Carte blanche

Pacte d’excellence: « Prétendre à l’excellence sans mobiliser le travail, c’est mentir »

Peut-être s’est-il rouvert le champ des alternatives aux propositions accumulées dans ce qu’il est ou était convenu d’appeler le pacte d’excellence.

J’en salue la possibilité et je m’autorise quelques observations et suggestions que m’inspire l’expérience.

Je ne me réfère pas à un titre académique en psychologie, pédagogie ou psychopédagogie. J’ai été professeur, parlementaire, puis ministre dans le gouvernement de la Communauté française en charge de l’enseignement.

Cela, j’en conviens, il y a bien longtemps !

En Communauté française de Belgique, l’enseignement, quoique souvent réformé, va de mal en pis

Voici une observation qui ne m’appartient pas en propre : elle s’impose en de multiples milieux ; elle est véhiculée par des institutions internationales : en Communauté française de Belgique, l’enseignement, quoique souvent réformé, va de mal en pis.

Aux résultats catastrophiques de nos étudiants en première année de l’enseignement supérieur, et singulièrement à l’université, s’ajoutent aujourd’hui les contreperformances des écoliers qui peinent à sortir du primaire.

Bref : cela ne va pas ; il faut faire mieux.

Il me semble que ce n’est pas en répétant de réforme en réforme les mêmes erreurs que la solution se fera jour. Mais où serait la solution ? Cherchons-la du côté de la vérité.

Le temps de travail proprement scolaire, c’est-à-dire le temps passé par l’écolier ou l’élève avec un instituteur ou un professeur s’est dramatiquement réduit. En deux générations, l’enseignement obligatoire est passé de 400 demi-jours par an à 180 jours qui comprennent les après-midis de congés, les journées blanches d’après examen, et les heures passées à la salle d’étude, faute de professeur remplaçant.

Or, il faut du temps pour enseigner, comme il faut du temps pour apprendre.

Conclusion

Il faut ajouter du temps au temps.

Je propose d’admettre dans l’enseignement primaire les enfants de cinq ans qui y resteront sept ans. Pour le reste, ce ne peut être le secteur des loisirs, ni l’industrie du tourisme, ni les centrales syndicales qui doivent dicter ou le moment, ou la durée des vacances scolaires. C’est tout simplement l’intérêt général, dont est dépositaire le gouvernement.

L’école est le lieu de la transmission des savoirs.

C’est dans ses murs que se situe l’apprentissage de la langue française, telle que nous l’ont livrée des auteurs exceptionnels, telle que l’ont préparée, pour les générations montantes, des grammairiens de génie.

Il n’y a pas de multiculturalisme qui tienne devant l’obligation qui s’impose à une communauté de langue et de culture françaises : la priorité, c’est la maîtrise de la langue, son respect, l’explication de ses subtilités, l’assimilation des particularités de son orthographe. C’est aussi l’ardente nécessité de faire naître et d’entretenir le plaisir de lire et de vérifier la compréhension du texte lu.

Un enseignement de qualité part de là. Comment concevoir, en effet, la compréhension des consignes en mathématiques ou en sciences, si le vocabulaire fait défaut, si les articulations du texte ne sont pas comprises ?

Dès lors qu’aucun compromis, aucun renoncement n’est admissible sur ce chapitre, il faut ouvrir le champ des possibles.

Enseigner aujourd’hui ne peut plus se concevoir sans une attention portée en permanence à des formes d’intelligence qui ont été ignorées ou méprisées par l’école traditionnelle.

A côté des enfants qui vont exceller dans l’usage de la langue ou que l’arithmétique fascinera, d’autres dessineront avec talent, trouveront à s’exprimer dans le travail du bois, les montages électriques ou les manipulations du clavier d’ordinateur, d’autres encore chercheront leur plaisir dans la musique ou les exercices sportifs. Les formes d’intelligence sont multiples et chacune peut ouvrir la voie à l’épanouissement personnel. Il n’y faut qu’une condition : L’enseignement fondamental, dès les premiers jours, doit être organisé pour les révéler toutes et leur assurer la même considération.

Mais « ouvrir le champ des possibles », c’est aussi offrir aux enfants, aux adolescents qui n’ont pas le français comme langue maternelle, qui ne le parlent pas et ne l’entendent pas à la maison, un enseignement qui tienne compte de ce handicap et s’emploie à le résorber par un horaire différent de celui appliqué aux autochtones. Sur ce point aussi, le renoncement est coupable même s’il se drape dans les plis d’une mixité sociale artificielle qui bafoue les libertés de choix de l’école, prérogative de la famille, contestée par l’idéologie régnante.

J’ai évoqué mon expérience ministérielle. Je puis, à ce titre porter témoignage. Des dizaines de professeurs du secondaire m’ont dit lors de ma tournée des écoles de Wallonie et de Bruxelles :

-De grâce, Monsieur le Ministre, mettez un terme au passage automatique de première en deuxième année du secondaire.

Je les ai écoutés.

Or, l’orientation du prétendu pacte d’excellence allonge le tronc commun jusqu’à la fin de la troisième année du secondaire, avec l’intention de réduire les redoublements budgétivores.

Je suis convaincu que, sur rapport des instituteurs et au départ des observations fournies par les CPMS, tout le monde gagnerait à orienter les élèves vers des enseignements adaptés à leurs aptitudes. Il n’y a que du profit à tirer d’un adolescent bien dans sa peau devant un banc de menuisier, un banc de montage électrique, un bac de pâte à pain ou un plan de cuisine. C’est là que réside la solution au problème réel des redoublements excessifs.

Faut-il attendre que l’ado ait quinze ans et ait traîné son ennui, quand ce n’est pas sa rébellion, de classe en classe avant de lui ouvrir le champ des possibles ?

Faut-il imposer aux professeurs de cours généraux de freiner la marche de la classe pour tenter que des jeunes sans motivation rejoignent le groupe à l’arrêt ?

Faut-il continuer à sacraliser l’enseignement général et, par le fait même, mépriser les formations techniques et professionnelles, alors que la société prouve tous les jours leur utilité et leur nécessité ?

La vérité a des droits: un passage de classe se mérite, comme se mérite la rémunération d’un travail bien fait, mais on ne demande pas à un poisson de grimper à un arbre, ni à un oiseau de traverser un fleuve à la nage.

Imaginons donc des élèves bien dans leur classe, bien dans leur peau.

Tous les problèmes ne sont pas, pour autant, derrière nous.

Il est une équivoque qu’il faut lever.

La relation au savoir

Les connaissances ne sont pas figées ; elles évoluent à notre époque plus vite qu’à n’importe quelle autre. Les matières enseignées à l’école évoluent également. Il appartient au professeur d’assurer les connaissances de base indispensables à chacun, connaissances autour desquelles gravitent les innovations. C’est la mission fondamentale de l’enseignant. C’est en l’assumant qu’il établira les bases de son autorité. C’est la qualité de son savoir et la maîtrise de sa communication qui lui permettra d’intégrer les jeunes dans la continuité de la génération qui les précède, en d’autres termes de faire d’eux les acteurs en devenir de la société où ils sont appelés. Il ne s’agit pas d’endoctrinement, mais de susciter une adhésion critique, raisonnée, argumentée.

Le seul engagement requis des enseignants, c’est le ralliement, l’adhésion aux libertés constitutionnelles et aux droits de l’homme. Il n’y a là non plus aucun renoncement tolérable.

C’est là que se situent les réponses aux questions que lui poseront ses élèves, parfois désemparés par les problèmes de notre société.

Ceci posé, il appartient au gouvernement de restituer le professeur dans sa mission de transmission des savoirs et, par voie de conséquence, de l’aider, de l’inciter à construire sa personnalité, son identité professionnelles en s’intégrant lui-même dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie.

La relation de l’école au pouvoir

La Communauté française a la compétence d’organiser l’enseignement francophone. Dépourvue du pouvoir fiscal, elle dépend pour son financement de l’Etat fédéral. Elle subventionne les écoles qu’elle n’organise pas elle-même. La loi de financement a été conçue pour contraindre la Communauté à une organisation moins coûteuse, en dépit même des évolutions, notamment dans l’enseignement supérieur, qui annonçaient des charges croissantes. Les difficultés financières sont récurrentes.

La suppression annoncée des provinces jette un éclairage nouveau sur la question. Si le pouvoir fiscal des provinces devait être transféré à la Région wallonne, la compétence de la Communauté en matière d’enseignement pourrait suivre la même voie.

Il y aurait dans cette réforme des moyens nouveaux affectables en Wallonie, tout au moins, aux besoins les plus évidents du secteur : les traitements, l’équipement, les bâtiments.

Je conclurai en citant un vieux sage Yazidi : « We have no other way to survive except through learning. »

Pierre HAZETTE, écrivain et ancien ministre de l’Enseignement de la Communauté française

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