Anne-Emmanuelle Bourgaux, professeure de droit et constitutionnaliste à l’UMons. © belga image

Elections: «Désormais, l’abstention est une question de pain»

Le Vif

Comment lutter contre l’abstentionnisme ? Que faire des votes blancs ? Il faut surtout redonner envie de participer au suffrage universel. le système de répartition des sièges aux communales ne suffit pas, selon la constitutionnaliste Anne-Emmanuelle Bourgaux.

Le contexte

Aucun système électoral n’est tout à fait proportionnel. C’est mathématique, il y a toujours des «voix perdues» qui ne permettent pas à une liste d’obtenir un siège supplémentaire. En Belgique, on a limité ce «gaspillage» en utilisant une clé de répartition des sièges: la clé D’Hondt, selon laquelle le nombre de voix obtenues par chaque liste est divisé successivement par 1, 2, 3, etc., ce qui donne des quotients par ordre décroissant jusqu’à concurrence du nombre de sièges à pourvoir. Mais aux communales, on utilise la clé Imperiali dont le premier diviseur est 2, ce qui favorise les listes ayant le plus de voix. Un citoyen de Rebecq, Dominique Parein, qui a suivi le cursus inter-universités en démocratie participative, a déposé une pétition au parlement de Wallonie pour abolir ce système et tenir enfin compte des votes non valables (blancs, nuls…) en leur attribuant des sièges vides. Un beau débat pour nos élus?

D’Hondt, Imperiali: des clés différentes pour les élections en Belgique, c’est justifié, voire légitime?

Cela mériterait d’être réévalué, d’autant qu’on a transféré ces matières aux Régions qui sont compétentes pour les élections communales et qui peuvent se distinguer l’une de l’autre. La clé D’Hondt, que la communauté germanophone a rétablie pour ses communales, est une particularité belge: c’est comme un joyau de la couronne. Elle donne de grandes garanties en matière de représentativité. Sans remettre ce joyau en question, la clé Imperiali en atténue fortement l’éclat.

La représentativité parfaite n’existe pas?

Les démocrates voudraient que si, et c’est logique. Mais cela ne peut jamais être tout à fait le cas, ne fût-ce que parce que les mineurs ne votent pas. Cela dit, on peut l’améliorer. Exemple: les étrangers non Européens ne sont pas vraiment représentés, ce qui pose problème surtout dans les communes bruxelloises où ils sont nombreux. On a, certes, introduit leur représentativité à l’échelon du scrutin communal, mais avec des règles différentes de celles appliquées aux Belges, comme le vote facultatif – pourquoi pas obligatoire? – qui est accordé à condition de remplir une déclaration d’engagement à des principes, à mon avis humiliante, inutile et encore plus exigeante que pour le roi quand il prête serment… Donc, oui, un débat sur la clé Imperiali et la représentativité me paraît opportun, surtout à l’heure où la défiance envers le politique est si grande.

L’abstentionnisme est plus développé dans les anciens bassins industriels wallons et à Bruxelles.

Ce débat poserait la question des votes blancs ou nuls. Ne faut-il pas leur accorder une visibilité?

Oui. La représentativité dépend non seulement du calcul de l’attribution des sièges et des critères d’attribution du droit de vote, mais aussi du statut accordé à ceux qui ne participent pas au scrutin ou s’abstiennent. Or, de scrutin en scrutin, l’abstentionnisme ne cesse d’augmenter. A fortiori lorsque le vote est obligatoire, il faut prendre cette abstention au sérieux, bien plus qu’on ne le fait actuellement. En fonction des études, si on intègre ceux qui n’ont pas le droit de vote et ceux qui s’abstiennent au sens large, on peut dire que la non-représentation se situe entre un cinquième et un quart de la population en âge de voter.

Comment prendre l’abstention au sérieux?

Il faudrait déjà distinguer les votes blancs des bulletins nuls, car le vote blanc est un positionnement politique qui reflète un certain malaise. Ensuite, réfléchir à ce qu’on fait des abstentions. On peut imaginer que ces voix dites «perdues» alimentent un pot qui permettrait d’attribuer des sièges à des citoyens tirés au sort, qui se seraient manifestés pour siéger. Au-delà de ça, si certains abstentionnistes considèrent que l’offre électorale qu’on leur présente n’est pas satisfaisante, d’autres ne croient plus du tout en la politique et ne sont, dès lors, pas convaincus par le tirage au sort. Laisser des sièges vides serait alors une autre option.

A deux ans des prochaines communales, il est encore possible d’avoir un débat qui débouche sur un résultat?

C’est toujours possible. Mais il faut surtout se concentrer, et ce, pour tous les scrutins, sur la question fondamentale: comment redonner envie de participer au suffrage universel? Lorsqu’on a accordé celui-ci, il y a un siècle, le Parti ouvrier belge (POB) disait que c’était pour lui une question de pain car il s’agissait d’une émancipation sociale. Aujourd’hui, les études montrent que l’abstentionnisme au sens large suit une logique socio-économique, en étant plus développé dans les anciens bassins industriels wallons et à Bruxelles. Le suffrage universel émancipateur est boudé par ceux-là mêmes qui auraient le plus besoin d’être représentés. Désormais, c’est l’abstention qui est une question de pain. Ce n’est pas seulement en abolissant la clé Imperiali qu’on y remédiera. Il faut aller plus loin. En réalisant un travail crédible et permanent sur la citoyenneté dans les écoles. En travaillant aussi dans les partis qui, malgré les moyens dont ils sont dotés, ne parviennent pas à avoir une offre électorale qui donne plus envie aux citoyens de venir voter positivement.

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