Parti Pirate : fantaisie ou alternative crédible ?

Stagiaire Le Vif

Découverte du Parti Pirate avec un de ses fondateurs en Belgique : Marouan El Moussaoui.

Parti Pirate, à lui seul, le nom intrigue déjà? Marouan El Moussaoui : L’aventure a commencé en juin 2009 aux dernières élections régionales et européennes lorsque deux membres du Parti Pirate suédois sont rentrés au Parlement européen. Avec les deux autres fondateurs, Jurgen Rateau et Monika Kornacka, nous discutions de la suite à donner à Parano.be, un réseau social avant Facebook. Au départ, nous voulions politiser ce que l’on avait découvert sur Parano, c’est-à-dire une nouvelle manière de faire de la politique. Des soirées se sont organisées sur Parano où les participants organisaient l’événement. C’est un mode de transmission que l’on retrouve dans le crowdfunding, sur Wikipédia ou encore dans le « car sharing ». L’idée, c’était donc de faire de la politique de cette façon-là, en partageant et en laissant les citoyens participer et s’approprier le projet. Nous nous sommes présentés pour les communales d’octobre 2012 avec une quarantaine de listes, une centaine de candidats et plus de 50 000 voix dans tous le pays à la clé. Ce qui n’est pas mal pour un parti qui n’en était pas un puisque nous n’avions pas encore de structure jusque-là. D’octobre 2012 à juin 2013, nous avons fabriqué nos statuts. En les constituant, nous avons bu notre propre rhum. C’est-à-dire que nous avons rédigé nos statuts de manière ouverte et transparente. Ce qui fait que nous défendons des valeurs originales et que le mode de fonctionnement aussi est original. Sachant que pendant tous ces débats, l’idée essentielle était de ne pas tomber dans la particratie et donc de construire une structure hiérarchique qui ferait la promotion d’un mode de production distribué. Cela a pris du temps et de l’énergie, mais on y est arrivé.

D’où vous viennent vos financements ? Est-ce un système de crowdfunding (financement par la population) ? Effectivement, c’est du crowdfunding pour l’essentiel. 100% de notre budget est financé par nos membres. Alors que pour les autres partis, les rentrées des membres représentent 5% des revenus. C’est d’ailleurs un des enjeux de ces élections : avoir un élu pour pouvoir recevoir des financements comme les autres partis. Il y a un vrai problème dans le financement des partis politiques en Belgique. Pourquoi les partis traditionnels sont-ils financés et pas nous ? En France, il suffit juste d’avoir 1% pour recevoir un financement. En Allemagne le simple fait de se présenter donne droit au remboursement des frais de campagne. Ici, ce n’est pas le cas.

Au niveau de vos revendications, ce qui est surtout médiatisé ce sont celles vis-à-vis d’internet. C’est tout à fait normal qu’internet apparaisse comme notre première revendication puisqu’il l’était déjà il y a dix ans. Mais notre projet évolue. Au fur et à mesure, les revendications que sont la réforme du droit d’auteur, l’abolition des brevets sur les logiciels et le renforcement de la vie privée sur internet dessinent un projet de société qui va au-delà de la défense d’un groupe d’intérêt que nous étions à l’époque. Notre programme de 2010 était un programme techno-geek. Aujourd’hui c’est un véritable projet de société, c’est une véritable doctrine qui est mise en avant. Qui peut se résumer par la démocratie ouverte.

Vous avez ouvert votre programme à d’autres sujets comme l’économie, la mobilité ou la culture. En économie, quelles sont vos idées fortes ?
En économie comme dans toutes les matières politiques qui concernent la vie de la cité, nous disons toujours la même chose : ouvrons les discussions. Ouvrons les processus de fabrication des décisions. Au niveau de la fiscalité, tous les partis politiques sont d’accord pour dire qu’il faut une réforme fiscale. Dans un même temps, tous les partis proposent leurs solutions avec moins d’impôts ou plus d’impôts. Notre position dans cette matière c’est de dire : attendons. Il existe un tas d’acteurs de la société civile et un tas d’acteurs économiques qui ont un point de vue là-dessus. Ce que l’on veut en terme de fiscalité, c’est un meilleur impôt. Et la meilleure manière d’avoir un meilleur impôt c’est d’intégrer les parties-prenantes, les usagers de la fiscalité. Le MR par exemple dit « Hors de question de taxer plus les revenus des loyers ». Mais pourquoi être dogmatique à ce point ? Le PS aussi a ses propres dogmes, mais nous pensons qu’en cette matière il faut débattre. Parce que c’est une question essentielle et que l’avis de tous compte puisqu’on est en démocratie et non dans une oligarchie soviétique où il existe juste cinq personnes compétentes dans le pays.

Et en matière d’emploi, que prévoit votre programme ? En matière d’emploi, nous avons travaillé sur deux axes : une idée pour lutter contre le chômage et une idée pour créer de l’emploi. La chasse au chômeur va être régionalisée. Nous pensons qu’au lieu d’utiliser le contrôle de disponibilité stupide qui est en vigueur actuellement, il faut que la région adopte ce qu’on appelle la valorisation des acquis de l’expérience. Cela consiste à valoriser l’expérience des demandeurs d’emploi dans la recherche d’un travail. Ça n’est pas une idée révolutionnaire, la France le fait déjà actuellement. Elle a mis un système en place qui valorise tout le travail de bénévolat qui n’était pas pris en compte. Ce que l’on veut, c’est mettre en valeur des expériences qui ne sont pas reconnues officiellement. Par exemple la capacité de faire un mailing, ce genre de petites compétences qu’on a acquises de manière naturelle.

Ensuite, l’autre axe c’est la création d’emplois. Pour cela, nous nous basons sur un secteur qui crée de l’argent, de la richesse et de la croissance : le secteur du jeu vidéo qui s’appelle le Serious Game. Le Serious Game est très étendu. Il peut aller du simulateur de vol pour entraîner les pilotes au jeu entraînant les économistes à gérer les différents aspects de leur métier.

Nous voulons également une consultation pré-budgétaire. Au Canada, cela existe depuis plus de 30 alors qu’en Belgique nous avons le conclave budgétaire : huit présidents de partis qui s’enferment comme pour choisir un pape et qui ressortent avec un budget. C’est très primitif, cela a un aspect oligarchique. En Amérique et au Canada, il existe les consultations pré-budgétaires. Un budget c’est huit mois de discussions au Parlement. Durant ces huit mois, les politiques sollicitent un avis consultatif de la population. Pour mettre en place cette consultation pré-budgétaire il va falloir le faire de manière ludique, attrayante et attractive. C’est là que le Serious Game intervient. Et il en est de même pour tous les aspects de la vie collective.

Cette volonté de baser son programme économique sur le secteur du jeu vidéo est souvent raillée. Est-ce vraiment réaliste ? Je comprends l’étonnement suscité lorsque nous déclarons que notre plan économique est basé sur l’industrie du jeu vidéo. La première chose que je répondrai c’est que l’industrie du jeu vidéo est la première industrie culturelle européenne et dans le monde. C’est une industrie culturelle au même titre que le cinéma ou la musique. Pour une certaine classe d’âge, cette industrie n’est plus une bêtise infantile, mais fait partie de notre culture. En Flandre, ils sont beaucoup plus avancés dans ce secteur. L’université de Gand est la seule qui propose maintenant un Master en développement de jeux vidéos. Cette industrie représente des milliards d’euros de bénéfices annuels. La Chambre de commerce bruxelloise a rendu son mémorandum il y a peu à destination des politiques et elle a fait trois recommandations. Il y en a deux que le Parti Pirate reprend : le bilinguisme et passer l’ISOC de 33% à 25%. Mais surtout, la Chambre de commerce a mis en avant le fait que Bruxelles avait besoin d’une politique économique de spécialisation et de clustering. C’est exactement notre projet. Un cluster, c’est une niche, un actif que l’on produit et que l’on peut exploiter. Cela relativise les moqueries des gens quant à nos projets sur l’industrie du jeu vidéo.

Et sur le plan communautaire?
Nous voulons instaurer un dialogue constructif avec l’autre communauté. Nous constatons une bagarre communautaire permanente à Bruxelles entre néerlandophones et francophones, un rapport de force entre les deux et nous trouvons cela contre-productif. Nous ne partageons pas cette peur de flamandisation de Bruxelles comme d’autres partis francophones. À Bruxelles nous considérons que l’on est cosmopolite. Ainsi, nous sommes pour le bilinguisme, notamment dans l’enseignement, et pour un travail avec la Flandre.

Si vous étiez appelé dans le futur à rentrer dans un gouvernement, accepteriez-vous cette possibilité ? Non. Nous ne sommes pas prêts. Nous n’allons pas rentrer dans un gouvernement quand nous n’avons jamais fait d’opposition. C’est la force et la faiblesse de ce projet, mais 99,9% des membres du Parti Pirate n’ont jamais fait de la politique. La revalorisation de l’action politique est aussi un de nos objectifs, les gens détestent la politique. Si nous avons un parlementaire, il va rendre son agenda public. Un parlementaire reçoit des gens toute la semaine. Pourquoi ne savons-nous pas qui un parlementaire reçoit durant ses heures de travail ? Avec notre initiative, la population pourrait avoir une vue concrète des actions et des volontés politiques des gens qui nous représentent. Si on propose cela au Parlement, on va nous rire au nez. Par contre, si notre parlementaire élu commence à appliquer cette mesure, je ne donne pas six mois avant que les parlementaires Ecolo le fassent aussi. Parce que c’est une mesure qui est tout ce qu’il y a de plus démocratique. Ensuite, que pensez-vous que le groupe PS va faire ? Les suivre. Et ensuite le MR. Et ainsi, en une législature, les parlementaires rendraient publiques leurs activités.

Vous êtes plutôt virulent envers la majorité en place, mais également envers l’opposition. Quelles sont les raisons de cette colère ?
C’est le non-respect de l’accord de gouvernement. Et dans cela, la majorité comme l’opposition est coupable. Ce que les députés pirates vont faire c’est ce que l’opposition a failli à faire : donner pour chaque point de l’accord de gouvernement un indicateur objectivement vérifiable pour que les gens puissent se faire une idée. Par exemple : en septembre le gouvernement bruxellois se rend à Liège pour parler du logement. Ils ont l’irrespect d’annoncer qu’ils vont construire 6000 logements à Bruxelles. En 2004, alors que c’était la même majorité, il est écrit noir sur blanc dans l’accord de gouvernement que celui-ci va construire 5000 logements dans les 5 ans à venir. Dix ans après, le chiffre de 1000 n’est même pas atteint alors qu’ils en avaient promis 5000. Puis, ils viennent promettre qu’ils en construiront 6000 dans les 5 prochaines années. Comment un mensonge de cette taille peut-il passer ? Parce que l’opposition n’a pas fait son travail. Elle aurait dû rendre ce mensonge impossible. Et c’est ce que nous voulons faire. C’est l’évaluation des politiques publiques. Il faut que les politiques soient responsables de ce qu’ils disent et de ce qu’ils font. Nous ne voulons pas rajouter d’autres organes qui contrôleraient le travail des élus donc, nous laisserions le soin aux citoyens de le faire via la publication du travail parlementaire.

Le problème, c’est comment allez-vous pouvoir diffuser ces informations à grande échelle afin qu’elles puissent toucher le plus de monde et que les citoyens s’impliquent dans votre initiative ?
Nous comptons utiliser des relais externes. L’idée de base c’est de créer une expertise du travail politique par la population. Les citoyens ne sont plus les ânes dont Platon parlait. Nous n’avons pas besoin de réinventer l’eau chaude, il faut juste faire confiance aux citoyens. Il faut mettre ce contenu en ligne et le rendre plus lisible et plus accessible. Mais nous ne pouvons pas passer par la presse traditionnelle pour faire passer tout cela. Personnellement, je respecte les journalistes, mais la presse doit se réinventer sinon elle va disparaître. Elle doit s’adapter aux nouveaux modes de production. La presse qui fait son travail de critique et de relais, j’entretiens les meilleures relations avec elle. Mais la presse qui n’est qu’un copier-colleur des dépêches Belga et des communiqués de presse des partis politiques, c’est du clientélisme.

Qu’offrez-vous de plus que les partis traditionnels ? Je dirai que l’on est dans une période pré-insurrectionnelle. Et le Parti Pirate est là pour fournir une alternative. C’est quelque chose que les partis traditionnels ne donnent pas. Et je ne parle pas ici de l’alternative du PTB. Eux aussi prennent les gens pour des cons. Les discours stupides qu’ils ont sont hallucinants. Tout ce qu’ils disent c’est : « on va faire payer les riches, faire payer le capital, les banques,… ». C’est un discours de robot stupide. C’est pour cela que nous devons être une offre pour les gens. Que ceux-ci aient un espoir dans la politique et dans une transformation de ce monde politique.

Souvent, le monde de la politique traditionnelle ne vous prend pas au sérieux. Que comptez-vous faire pour vous imposer dans ce monde et être considéré autrement que comme des amateurs dans celui-ci ?

La première chose que je veux répondre à ceux qui nous considèrent comme cela c’est de lire notre programme. Et je pense que nos adversaires l’ont fait et qu’ils ne rient pas tant que ça. Ils savent que l’on est le reflet de quelque chose, le symptôme de quelque chose. Vis-à-vis de la population, cela fait des semaines que je suis en campagne au contact des gens et passé le sourire narquois quand les citoyens entendent notre nom, ils écoutent nos idées et ce qu’ils nous répondent souvent c’est : « En fait, vous voulez la démocratie ? ». Oui, nous voulons la démocratie parce que pour le moment, nous ne l’avons plus. Quand cinq personnes décident du budget en Belgique, c’est que quelque chose ne va pas. Les représentants au Parlement ne représentent pas les gens qui l’ont élu, mais leur parti. Et c’est cela la particratie. Je prendrai comme exemple le vote du traité d’austérité budgétaire européen qui a été adopté contre l’avis des parlementaires. Les parlementaires ne voulaient pas le signer, mais leurs partis les y ont obligés. Dans le cas d’Ecolo, c’est l’assemblée générale qui a décidé qu’il fallait signer ce traité contre l’avis des parlementaires. À Bruxelles, il n’y en a eu qu’une qui s’y est opposée, c’est Céline Delforge. Elle a été contre son parti, mais avec ses idées et il faut saluer ce travail.

Vous avez aussi besoin d’un certain nombre de signatures pour les élections. Où en êtes-vous dans cette mission ?
En effet, nous devons rassembler 500 signatures de citoyens ou un parrainage d’un député sortant. Mais nous allons les avoir ces signatures…

Entretien avec Olivier Eggermont (st.)

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