© PHILIPPE CORNET

Musées : Jacques Remacle, libre penseur

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Jacques Remacle et son asbl Arts et publics oeuvrent à la gratuité des musées en Fédération Wallonie-Bruxelles le premier dimanche de chaque mois : 150 établissements en sont déjà. Portrait d’un croisé de la culture pour tous.

Il ressemble à Lénine, en plus enrobé. Ça tombe bienpuisqu’il fréquente les Jeunesses communistes de 15 à 21 ans.  » C’était une façon d’être en rupture avec mes parents, la petite classe moyenne bruxelloise. Papa était magasinier dans le textile et terminera sa carrière professionnelle dans l’administration, à l’Onem. Maman était épicière volaillère à Forest. J’avais envie d’être à la gauche de la gauche. « Aujourd’hui, habitant une belle rue d’Ixelles, marié à une architecte d’intérieur anglaise, le quinqua de 1963 tempère ses latitudes :  » Avec l’âge et le statut d’indépendant, la nécessité d’entreprendre, je me contente d’être de la gauche laïque, même si j’ai des relations dans tous les milieux, y compris chez les libéraux et les démocrates-chrétiens.  » Manières douces, légers roulements d’yeux, gestes pondérés, rire gondolant, Jacques Remacle aurait fait un assez bon cardinal. Il a visiblement préféré une autre Eglise, celle de la culture.

Après les JC, il organise des messes rock alternatives. Promoteur un moment hébergé par les Halles de Schaerbeek, il pratique l’indie, voyage beaucoup, et fait des rencontres devenues souvenirs :  » Les choses étaient bien moins formatées qu’aujourd’hui. Je me souviens d’un concert de Nico aux Halles où le mythe s’est brusquement écroulé lorsque la rockeuse m’a demandé de la glace pour mettre dans sa Duvel (rires). Après six-sept années à tirer le diable par la queue, j’ai arrêté parce que je n’en vivais pas. J’ai repris l’unif et, entre 1989 et 1993, j’y ai fait une licence en sciences politiques, spécialité administration publique. « 

Militant patron

Celui  » qui s’emmerde vite dans la vie « passe ensuite entre 1993 et 1998au service culturel de la Ville de Mons.  » Dans la note argumentaire, j’expliquais que Mons devait se positionner comme ville européenne, et craindre moins la concurrence de Barcelone que celle de Liège. « Reconverti dans le lancement des Nuits blanches, manifestations nocturnes artistiques dans différentes villes, puis administrateur durant une décennie de La Compagnie des nouveaux disparus, une troupe de théâtre itinérante, Jacques Remacle milite un temps au PS.  » Il y a prescription puisque je n’y suis plus depuis dix-sept ans. Je suis un peu en commerce avec la politique donc je préfère taire pour qui je vote aujourd’hui, mais je suis de toute façon bien plus intéressé par la politique de projets que par la politique partisane. « 

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Arcanes sensibles des rapports inévitables entre politique et culture, financements et diffusion… Le destin se manifeste sous forme d’un décret poussé par la socialiste Fadila Laanan, alors ministre de la Culture de la FWB, faisant office de loi dès 2012 :  » Ça concernait 80 à 90 musées publics, sur les 500 que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles : l’obligation de la gratuité le premier dimanche du mois. « Avec la participation de Bernard Hennebert – éternel cosaque de la contre-culture, journaliste et écrivain spécialisé dans la défense des droits des consommateurs de culture -, Jacques Remacle fonde, en mars 2012, toujours en faveur d’une démocratisation de la culture, l’asbl Arts et publics dont il est aujourd’hui administrateur délégué,  » militant patron avec une équipe de quatre personnes qui m’épaule « . Pas forcément évident puisque – pour simplifier – le musée public n’a d’obligation de respecter le décret que lorsqu’il signe une nouvelle convention englobant ce point-là, d’où les délais de certaines institutions à se plier à la règle.  » Franchement, la réaction initiale des musées a été extrêmement diversifiée. En général, ils n’aiment pas trop qu’on interfère dans leurs affaires (sourire). Les mécanismes mis en place par la FWB ont également évolué : au début, elle a remboursé le coût des visiteurs gratuits et puis a travaillé selon un autre système, en réévaluant les subventions, la Fédération ajoutant quand même 5 millions d’euros sur la table muséale entre 2006 et 2012.  »

Désirs communs

L’élan décisif vient des musées qui, sans obligation légale de gratuité, rejoignent le mouvement.  » Je dirais que sur un peu plus de 150 musées, 60 % vient du public et 40 % du privé. C’est symptomatique que le 77e ayant décidé de pratiquer ce premier dimanche gratuit soit le musée Hergé !  » Le bel espace tintinesque de Louvain-la-Neuve  » a eu envie d’attirer plus de visiteurs et a trouvé l’initiative de gratuité sympathique « . Mais c’est davantage qui anime Jacques Remacle : il croit à la notion de service public, terme volontiers lessivé par le néolibéralisme des marchés.  » Cette idée est fondamentale dans notre démarche : d’une certaine façon, les musées qui demandent une subvention deviennent un service public. Le décret implique aussi la nécessité de gagner en professionnalisme et donc en qualité.  » L’homme cite volontiers les exemples du British Museum,  » gratuit depuis son ouverture au milieu du xviiie siècle « ,du Prado de Madrid, qui l’est lui  » tous les jours de 17 à 19 heures « , des musées fédéraux américains, des pendants italiens ou de cette Suède qui vient de se mettre à l’entrée libre.  » L’idée est évidemment que les gens qui découvrent un lieu gratuitement, y retournent ensuite, et paient l’entrée. « 

Pointant que la Flandre reste entre deux eaux – Ostende, Bruges, Gand pratiquent la gratuité pour leurs administrés uniquement – Jacques Remacle précise aussi sa mission :  » Les musées ont trois fonctions, étudier, conserver et montrer : nous travaillons sur le « montrer ». Il faut comprendre qu’en dehors des grandes expos devenues un énorme business – Harry Potter, Toutankhamon… -, les musées doivent conserver leur sens, sans se laisser engloutir par la tentation de l’événementiel. Ce que l’on fait aussi, c’est un travail de maillage entre les musées et les organisations sociales, notamment dans le cadre de la Museum Week de Twitter : par exemple, on a mis en relation le formidable petit musée de culture scientifique de l’ULB à Couillet et la maison des jeunes du coin sur des désirs communs. On expérimente aussi d’autres outils comme un jeu vidéo, l’ArtoQuest, que l’on peut télécharger sur notre site (1).  »

Une anecdote perso pour finir ?  » A l’école, je faisais du théâtre amateur : j’étais l’amant d’Antigone et Michel Draguet (NDLR : le directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique) jouait le garde…  » On n’en tirera aucune conclusion hâtive.

(1) www.artsetpublics.be

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