patientent. «Tout le monde dehors!», s’ emporte le ministre-président alors que son conseiller tente de le convaincre de dire au moins quelque chose. «Je n’ étais pas d’humeur à faire preuve de souplesse», se souvient Dewael.

Le sujet sur lequel ils ne tomberont jamais d’accord

L’un et l’autre ne se trouvent pas de motif de désaccord sérieux. Tout au plus une sensibilité un peu différente, héritage de leur passé familial. Patrick Dewael, petit-fils d’un ministre libéral, Arthur Vanderpoorten, mort en camp de concentration, «est un enfant de la Résistance. Moi, un petit-fils de collaborateur», confie Bart Tommelein. «Je suis issu d’un milieu familial plus belgiciste», prolonge Patrick Dewael. «Ce qui explique que Patrick reste plus connecté sur la politique fédérale», reprend Tommelein, «j’ai des origines flamingantes, je suis régionaliste, mais je n’ai rien contre la Belgique. Patrick et moi sommes convaincus que si l’on doit apprendre du passé, seul compte le futur.»

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