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« Cher Alexander »: quand le Père Fouettard et saint Nicolas écrivent à Alexander De Croo

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La nuit du 6 décembre, saint Nicolas et Père Fouettard sont passés chez Alexander De Croo, à Brakel. Sans y déposer joujoux ni bonbons, mais en lui laissant deux lettres secrètes de reproches et de conseils. Le Vif a pu se les procurer. Ils ne sont pas contents.

ÉPÎTRE DU SAINT NICOLAS

Cher Alexander,

Mardi matin, au pied de ta cheminée de Brakel, tu l’auras remarqué, il n’y avait rien. Tes petits souliers étaient vides, mais je ne les ai pas oubliés.

Cette fois, ce n’est pas ton papa qui m’a interdit de les remplir de chocolats et de mandarines, comme quand tu étais petit, que tu avais débranché la prise de son rasoir pendant qu’il faisait sa barbe, et qu’elle était restée coincée dedans.

Non, cette fois, c’est moi qui ai décidé de ne rien y mettre. J’y ai longtemps réfléchi, j’ai relu plusieurs fois la lettre que tu m’as envoyée cette année, c’est vrai qu’elle était très gentille, elle m’a même fait un peu de peine, surtout dans le passage où tu me demandes de t’apporter un accord d’Engie pour la prolongation des vieux réacteurs nucléaires dont elle ne voulait plus.

Mais tu ne mérites pas de cadeau.

Allez, franchement, tu trouves que tu as été sage cette année?

Regarde le dernier sondage: il place ton parti, celui de ton papa, celui qui fut le plus grand de Belgique, il y a une vingtaine d’années, à 9% des voix en Flandre. Tu n’as pas honte? Les séparatistes, ceux qui passent leur temps à faire croire que le Père Fouettard était un ramoneur et que c’est pour ça qu’on lui peint le visage en noir, et qui promettent la guerre civile chaque fois que je sors avec une mitre sans croix, sont même à 48% des voix.

Non, sérieusement, Alexander, tu ne méritais rien cette année.

Sérieusement, tu t’es vu, cette année? Parce que j’aime bien quand tu es onctueux et que tu m’envoies tes commandes par courrier, mais permets-moi quand même d’être un peu dur avec toi, là.

Après tout, c’est pour ton bien.

Tu avais promis aux Flamands qu’on baisserait leurs impôts et leur facture de chauffage, qu’on ferait travailler les femmes plus longtemps, qu’on embêterait les chômeurs wallons plus souvent.

Pourtant, les pensions n’ont presque pas été réformées, le marché du travail ne le sera pas plus qu’il ne l’a été l’an dernier, tu as repoussé les discussions sur la réforme fiscale au printemps prochain, alors que tout le monde est d’accord pour baisser la fiscalité sur les bas et moyens revenus, et le plafond des prix de l’énergie que tout le monde en Belgique, et presque tout le monde en Europe, réclame n’est pas près de s’appliquer.

La baisse de la TVA sur l’énergie et l’électricité? Les chèques? Le tarif social? Moi ça m’arrange, hein, ces mesures. Je me brûle moins en passant par les cheminées des pauvres. Et puis, on se salit moins, et ça montre que la couleur de la peau du Père Fouettard n’a rien à voir avec de la suie, et tout avec le racisme. Mais c’est cher toutes ces dringuelles, et ça énerve beaucoup les Flamands de droite, qui ne votent plus pour toi parce qu’ils trouvent qu’on fait trop de cadeaux aux pauvres, et ça embête beaucoup les Belges de gauche, qui n’ont jamais voté pour toi et qui ne risquent pas de le faire, parce qu’ils remarquent que les plus riches en profitent proportionnellement le plus.

Non, sérieusement, Alexander, tu ne méritais rien cette année.

En plus, le week-end passé, le dernier avant ma tournée des cheminées, tu t’es même fait piquer le dernier cadeau que j’aurais pu te faire. Depuis deux ans, maintenant tu sais que tu pourrais enfiler ce costume de superbelge qu’on t’avait préparé. Cette panoplie d’ennemi numéro un du grand méchant Vlaams Belang, avec cette cape noir-jaune-rouge, cette mèche fière dans les cheveux, ces épaules larges et ce regard confiant vers l’avenir qui aurait tellement fait craquer tous les parents de Flandre, effrayés par la haine que déverse le Belang. J’étais prêt à te le livrer, mais samedi, c’est un autre qui l’a pris.

Tu t’es même fait piquer le dernier cadeau que j’aurais pu te faire: le costume de superbelge qu’on t’avait préparé.

Le président d’un autre parti, qui a aussi des épaules larges, et dont les sondages rendent la mèche fière. Son parti y est à 16%, et, ça y est, il a expliqué que si les gens avaient peur du Vlaams Belang, c’était pour lui et seulement pour lui qu’ils devaient voter. Il a été vraiment très sage, c’est un malin, ce petit Conner. Bonne chance pour le rattraper d’ici à 2024 et lui repiquer ce déguisement.

Et puis, cette année encore, tu as continué à faire confiance à des gens qui ne le méritaient pas. Et il est trop tard maintenant. Ils t’ont marché sur les pieds, à peu près tous: le nouveau superbelge aux épaules larges, la petite antinucléaire à lunettes, le brun svelte avec son beau chien blanc qui n’aime pas les migrants, le philosophe de Charleroi… et surtout celui qui dit qu’il est plus libéral que toi, là, avec sa barbe dans laquelle aucun rasoir n’est coincé et son combat pour peindre la peau du Père Fouettard en noir. Je sais que tu as envie de lui mettre des baffes, et que tu es parfois tenté de le jeter hors de ton gouvernement.

Mais ce n’est plus le moment.

C’est trop tard.

Aujourd’hui, tous les Flamands, à cause de lui, croient que tu n’es pas de droite.

Si tu te débarrasses de lui, personne ne croira plus jamais que tu l’es. Tout est à peu près perdu, mais je compte sur toi pour finir tout ça dignement, et dans le calme.

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Merci beaucoup pour les bières pour le Père Fouettard et moi, et pour la carotte pour mon âne.

Peut-être à l’année prochaine.

SAINT NICOLAS

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ÉPÎTRE DU PÈRE FOUETTARD

Cher Alexander,

Il n’ose pas te le dire comme ça, mais le vieux était très en colère, la nuit du 6 décembre, en s’arrêtant devant ta cheminée. Il voulait même qu’on donne, pour toi, un martinet à ton père, comme la fois où tu avais retiré la prise, là, quand tu étais petit.

J’ai refusé, moi, ça ne m’amuse plus ces sanctions corporelles, pas que je sois devenu spécialement woke, mais j’ai dit que ce n’était pas de ta faute, qu’il fallait te laisser encore une chance, qu’il n’était pas trop tard, qu’il te restait encore un an et demi avant les élections et que si tu étais bien sage, il y avait moyen que tu sois récompensé, et que tu recommences à recevoir les si gros cadeaux qu’on te donnait quand tu étais ce petit écolier parfait que plein de Flamands aimaient tant.

Je lui ai dit ça et il s’est un peu calmé. Un peu trop même. Pour tout dire, il était même abattu, là, quand il t’a écrit cette lettre, alors j’ai vite rédigé celle-ci en cachette, pour te donner un peu de courage.

J’ai dit qu’il fallait te laisser encore une chance et que si tu étais bien sage, il y avait moyen que tu sois récompensé.

Saint Nicolas, il pense que tout est perdu pour toi, il dit que tu n’as plus aucune chance de rester en poste après les élections de 2024 et que penser le contraire, c’est comme croire au père Noël (tu sais comme il déteste ce sale copieur).

Il dit qu’il ne te reste plus qu’à te traîner jusqu’aux prochaines élections et à te trouver un truc à faire après 2024, dans la politique ou, de préférence, ailleurs.

Il faut dire que ce sondage RTL-Le Soir qui met le VLD à 9%, sept points derrière Vooruit, et qui est sorti trois jours avant notre tournée des cheminées, lui a mis le cœur en pièces. Le lendemain, il a presque pleuré quand il a vu qu’au congrès de Vooruit, Conner Rousseau t’avait piqué le dernier costume que tu pouvais enfiler, celui de champion du centre, de héros belge, dressant ses superpouvoirs de Flamand raisonnable contre le chaos que provoquerait un triomphe du Vlaams Belang en Flandre. Tu sais, il est toujours aussi cœur de beurre, il le devient même de plus en plus avec l’âge.

Mais moi, je suis encore jeune et vigoureux. Et je n’aime peut-être pas les sanctions corporelles, mais je suis quand même un bagarreur. Et puis, je t’aime bien.

Alors je pense que tu ne dois plus te laisser faire. Il te reste encore du temps pour faire des trucs.

Il te reste encore quelques possibilités de faire les trucs de droite que les Flamands qui avant votaient pour toi te réclament. Il y a cette réforme fiscale, pour laquelle tout le monde est d’accord, même les Wallons de gauche, pour baisser la fiscalité sur les bas et moyens salaires. Et puis, pourquoi ne pas profiter de la catastrophe industrielle du nucléaire en France pour un peu prolonger nos vieilles centrales à nous? Ça serait rigolo.

Tu devrais carrément changer ton gouvernement. Moi, je dis que ça te poserait en leader capable d’affronter les pires tempêtes.

Je trouve même que tu devrais carrément changer ton gouvernement. Saint Nicolas, il dit que c’est trop tard, que les Flamands s’énerveraient que tu ajoutes du chaos au chaos, et qu’on ne gagne jamais rien à modifier des majorités en cours de route.

Mais moi, je dis que ça te poserait en leader capable d’affronter les pires tempêtes de l’histoire, et que c’est justement plus que jamais le moment.

Par exemple, pourquoi tu ne jetterais pas les écologistes dehors pour prendre l’Anversois avec sa triste figure à la place? Ça amuse toujours beaucoup les Flamands, mais aussi tous les autres gens de droite, et même pas mal de personnes de gauche, de martyriser un écologiste, surtout quand c’est une femme et qu’elle est bruxelloise, comme la petite antinucléaire à lunettes, là. Ils te remercieraient tous d’avoir fait ce qu’ils demandaient depuis deux ans, les Flamands et les autres gens de droite.

Ça ne t’aiderait pas beaucoup pour 2024, note, parce que les Flamands de droite préféreraient quand même toujours voter pour les partis qui martyrisent le plus systématiquement les écologistes, sans avoir besoin de toi pour ça.

Mais tout de même, ça te ferait du bien, non? Avoue…

Ou alors, au fond, pourquoi tu n’enverrais pas le barbu de Mons-Borinage, celui qui dit toujours que je ne suis pas du tout une figure raciste même si je suis grimé en esclave, dans l’opposition? Tu pourrais le remplacer par l’ancien chrétien puis ancien humaniste de Namur, et par le philosophe reconduit de Bruxelles, par exemple. Tes copains wallons de gauche en seraient trop contents, et ils t’offriraient sûrement bien une belle réforme de droite en échange, non? Sur les impôts, ou même sur les pensions, pourquoi pas sur le nucléaire?

Ça serait un beau cadeau de leur part ça, non, après tout ce que tu as déjà fait pour eux? Comme pour te récompenser d’avoir fini par être si sage, ou pour avoir arrêté de te faire sagement marcher dessus. Je ne dis pas que ça t’aiderait beaucoup plus pour 2024, note bien.

Parce qu’au point où on en est, il n’y a plus grand-chose à espérer. Mais au moins, tu aurais eu le courage de te battre. Le panache qu’on aimait chez toi, saint Nicolas et moi, nous, avant. Même si ça ne te sert pas tellement à la fin. Comme quand tu avais retiré la prise, là.

J’espère à l’année prochaine.

PÈRE FOUETTARD

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