2009, première victoire de Bart De Wever à l'élection flamande. Personne n'imaginait son futur triomphe au fédéral. © belgaimage

Elections, J-365: pourquoi les pronostics d’aujourd’hui seront probablement faux dans un an

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Un an avant les élections de 2010, 2014 et 2019, les sondages donnaient des indications pas toujours infirmées un an après. Les acteurs et les observateurs, eux, misaient sur des intuitions rarement confirmées…

Les prochaines élections se tiendront dans un an : le 9 juin 2024. Autant dire que les ambitions se développent, que le stress monte, et que les pronostics se multiplient. C’est une espèce de tradition. Car tous les cinq ans depuis dix ans, elle revient, avec son chantage affectif et son affectation de maman plaintive.

Elle, c’est la «mère de toutes les élections». L’expression a été popularisée par Bart De Wever, pas encore au régime, plus d’un an avant le scrutin de mai 2014, qui était à la fois fédéral, régional et européen. A chaque fois, l’enfantement annonce les pires souffrances pour la Belgique.

Un an avant, tous les pronostics les plus tragiques s’énoncent dans une authentique panique obstétrique. Avec une remarquable systématicité, les anticipations les plus plausibles, ou en tout cas celles qui étaient le plus souvent présentées comme telles, ont été démenties par les faits survenus, un dimanche de mère de toutes les élections, après 365 jours de campagne, traversés comme de terribles grossesses.

Le 30 octobre 2013, Bart De Wever présente son nouveau projet, le confédéralisme.

Ce fut le cas en mai 2013, douze mois avant mai 2014, et en mai 2018, une année avant mai 2019.

Ce ne le fut en revanche pas en juin 2009, un an avant les élections fédérales du 10 juin 2010, parce que les lois de la nativité électorale s’entouraient alors d’autres mystères.

En effet, avant la sixième réforme de l’Etat décidée en 2011, les scrutins régionaux et fédéral n’étaient pas synchronisés.

La législature fédérale durait quatre ans, et la régionale cinq, comme l’européenne. Aucun observateur, le 7 juin 2009, au soir de la première victoire à l’élection flamande pour la N-VA, le jour d’un des derniers sursauts du PS, ne se disait d’ailleurs que des élections législatives seraient convoquées douze mois plus tard. Le gouvernement fédéral est à l’époque composé du VLD et du MR, du PS mais pas du SP.A, du CDH et du CD&V, et il est dirigé par Herman Van Rompuy.

Personne, sauf peut-être lui, n’imagine que dans six mois le Premier s’en ira inaugurer la fonction, tout juste créée, de président du Conseil européen, et que c’est Yves Leterme qui terminera la législature comme il l’a entamée: mal.

2014, Le Premier ministre Elio Di Rupo n'a qu'un objectif: isoler la N-VA sur l'échiquier fédéral.
2014, Le Premier ministre Elio Di Rupo n’a qu’un objectif: isoler la N-VA sur l’échiquier fédéral. © belgaimage

Madame Non

Ils sont encore beaucoup à croire que la question de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde ne vaudra pas à ce gouvernement de chuter alors qu’elle avait déjà empêché, en 2007, une coalition orange-bleue de se former (ce fut le moment «Madame Non» de Joëlle Milquet, qui mena au retour du PS dans la majorité fédérale). Pourtant, quelque chose s’est produit, ce 7 juin 2009, qui allait provoquer la convocation d’élections législatives anticipées que personne n’avait pu augurer: un jeune candidat flamand au nom bien connu fit un résultat honorable sur la liste européenne du VLD. Alexander De Croo, 33 ans, récolte ce jour-là ses 47 000 premières voix de préférence. En décembre, il devient président de l’Open VLD à la grande surprise des barons de son parti, son paternel excepté. Le 22 avril 2010, il retire le soutien de son parti au gouvernement Leterme, incapable de régler la querelle de BHV, et impose l’anticipation d’un an du calendrier électoral fédéral. L’Open VLD subit une énorme tatouille le 13 juin 2010. Et la N-VA triomphe une première fois.

En juin 2013, un an avant les élections législatives, régionales et européennes du 25 mai 2014, la N-VA était dans l’opposition, et les sondages la pointaient à 34% en Flandre, pour 33% au PS, 22% au MR et 11% à Ecolo en Wallonie. Elio Di Rupo siégeait au 16 rue de la Loi, après avoir engagé huit partis (le PS et le SP.A, le CDH et le CD&V, le MR et l’Open VLD, Ecolo et Groen) dans une réforme de l’Etat, et après avoir invité six partis (le PS et le SP.A, le CDH et le CD&V, le MR et l’Open VLD) dans sa coalition dite «papillon», après 542 jours d’affaires courantes.

Le Montois, qui a «fait basculer le centre gravité du niveau fédéral vers les entités fédérées» n’a alors qu’un objectif: isoler la N-VA, qui est au gouvernement flamand, sur l’échiquier fédéral.

C’est pourquoi il vante partout, surtout dans son Hainaut natal, mais aussi dans les médias flamands, «la recette belge».

La N-VA n’a qu’une ambition à un an de la première mère de toutes les élections: se rendre incontournable à tous les niveaux de pouvoir, y compris fédéral, et c’est pourquoi le 30 octobre 2013, Bart De Wever présente son nouveau projet, le confédéralisme. A l’échelon communal, Bart De Wever est depuis décembre 2012 bourgmestre d’Anvers, et les observateurs, surtout francophones, estiment que l’épreuve de ce pouvoir le déforcera. «Anvers, cimetière des ambitions de De Wever», titre même Le Vif, fin mai 2013, tandis que La Libre, commentant un baromètre de popularité qu’elle a commandé, observe que l’écart entre le président de la N-VA, homme politique le plus populaire de Flandre, et ses poursuivants, «se réduit de trimestre en trimestre». L’éditorial signé le 25 mai 2013, lui, signale: «Les élections auront lieu dans un an, jour pour jour. Un an: une éternité en politique.».

La promesse de l’éternité

Pendant cette éternité, Charles Michel, président du MR, s’amuse à répéter que le gouvernement Di Rupo fait un fort bon travail «de centre-droit», et finit par dire qu’il n’ira jamais s’associer avec la N-VA. L’éternité livre des résultats attendus, mais des conséquences surprenantes vues du sud du pays. Le centre-droit sort revigoré du scrutin (le MR, avec 26,6% en Wallonie, gagne deux sièges à la Chambre, l’Open VLD, un, le CD&V, un, et le CDH n’en perd aucun), le PS, à 31% en Wallonie, lâche trois sièges à la Chambre, pendant que la N-VA (32% en Flandre, 33 sièges à la Chambre) triomphe une deuxième fois, aux dépens principalement, presque uniquement, du Vlaams Belang, à qui il ne reste plus que trois députés fédéraux.

Le PS, défait, pense avoir mérité une reconduction.

Mais le centre-droit que les politiques menées avec Elio Di Rupo ont pourtant revigoré choisit, en Flandre, de s’associer à la N-VA, qui arrête immédiatement de réclamer le confédéralisme. Alors, en Wallonie et à Bruxelles, le PS choisit de ne pas s’associer avec le MR.

Alors, au fédéral, Charles Michel choisit de s’associer avec l’Open VLD, le CD&V, et ça tout le monde s’y attendait, mais aussi et surtout avec la N-VA, et ça personne ne l’avait imaginé, et surtout pas Charles Michel qui avait juré jusqu’au terme de l’éternité qu’il ne le ferait jamais.

L’expansion du PTB arrange le MR, car elle divise le camp adverse, et qu’elle mine surtout le PS.

En mai 2018, un an avant les élections législatives, régionales et européennes du 26 mai 2019, la N-VA était au pouvoir, et les sondages la pointaient à 32% en Flandre, pour 24% au PS, 21% au MR et 13,5% à Ecolo en Wallonie. Charles Michel siégeait au 16 rue de la Loi, après avoir été invité par trois partis dans une coalition dite «suédoise» que ses opposants avaient brièvement tenté d’appeler kamikaze. Le Wavrien, sans réforme de l’Etat, mais avec des choix de politiques économiques et sécuritaires très clairement orientés à droite, n’a alors qu’un objectif: prolonger l’expérience avec N-VA à qui, dira-t-il, il a «tordu le bras» en lui faisant oublier ses ambitions communautaires.

C’est pourquoi, armé de son slogan «jobs, jobs, jobs», il vante, surtout en Belgique franco- phone où il est très largement minoritaire, le bilan de son exécutif, et dénonce une «trumpisation» du PS et d’Ecolo, concurrencés par un PTB en pleine expansion, et déplore chez eux «une tendance à faire primer le slogan sur la substance».

L’expansion du PTB l’arrange, car elle divise le camp adverse, et qu’elle mine surtout le PS. Plus celui-ci s’effondre, plus le MR peut aspirer à la première place devant l’électorat francophone.

Dans les tranchées suédoises, la solidarité n’est cependant pas une valeur cardinale. Début mai 2018, Bart De Wever déclare à la VRT que cette coalition a «perdu son dash», ce qui fait parler d’élections anticipées. Personne, pour autant, n’envisage vraiment la dislocation d’une alliance soudée par une vision socio- économique partagée, plutôt du genre «recette flamande».

Tout le monde, en fait, voit les partenaires continuer si c’est possible après 2024. La N-VA, explique le patron du Crisp dans une interview au Soir, «pourrait s’offrir le luxe de retirer la prise, sauf que, si l’idée est de repartir sur une deuxième coalition de la même nature pour avancer, se brouiller avec ses partenaires juste avant, c’est compliqué».

En panique après les communales de 2018, la N-VA interrompt volontairement le gouvernement Michel.
En panique après les communales de 2018, la N-VA interrompt volontairement le gouvernement Michel. © photonews

Sans pension à 65 ans et sans N-VA

A la rentrée 2018, le président du MR Olivier Chastel se prononce pour une reconduction de la suédoise, neuf mois plus tard, quand aura accouché la prochaine mère de toutes les élections.

Mais il y a des communales avant, qui compliquent la gestation. Le Vlaams Belang y triomphe. Alors la N-VA panique. Elle interrompt volontairement le gouvernement Michel, qui entre en décembre en affaires courantes. Alors Charles Michel panique. Il reprend la présidence de son parti à Olivier Chastel.

Mais le MR, à 21,5% en Wallonie, perd six sièges à la Chambre, tandis que la N-VA, à 25% en Flandre, en perd huit. Open VLD et CD&V s’écrasent, au profit d’un Vlaams Belang renaissant, et le PS, à 26% en Wallonie et vingt sièges à la Chambre, plonge, au profit du PTB (13,5% en Wallonie) et d’Ecolo (14,5% en Wallonie). Alors, du fédéral, Charles Michel file au Conseil européen. En deux ans d’affaires courantes, ni son successeur au parti ni ses anciens alliés ne parviendront à élargir la suédoise aux socialistes francophones, qui ont promis de ne revenir au gouvernement fédéral que si l’âge de la pension était ramené à 65 ans. Ils reviendront au gouvernement fédéral, sans pension à 65 ans, et sans N-VA.

34%

En juin 2013, le grand baromètre du Soir pointait la N-VA à 34% en Flandre. Aux élections de juin 2014, elle récoltera 32% en Flandre, et le Vlaams Belang 6%.

32%

En mars 2018, le grand baromètre Le Soir-RTL pointait la N-VA à 32% en Flandre. Aux élections de mai 2019, elle récoltera 25% en Flandre, et le Vlaams Belang 18,5%.

21,6 %

En mars 2023, le grand baromètre Le Soir-RTL pointait la N-VA à 21,6% en Flandre, et le Vlaams Belang à 25%.

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