Petra De Sutter
Petra De Sutter

Il n’y a pas qu’au cabinet De Sutter qu’il y a du personnel détaché: le point ministre par ministre

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le personnel détaché dans les cabinets est une formule pratique, mais délicate. Combien sont-ils? Par qui sont-ils payés? Le Vif fait le point, ministre par ministre.

Du personnel détaché dans les cabinets ? La définition est claire : « Détacher : dégager quelque chose ou quelqu’un ; écarter, séparer, éloigner. » C’est bien de cette nuance qu’est née la polémique, il y a quelques jours, à propos de la présence active, au sein du cabinet fédéral des entreprises publiques, de deux collaborateurs attachés à bpost et toujours payés par elle. Ces deux collaborateurs étaient-ils vraiment « dégagés » de leur postal employeur ? En étaient-ils « séparés » alors que leur rémunération venait toujours de là ?

Personnel détaché : risque de conflit d’intérêt évident

La question de principe est en tout cas posée car la situation suscite le soupçon. Ces collaborateurs intégrés au cabinet pouvaient-ils traiter de sujets relatifs à Bpost en gardant la hauteur de vue nécessaire ? Le risque de conflit d’intérêt est en tout cas évident, même s’il n’est pas avéré. La ministre de tutelle Petra De Sutter a d’ailleurs reconnu qu’il s’agissait d’un héritage du passé, qu’elle aurait dû y mettre fin et que ne pas l’avoir fait revenait à commettre une faute. Dans la foulée, les deux collaborateurs en question ont réintégré leurs bureaux de Bpost. Ils n’étaient, dit-on, plus crédibles.

La ministre a assuré au Parlement qu’elle souhaitait une modification de l’arrêté royal relatif au  détachement de collaborateurs depuis les entreprises publiques. Objectif : rendre la chose impossible si cet appoint de personnel provient d’entreprises cotées en Bourse. Pour l’heure, la situation ne se présente plus dans aucun cabinet fédéral. La mesure sera donc d’application lors des prochaines législatures.

Que dit la loi sur le sujet ? Que la rémunération du personnel détaché reste de la compétence du service public fédéral (SPF) « si ce personnel appartient à un service public fédéral, une institution publique de sécurité sociale, un organisme d’intérêt public fédéral ou un établissement scientifique de l’Etat. Leur employeur continue à payer leur traitement sans que celui-ci ne soit compensé par le ministre ou le secrétaire d’Etat ». Que la SNCB paie un chauffeur exerçant au sein du cabinet de la Mobilité n’est donc, sur papier, pas un problème. « Depuis 2019, les budgets des cabinets ont été fixés à 70 % de l’enveloppe disponible lors de la précédente législature », rappelle un porte-parole ministériel. Il n’est donc pas très étonnant que les cabinets – ou cellules stratégiques – se remplissent largement de personnel qualifié venu d’organismes publics et autres administrations fédérales. Leur rémunération n’est pas supportée par les finances du gouvernement fédéral. Les différents ministres peuvent toutefois verser une prime de cabinet supplémentaire aux collaborateurs venus temporairement travailler pour eux.

Les autres collaborateurs des cabinets ministériels, qu’ils proviennent d’autres niveaux de pouvoir (Régions, Communautés, Commissions communautaires…) ou d’ailleurs, sont en revanche à charge du budget de chaque ministre.

Cliquez sur chaque ministre pour voir ce qu’il en est pour son cabinet.

Cabinet du Premier ministre Alexander De Croo

Sur 44 membres du cabinet, tous ne travaillant pas à temps plein, 26 sont du personnel détaché. Toutes les personnes détachées sont fonctionnaires, donc payées par l’État.

Cabinet du ministre des Finances Vincent Van Peteghem

Sur les 64 personnes travaillant au sein de ce cabinet, 45 sont détachées. Une seule, parmi ceux-ci, provient de l’administration flamande et est intégralement payée par le cabinet.

Cabinet du ministre de la Santé publique et des Affaires sociales Frank Vandenbroucke

Il y a 56 collaborateurs au sein de ce cabinet, parmi lesquels 26 sont détachés de services publics fédéraux, administrations, police judiciaire, AFMPS (agence fédérale des médicaments et des produits de santé) et autre Inami. Un employé, détaché de l’administration flamande, reçoit son salaire de son précédent employeur mais il est remboursé par le cabinet. Il perçoit également un complément de salaire.

Trois autres personnes, employées à temps partiel ou à temps plein, proviennent d’établissements d’enseignement supérieur (HOGent, KULeuven) et travaillent dans le cadre d’un accord de coopération. Leur salaire est remboursé par le cabinet de la Santé. L’un d’entre eux travaille comme conseiller sur la réforme des hôpitaux à hauteur de 80% et continue à enseigner à 20%. La KULeuven, qui paie l’intégralité de son salaire avant de se faire rembourser, ne récupère que 50% de ce coût salarial et non 80%. « Cela se passe ainsi à notre demande, précise la porte-parole du ministre de la Santé publique. Car nous ne disposons pas de ressources suffisantes pour rémunérer le professeur à hauteur de 80 % et son expertise est absolument essentielle pour élaborer la nécessaire réforme des hôpitaux. »

Un autre collaborateur est encore détaché du centre de recherches européen European Social Observatory, qui est « sans but lucratif », insiste la porte-parole. Son salaire de base est pris en charge par le cabinet, qui lui verse une prime complémentaire.

Le cabinet Vandenbroucke emploie aussi deux collaborateurs venus de Solidaris et dispensés de prestations afin qu’ils puissent y retourner en fin de législature. Le cabinet paie leurs salaires. Chez l’employeur d’origine, ils ont conservé leurs avantages extralégaux. Aucun d’entre eux n’est chargé des dossiers concernant le contrôle des mutuelles, assure-t-on au cabinet. Enfin, un collaborateur provient du réseau flamand des organisations de soins, Zorgnet-Icuro. Il y est dispensé de prestations. Le cabinet paie son salaire mais cette personne conserve, chez son employeur d’origine, ses avantages extralégaux et reçoit une compensation pour les conditions extra-légales qui ont été perdues en raison de la dispense de prestations.

Personnel détaché au cabinet du ministre de la Mobilité Georges Gilkinet

On y trouve 56 collaborateurs, dont 26 sont en détachement d’administrations ou d’organismes comme l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, Infrabel et la SNCB, la police fédérale, la Sûreté de l’Etat, ou Skeyes, ex-Belgocontrol, l’entreprise publique autonome belge chargée du contrôle du trafic aérien. Ce sont bien ces institutions qui assurent le paiement de ces membres du cabinet. Interpellé sur un possible conflit d’intérêt, dans le chef de cet employé de Skeyes, le ministre de la mobilité Georges Gilkinet a assuré que celui-ci n’avait pas participé aux négociations sur le contrat de gestion de Skeyes. Pour lui, il n’y a donc pas conflit d’intérêt. Une personne émanant de Bruxelles-Environnement perçoit son salaire de son ancien employeur mais celui-ci est remboursé par le cabinet.

Cabinet de la ministre de la Défense Ludivine Dedonder

Trente personnes travaillent pour ce département, dont 21 sont du personnel détaché : 19 sont payés par leur employeur d’origine et deux voient leur rémunération remboursée par le cabinet. Les 19 premiers proviennent de SPF (Défense, Affaires étrangères, Justice, Intérieur), les deux derniers de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la province du Hainaut.

Personnel détaché au cabinet de la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden

Sur 43 membres, le cabinet compte 29 collaborateurs détachés, dont 27 perçoivent leur traitement de leur administration d’origine et 2 (un fonctionnaire de l’administration flamande et un fonctionnaire de la police locale) sont à charge du cabinet.

Cabinet de la ministre des Pensions et de l’Intégration sociale Karine Lalieux

Sur les presque 39 personnes travaillant dans ce cabinet (en équivalents temps pleins), 14 sont en détachement. Elles proviennent soit de SPF, soit de la BNB (Banque nationale de Belgique), de la FSMA (autorité des services et marchés financiers) et de l’ONSS.

Les collaborateurs dont le salaire est remboursé par le cabinet travaillaient auparavant pour Bpost, Innoviris, l’organisme public qui finance et soutient la recherche et l’innovation en Région de Bruxelles-Capitale, et la Commission communautaire française.

Cabinet de la ministre du Climat et de l’Environnement Zakia Khattabi

Cette équipe compte au total 33 membres, dont 10 sont en détachement de SPF ou de l’OVAM (société publique flamande de gestion des déchets). Les salaires des fonctionnaires fédéraux sont payés par leur administration tandis que ceux des fonctionnaires provenant de l’OVAM sont intégralement payés par les crédits du cabinet.

Personnel détaché au cabinet du ministre des classes moyennes et des PME David Clarinval

Le cabinet Clarinval emploie 54 personnes : 31 sont détachées, dont 30 toujours payées par leur administration d’origine. Elles proviennent pour l’essentiel de SPF, mais aussi de la Capac, de l’Afsca ou de l’INASTI. Un agent de la province de Namur, d’où est originaire le ministre Clarinval, figure également dans l’équipe : son traitement est remboursé par le cabinet à la Province.

Cabinet du ministre de l’Emploi et de l’Economie Pierre-Yves Dermagne

Quelque 29 personnes proviennent d’administrations ou d’organismes publics (RTBF, ONEM, ONSS…) sur les 62 membres du cabinet Dermagne. Trois d’entre elles ont leur traitement intégralement payé par le cabinet.

Cabinet de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib

Sur les 40 membres de ce cabinet, 21 sont du personnel détaché et toujours payés par leur employeur d’origine. La plus grande partie d’entre eux – 15 – étaient auparavant attachés au SPF Affaires étrangères.

Personnel détaché au cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne

On compte dans cette cellule 41,5 personnes en détachement sur un total de 63 collaborateurs. Outre ceux qui étaient attachés au SPF Justice et à l’ordre judiciaire (magistrats du Parquet ou directeurs de prison par exemple), on y relève un collaborateur provenant de la province d’Anvers – son salaire est à charge du cabinet – et un autre de l’Office des étrangers.

Cabinet de la ministre des entreprises publiques, de la fonction publique, des télécommunications et de la poste Petra De Sutter

Sur les 46 personnes actives dans ce cabinet, 20 sont détachées (dont l’une, de l’UZGent, jusqu’au 15 mai seulement). Les autres proviennent de SPF, de l’IBPT, de l’Audit fédéral interne, de l’AFSCA, de l’OCAM et de la Régie des bâtiments.

Personnel détaché au cabinet de la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten

Dans cette équipe, 16 collaborateurs sur 27 sont des employés détachés. La majorité d’entre eux sont fournis par des SPF. On note un collaborateur venu de l’Afsca, un de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, un du Centre pour la cybersécurité Belgique, et un chauffeur payé par la SNCB mais son salaire est remboursé par le cabinet.

Cabinet de la ministre de la Coopération au développement Caroline Gennez

Sur les 24 collaborateurs recensés dans cette équipe, 8 sont en détachement depuis des SPF, depuis l’agence de développement du gouvernement fédéral belge (ENABEL) ou depuis l’administration flamande de l’environnement. Le salaire de ce dernier est à charge du cabinet.

Cabinet du secrétaire d’Etat à la relance et aux investissements stratégiques Thomas Dermine

Le cabinet Dermine est composé de 22 personnes (20 ETP) dont 11 détachés. Toutes proviennent de SPF.

Cabinet du secrétaire d’Etat à la digitalisation Mathieu Michel

C’est le cabinet qui compte le plus de personnel détaché avec une proportion de 19 collaborateurs détachés sur 21. Ils sont issus de SPF, de la police fédérale, de l’IBPT, de la Régie des bâtiments. Deux agents viennent également de la province du Brabant Wallon, terre d’origine du secrétaire d’Etat. Leur traitement est remboursé à la province.

Personnel détaché au cabinet de la secrétaire d’Etat au Budget Alexia Bertrand

Ce cabinet compte 22 collaborateurs dont 17 proviennent d’administrations.

Cabinet de la secrétaire d’Etat à l’égalité des chances Marie-Colline Leroy

Il y a 4 membres du personnel détachés au cabinet Leroy, sur un effectif total de 15 personnes. Tous proviennent de l’administration, notamment de l’Institut pour l’égalité femmes hommes.

Cabinet de la secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration Nicole De Moor

Quelque 17 des 25 membres de ce cabinet proviennent d’administrations publiques (Office des étrangers, Fedasil) et de SPF. Seul un travailleur attaché précédemment à l’administration flamande est payé par la cabinet. « Les diplomates proviennent toujours de l’administration, précise le cabinet : c’est le seul service dans notre pays qui peut entretenir des relations diplomatiques ».

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