Philippe De Backer et Sophie Wilmès © Belga

« Nous vivons l’affaire Dutroux des soins de santé »

Tex Van berlaer
Tex Van berlaer Collaborateur Knack.be

Comment la crise de la Corona va-t-elle influencer la politique des partis ? Début de réponse avec le politologue Stefaan Walgrave (Université d’Anvers).

Dans quelle mesure les partis du gouvernement (CD&V, Open VLD et MR) peuvent-ils tirer un bénéfice électoral de leur approche de la crise ?

En général, les périodes de crise conduisent à une plus grande popularité du leader. C’est ce qu’on appelle l’effet « de ralliement autour du drapeau ». Mais dans la situation actuelle, il n’y a pas vraiment de drapeau pour se rallier. Pour beaucoup, la Première ministre Sophie Wilmès (MR) est toujours une illustre inconnue. De plus, il existe une sorte de vide, où les partis d’opposition maintiennent le gouvernement. La récompense des partis gouvernementaux est fort liée à la confiance dans la politique. Avant la crise du coronavirus, cette confiance était très faible par rapport à 2014 et 2009. Les querelles politiques autour de la formation ont dû laisser d’énormes traces. Nous partons d’un niveau plancher et je me demande si cette crise aura fait du bien.

Leur popularité ne bénéficiera pas du tout de cette crise?

Nous savons, grâce à la recherche scientifique, qu’il y a un effet presque mécanique entre la visibilité d’un homme politique et sa popularité. Nous pouvons raisonnablement prévoir les résultats des élections personnelles en comptant la fréquence d’apparition d’une personne à la télévision. Il reste à voir si Wouter Beke (CD&V) en profitera, mais je suis presque sûr que Maggie De Block (Open VLD) gagnera en popularité. Regardez aussi Philippe De Backer (Open VLD). Il faudra qu’il reste en politique (rires). (NDLR : il comptait mettre fin à sa carrière politique après les élections du 26 mai 2019) Bien qu’il soit loin d’être certain que cette popularité personnelle rayonnera sur leurs partis. En d’autres termes : De Backer pourrait obtenir un bon résultat à Anvers, tandis que l’Open VLD n’en profite pas ailleurs.

Et qu’en est-il du plus grand parti, la N-VA ?

Je pense que c’était un revers pour le parti quand il a réalisé que le gouvernement minoritaire allait s’attaquer à la crise. Il mène l’opposition fédérale les poings liés. En même temps, le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) est sous l’égide du Conseil national de sécurité. C’est une situation très inconfortable.

Ne serait-ce pas une bonne idée d’organiser de nouvelles élections une fois la crise passée ?

Je pense que de nouvelles élections pourraient être désastreuses. La méfiance ne fera que conduire à des votes plus extrêmes, puis automatiquement à des négociations encore plus difficiles. Après, vous êtes avec la N-VA et le PS. Ce sont les partis les plus extrêmes en termes de dimension socio-économique et culturelle. Il n’est donc pas surprenant qu’ils n’aient pas réussi à trouver un accord. C’est une situation très inconfortable, car que se passera-t-il si on a un Vlaams Belang renforcé en Flandre, et un grand PTB en Wallonie ? Une crise politique ordinaire pourrait se transformer en une crise de régime.

Comment la crise va-t-elle influencer le discours politique ?

Pour dire les choses crûment : ironiquement, dans les prochaines années, nous ne nous préoccuperons peut-être plus du déficit budgétaire. Ce déficit sera de toute façon énorme et le contrôle de la Commission européenne sera assoupli. Cela change la donne. Le déficit budgétaire était suspendu comme une épée de Damoclès au-dessus des plans de tous les partis. Ce carcan budgétaire pourrait maintenant disparaître pour un temps. Les partis de gauche pourraient proposer des plans de redistribution coûteux, les partis de droite pourraient proposer des réductions d’impôts coûteuses. Dans la crise actuelle, l’idéologie ne joue pas un grand rôle, tous les gouvernements et tous les partis font de même, mais après la crise sanitaire, l’idéologie reviendra en force, peut-être même plus qu’avant. Ce sera également une période très importante au cours de laquelle les lignes seront fixées pour de nombreuses années à venir.

Le débat les coûts des soins de santé va également évoluer. Nous parlerons tous différemment du secteur des soins de santé. Il y aura une sorte d’inviolabilité. Il sera difficile de réaliser des économies dans le domaine des soins de santé, et peut-être dans celui de la sécurité sociale dans son ensemble. En ce sens, nous vivons aujourd’hui l’affaire Dutroux des soins de santé.

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