Giovanni Cosentino

Pacte d’Excellence : « ne confondons pas la carte et le territoire »

Giovanni Cosentino Licencié en sciences physiques - Professeur de physique à l’Athénée royal de Mons 1

Dès le début de sa conception, le Pacte pour un enseignement d’excellence n’a cessé d’alimenter les débats, les uns le considérant comme une rénovation salvatrice, les autres au contraire comme le coup fatal qui risquerait de faire s’écrouler tout l’édifice que représente notre école. Mais sait-on vraiment où l’on va?

Dès le début de sa conception, c’est-à-dire depuis environ trois ans, le Pacte pour un enseignement d’excellence n’a cessé d’alimenter les débats, les uns le considérant comme une rénovation salvatrice, les autres au contraire comme le coup fatal qui risquerait, s’il venait à être porté, de faire s’écrouler tout l’édifice que représente notre école, notamment à cause de ce fameux tronc commun qui ne fera, selon certains, que reproduire les mêmes erreurs que « l’enseignement rénové » des années 70. De telles discordances nous amènent tout naturellement à la question : mais sait-on vraiment où l’on va ?

Il est incontestable que l’évolution rapide – devenue trop rapide aujourd’hui – de la société nous contraint à essayer de donner à nos jeunes un enseignement adapté aux enjeux de demain et l’ambition première du pacte semble bien être de répondre à ce besoin de renouvellement, mais la voie de réforme qu’il propose a le défaut majeur de manquer d’ancrage dans le réel.

En effet, il existe un abîme incommensurable entre la vision terriblement simpliste de l’école que nous présente le pacte et les réalités que doivent affronter tous les jours les acteurs de terrain dans leur travail.

Pour l’instant, ce pacte n’est guère plus qu’un simple plan sur le papier et l’optimisme niais de ses auteurs, avec ses ambitions incontestablement démesurées me fait penser à cette réflexion du père de la sémantique générale, Alfred Korsybski : « La carte n’est pas le territoire qu’elle représente ». Autrement dit : la carte est la manière dont nous nous représentons la réalité, non la réalité elle-même. Et, de la même manière, le plan de construction qu’on nous propose aujourd’hui ne doit pas être confondu avec le véritable territoire de l’école où évoluent élèves et professeurs et où se révèlent chaque jour les difficultés vécues par les uns et le manque criant de moyens matériels mis à la disposition des autres. Il serait bien imprudent de croire naïvement qu’il suffit d’appeler une réforme « pacte d’excellence » pour qu’elle nous apporte cette qualité dont elle ne fait, somme toute, que prononcer le nom. Comment ne pas s’étonner, voire s’irriter que l’on puisse inclure ce terme d’excellence dans l’appellation d’un projet lorsqu’il n’est encore qu’au stade de sa conception ? Comment pourrait-on prêter foi à ceux qui, aujourd’hui, voudraient vanter, à l’aide de ce titre pompeux, les mérites de quelque chose qui n’existe pas encore ?

La modestie ou tout simplement le souci d’objectivité et de réalisme auraient dû modérer les auteurs de ce projet et leur éviter de lui accoler ce terme qu’il est difficile de ne pas considérer comme fallacieux. Les lourds échecs des réformes antérieures sont pourtant bien là pour leur prouver que « réussir l’école » n’est pas une mince affaire.

Il serait bien imprudent de croire qu’il suffit d’appeler une réforme u0022pacte d’excellenceu0022 pour qu’elle nous apporte cette qualité dont elle ne fait que prononcer le nom.

L’objectif principal annoncé par le pacte est de permettre à tous les élèves, à travers un « tronc commun pluridisciplinaire et polytechnique renforcé » de les initier à toutes les branches de l’activité humaine afin de leur permettre de faire, par la suite, des choix professionnels judicieux : cela va de l’expression corporelle, aux nouvelles technologies numériques, en passant par le travail du bois et du métal, toutes les formes d’art et même la construction (en classe) d’objets (non encore spécifiés) ayant « un usage social avéré et pouvant réellement être utilisés ». Un peu de bon sens suffit pourtant pour se rendre compte très vite que cette vision des choses trahit une certaine candeur et elle pourrait prêter à sourire si ce n’était pas l’avenir de notre enseignement qui était en jeu. On peut sérieusement se demander, en effet, si les concepteurs de ces programmes titanesques ont vraiment les pieds sur terre et s’ils ont seulement essayé d’évaluer les moyens financiers et humains qu’ils nécessiteraient. Toutes les nouvelles activités prévues par le pacte (surtout les activités artistiques et technologiques) requièrent des compétences très spécifiques et les enseignants en place actuellement ne pourraient certainement pas répondre aux demandes qui leur seraient faites.

Afin peut-être de dissiper nos doutes sur la faisabilité de ce vaste chantier, le texte d’introduction du pacte tient ce discours rassurant : « Les orientations que nous proposons répondent à un idéal, celui d’une école efficace et équitable, et elles s’inscrivent dans un cadre réaliste ». Et c’est ainsi que dès les premières lignes du texte du « projet d’avis numéro 3 », on nous annonce qu’un des axes stratégiques du pacte sera de « favoriser le plaisir d’apprendre ». Mais de qui se moque-t-on ? Les enseignants avaient-ils vraiment besoin qu’on leur assène pareille évidence ? Que croyez-vous qu’ils font déjà, jour après jour, à longueur d’année, si ce n’est tenter de susciter l’intérêt de leurs élèves et de donner du sens à leur apprentissage ?

« Il était nécessaire de changer l’école », nous dit-on aussi pour justifier la réforme, mais rien ne pourra changer dans la bonne direction si l’on ne tient pas compte des besoins spécifiques éprouvés par les enseignants dans leur travail. Or ces derniers ne sont pas rassurés du tout par les exigences draconiennes qui leur seront imposées comme par exemple les fameux « plans de pilotages » qui feront bientôt leur apparition dans les écoles et qui exigeront des équipes éducatives qu’elles atteignent une série d’objectifs en relation avec les taux de réussite, le nombre de diplômés, etc., comme si les résultats des élèves et leur implication dans le travail étaient des variables susceptibles d’être contrôlées comme on règle l’arrivée d’essence dans un carburateur ! Pour revenir à ce « cadre réaliste » auquel font allusion les auteurs du pacte, est-il vraiment réaliste, par exemple, de vouloir introduire dans le cursus scolaire des élèves, à côté de domaines classiques comme le français, les mathématiques ou les sciences, de nouveaux domaines d’apprentissage comme « la créativité, l’engagement et l’esprit d’entreprendre » ? Bien malin sera celui qui pourra nous dire ce que l’on entend exactement par là et comment les professeurs devront s’y prendre pour évaluer des compétences aussi vagues et aussi aléatoires. Et c’est dans l’optique de ces nouveaux domaines d’apprentissage qu’on nous dit, par exemple, que l’élève doit « apprendre à oser se mettre en projet, individuellement et collectivement », qu’il doit « apprendre à sursoir à l’acte et à l’immédiateté » ou encore « prendre conscience du temps et de l’espace et se lancer dans un temps d’effort plus ou moins long avant d’atteindre un résultat ». Verra-t-on bientôt les professeurs obligés de se transformer en spécialistes de la créativité artistique et de la psychologie cognitive ?

Pour ce qui concerne un autre sujet, plus sérieux, tout de même, celui du décrochage scolaire, est-il réaliste, par ailleurs, de promouvoir un dispositif sophistiqué de remédiation pour tous les élèves en difficulté et dans toutes les matières, mais sans reconnaître, pas même du bout des lèvres, qu’il nécessiterait, pour être opérationnel, des moyens considérables, comme l’introduction d’heures de cours supplémentaires et, a fortiori, l’engagement de nouveaux professeurs ?

On ne peut que constater que le pacte ne présente aucune évaluation, même approximative, des investissements qui devraient être faits pour accompagner les élèves en difficulté : non, le texte du pacte se contente de signaler « qu’il s’agira d’octroyer des périodes de remédiation selon des modalités à déterminer » et il appartiendra aux professeurs de se débrouiller. N’est-ce pas un peu vague pour un projet qui se veut aussi ambitieux ? Au lieu de partir d’une réflexion intelligente et profonde sur ce que doivent être les conditions de travail idéales des élèves et des enseignants, au lieu de fonder ses projets sur la base d’un état des lieux pertinent qui nous aurait éclairés sur la question de savoir quelles sont les méthodes d’apprentissage qui fonctionnent le mieux et celles qui ne fonctionnent pas, au lieu de tout cela, les auteurs du pacte se contentent de tirer des plans sur la comète.

Le Projet d’avis numéro trois du pacte, un texte qui compte plus de 300 pages et qui définit les « axes stratégiques » des actions à entreprendre, présente une très longue liste d’objectifs qui commencent tous par un verbe écrit à l’infinitif : « renforcer la qualité de l’enseignement maternel, développer le leadership pédagogique des équipes de direction, responsabiliser les enseignants dans le cadre d’une dynamique collective d’organisation apprenante, rénover l’encadrement différencié, etc. »

On peut tout de même douter que ce long et sophistiqué verbiage puisse être suffisant pour sauver notre école. Les auteurs du pacte ne semblent pas avoir vraiment conscience de ce que sont les réalités du terrain. Jeter un plan sur le papier est une chose, le concrétiser en est une autre et le risque est grand de les voir confondre la carte et le territoire.

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