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« Plus d’un Belge sur deux pouvant bénéficier du revenu d’intégration ne le demande pas »

La pauvrophobie, kézako? À quelques jours d’une journée qui lui est dédiée, décryptage avec Nicolas Dekuyssche, directeur du Forum Bruxelles contre les inégalités qui vient de publier une Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté.

Qu’est-ce que la « pauvrophobie »? Ceux qui ont vu le second volet de Pourquoi nous détestent-ils de Sarah Carpentier et Michel Pouzol, diffusé sur La Une en mai dernier, en ont sans doute une petite idée. Si ce néologisme émerge depuis deux ans en France, notamment grâce aux travaux fouillés d’ATD Quart Monde et du sociologue Serge Paugam, il reste méconnu en Belgique. Ce 25 septembre, une Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté a fait son apparition dans les libraires. Point de démarrage d’une grande compagne menée par Le Forum avec une journée dédiée le 12 octobre.

D’où est venue l’idée de ce livre?

Nicolas Dekuyssche: Au Forum, on voulait avant tout travailler ce thème de manière scientifique. On a constaté une augmentation des idées reçues. On trouve aussi qu’elles étaient davantage exprimées par les personnalités politiques. Avec les services sociaux du Forum, on a eu l’idée de lister toute une série de préjugés portant sur la pauvrophobie. Nous avons organisé des brainstormings avec des travailleurs sociaux, des usagers.

Accompagnés des services sociaux et leurs partenaires, vous avez défini 85 « idées reçues ». Comment avez-vous procédé?

Au départ, nous étions arrivés à un total de 250 préjugés. C’était un tableau digne de la NASA! On a ensuite réduit pour en arriver à 120. Cependant, il était ambitieux de trouver autant de contributeurs. Nous nous sommes donc arrêtés à 85. Cela nous paraissait suffisant. À partir de là, l’Université de Mons nous a aidés à travailler ces questions et à contacter des experts en Belgique francophone pouvant démonter ces idées reçues.

Comment avez-vous fait concrètement?

Pour chaque préjugé, un spécialiste a développé une vérification scientifique. Nous avons voulu un livre accessible, mais qui s’appuie néanmoins sur les études les plus récentes et des chiffres fiables sur les questions abordées. Il y a eu un véritable travail d’édition et de coordination après des dizaines d’experts qui nous ont aidés pour cette encyclopédie. Elle nous sert à baliser le terrain pour la journée du 12 octobre.

Avez-vous été surpris par leur travail?

Il se trouve que malgré mon savoir sur la pauvreté, j’ai été surpris par certaines déconstructions. J’en ai beaucoup appris. Pour donner un exemple, il y a une idée reçue, fortement répandue, qui dit que les pauvres sont des profiteurs. L’auteur qui démonte ce stéréotype développe un argument imparable: la plupart des personnes pauvres ne font pas appel aux droits, aux revenus auxquels ils peuvent accéder. C’est ce qu’on appelle le phénomène de « non-recours », c’est-à-dire que l’on n’ouvre pas ses droits par crainte d’être jugé. Un chiffre le prouve: plus d’un Belge sur deux pouvant bénéficier du revenu d’intégration sociale ne le demande pas. Je trouve que ce préjugé est très bien déconstruit.

Pourquoi ne pas avoir introduit des témoignages de personnes victimes de pauvrophobie?

Les témoignages sont essentiels, mais on estime qu’ils auront davantage d’importance dans le webdocumentaire que nous diffuserons lors de notre campagne. Pour nous, la meilleure manière de démonter les stéréotypes liés à la pauvrophobie est justement de donner la parole à des témoins.

Est-ce que la pédagogie était importante pour concevoir cette encyclopédie?

Tout à fait. D’ailleurs, pour nos contributeurs, ce n’était pas une chose facile parce qu’ils font davantage un travail de recherche. Ils ne sont pas très ludiques (rires). On leur a donc demandé de donner du rythme et de la concision à leurs textes pour qu’ils ne fassent que 3 ou 4 pages. Malgré cet effort, il faut se poser pour lire le livre à cause de son caractère scientifique. Cela ne se lit pas le soir dans un bar. En revanche, cette pédagogie sera plus mise en valeur dans le webdocumentaire et dans la campagne Web.

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Parmi les idées choisies, une bonne partie paraît universelle et peut s’appliquer en dehors de Bruxelles. Une exportation notamment vers la France est-elle prévue?

Effectivement, les idées reçues que nous avons développées sont aussi une réalité dans les autres pays comme la France. D’ailleurs, l’ouvrage sera distribué en France. Cela prouve que les libraires pensent qu’il y a un potentiel d’édition là-bas et reconnaissent l’universalité de ce problème. À l’inverse, pour ce qui relève des chiffres et des études, nous sommes principalement appuyés sur les données belges.

Cet ouvrage ouvre une grande séquence de sensibilisation. Quelles sont vos espérances à terme?

Avec cette campagne, on veut faire émerger un concept qui n’est pas encore répandu. On veut vraiment poser cette question du mépris que certains ont à l’égard de ces personnes. Le souhait qui sous-tend ce projet est d’introduire ce néologisme dans le langage courant. Par ailleurs, on espère que les politiques pourront s’emparer. En France, il a commencé, mais pas en Belgique. En pratique, on espère une interdiction de la discrimination fondée sur le simple fait de la condition sociale. La campagne se poursuivra aussi en 2019. Avec tout ce matériel dense et sérieux que nous avons développé, nous allons, sans doute dès janvier, viser des collectivités notamment les écoles, les maisons de jeunes. Nous travaillons actuellement à cet aspect. Concrètement, il y aura des animations liées à la thématique.

Mostefa Mostefaoui

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