Carte blanche

MR-cdH : OPA hostile ou convergence d’idées ?

Le 13 juin dernier, sur le site du Vif paraissait un article du journaliste Nicolas De Decker dans lequel il faisait l’hypothèse d’un rapprochement très intime du cdH et du MR puisque le titre du texte était  » En route vers un grand parti de centre droit MR-CDH ? « . On sait que le parti réformateur, dans une pratique proche de celle des milieux d’affaires qu’il défend, n’est pas avare des offres publiques d’achat plutôt hostiles à l’égard des entreprises politiques en difficulté. On peut s’interroger sur le sens d’une telle manoeuvre qui n’a rien d’une logique ayant un sens politique mais tout du machiavélisme de court terme.

Il est évident que le parti cdH est en difficulté depuis quelques décennies. Alors qu’il rassemblait entre 25 et 30% des suffrages lorsqu’il s’appelait encore PSC (parti social-chrétien) et qu’il faisait la pluie et le beau temps en politique belge avec son grand-frère du nord, le CVP (devenu CD&V), le cdH n’a plus le soutien que de 10,7% des électeurs wallons et de 5,8% des Bruxellois. Sur le site du Vif, Nicolas De Decker a décrit avec ironie les multiples et vaines tentatives de renouveau du parti à l’étiquette originellement chrétienne mais devenu aujourd’hui « humaniste ». Certains dans le Mouvement Réformateur, qui a déjà réussi de nombreux débauchages individuels, sembleraient à nouveau suggérer une fusion au profit d’une nouvelle formation de centre-droit agrégeant MR et cdH. Ce qui fut en fait une absorption dans le cas du MCC de Gérard Deprez, ne conduirait-il pas à une trahison des valeurs que prétend porter le cdH ? Plutôt que d’aborder la question de l’avenir de la formation humaniste sous l’angle d’un marketing électoral assez médiocre, ne conviendrait-il pas de tenir compte du contenu du projet politique de l'(ex ?) parti humaniste.

La fin du clivage laïc/confessionnel

Si le cdH perd continuellement des partisans, ne serait-ce pas parce que le clivage Église/État n’a plus guère de sens en ce début de XXIe siècle ? Si, par le passé, l’influence de la religion sur les choix politiques était importante, ce positionnement tend aujourd’hui à s’estomper progressivement. Vincent de Coorebyter a décrit lumineusement les 5 ou 6 clivages qui expliquent la structuration de la vie politique autour de 5 ou 6 clivages fondateurs dont 3 essentiels[1] dans « Clivages et partis en Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP 2008/15 (n°2000, pages 7 à 95) (consultable en ligne sur Cairn-info).

Déjà en 2008, de Coorebyter considérait que ce clivage, s’il n’était pas totalement dépassé, était clairement « pacifié ». La domination cléricale étant en voie de disparition, les autres partis n’affichent plus guère une laïcité militante et les partis confessionnels sont ainsi en manque d’adversaires. La tolérance religieuse se développe dans les démocraties libérales (au sens politique et pas économique) et il a fallu l’irruption du fondamentalisme d’origine musulmane pour que des polémiques politiques renaissent sur ce terrain. Mais les partis chrétiens ne sont évidemment pas des relais dans ce débat, au contraire, et comme les autres tendances politiques, ils tentent de renvoyer la question de la foi à la sphère privée et proposent des accommodements plus ou moins raisonnables pour évacuer des conflits que l’on peut considérer comme venus « du passé ». Mais alors, quelles sont les valeurs fondatrices que souhaitent défendre ceux qui se sentent proches, aujourd’hui encore, de la formation humaniste ?

Lors de la plus profonde réforme du parti chrétien, au début des années 2000, sous l’impulsion de Joelle Milquet, le C (chrétien) a muté vers le H (humaniste). Ceux qui réfléchissaient au positionnement de la formation centriste, ont remis en avant la notion de personnalisme[2].

Le personnalisme chrétien est né dans les années 1930, notamment sous l’impulsion d’Emmanuel Mounier et de Jacques Maritain. Cette pensée s’est exprimée principalement via la revue Esprit, toujours bien vivante en 2019. Pas simple de résumer ce qu’est ce projet philosophique et politique centré sur « la personne ». On retiendra la définition de Daniel-Rops : « Est-il besoin de répéter […] que la personne n’a rien de commun avec l’être schématique mû par des passions élémentaires et sordides, qu’est l’individu. Un personnalisme conscient s’oppose même à l’individualisme dont s’est grisé le XIXe siècle. La personne, c’est l’être tout entier, chair et âme, l’une de l’autre responsable, et tendant au total accomplissement. » On peut donc en conclure que le personnalisme va à l’encontre de l’individualisme qui est, justement, une valeur centrale portée par le parti réformateur. Le mariage MR-cdH apparaît donc contre nature et promet une disparition programmé des valeurs qu’entendent défendre les derniers humanistes chrétiens. L’impasse alors… ou… ?

Convergence de valeurs

Quand on étudie l’histoire du personnalisme, on découvre que l’une de ses tendances importantes fut le « personnalisme gascon », porté par deux penseurs bordelais, Bernard Charbonneau et Jacques Ellul. Mais, mais… : Charbonneau et Ellul, ce sont deux références majeures que ne cessent de citer les écologistes. Ellul, fut le premier francophone à décrire les terribles effets dévastateurs du « système technicien » qu’il a dénoncé durant 5 décennies, notamment dans La Technique ou l’Enjeu du siècle, paru en 1954. Quant à Charbonneau, il faut lire Le sentiment de la nature nous rend révolutionnaires, paru en 1937, pour réaliser que plus écolo que lui, tu meurs…

Et justement, si le clivage Église/État est en voie de disparition (non seulement en Belgique mais dans toute l’Europe occidentale), l’analyse précitée de Vincent de Coorebyter décèle l’apparition d’un 5ème nouveau clivage, de plus en plus déterminant sur la scène politique de nos pays : le clivage productivisme/anti-productivisme. Si certains ont pu douter de la durabilité politique de cette logique post-matérialiste, ces deniers temps ont montré que, à côté de la percée rétrograde des nationalistes d’extrême droite, la seule force politique démocratique en expansion est celle des verts, et ce presque partout en Europe. Quand des dizaines de milliers de jeunes envahissent les rues en criant qu’il « faut sauver la planète  » et que donc « nous devons changer de mode de vie« , ils traduisent là en quelques mots le message de ceux qui, depuis une cinquantaine d’années[3] adjurent d’arrêter la course folle du productivisme et consumérisme vers la destruction des écosystèmes qui permettent la vie sur Terre.

Dans les années 1930, période troublée et angoissante, les personnalistes essayaient de trouver une autre voie que celles qui faisaient peur : le communisme à gauche et le fascisme à droite. Après la terrible épreuve de la Seconde guerre mondiale, les idées personnalistes sont toujours là alors que communisme et fascisme/nazisme ont été défaits.

Jeux d’appareils ou rapprochement politique de fond ?

En 2019, comme dans les années 30, l’angoisse monte face à des périls de plus en plus ressentis par une majorité de la population. Comme le décrit fort bien Bruno Latour dans Où atterir ?, nos sociétés sont écartelées entre deux tendances aussi inquiétantes l’une que l’autre. D’un côté, le néolibéralisme dominant veut encore accélérer le « progrès » en s’appuyant sur la trilogie science-technologie-industrie, au risque de laisser sur le bas-côté du chemin de plus en plus de « déclassés » et de détruire la capacité de la planète à résister aux agressions des humains, toujours plus déchaînés. De l’autre côté, les apeurés sont tentés de se réfugier dans un passé fantasmé et se laissent séduire par des opportunistes de droits extrême qui leur font miroiter les mirages du repli sur soi et du rejet des différences.

Les écologistes sont ceux qui incarnent aujourd’hui une alternative (à 90° dit Latour) à cette opposition binaire. Comme les personnalistes des années 30, ils veulent plus de mesure, de modération, d’équilibre. Ils proposent de ne plus se focaliser sur un matérialisme borné et sur un rationalisme déshumanisé mais de réintroduire de l’éthique, du respect de l’humain, avec sa fragilité (rejet de la fascination pour les « hommes augmentés » des transhumanistes).

Beaucoup de voix commencent à dire qu’il est scandaleux de perdre son temps en jeux politiciens stériles et que l’urgence (notamment climatique) impose, non pas de nier les clivages, toujours bien là, mais de les dépasser dans l’intérêt commun. On assiste, à gauche, à l’émergence, difficile mais réelle, de ce que certains appellent l’écosocialisme. Les dirigeants cdH, qui comme sont c l’indique, se veulent centristes, comprendront-ils que l’avenir de la politique va dorénavant s’articuler autour de ce clivage productivisme/post-productivisme ? Ont-ils lu la dernière encyclique papale, Laudato Si’, carrément écologiste, voire même prônant la décroissance chez les privilégiés que nous sommes presque tous dans nos pays dit développés ? S’ils ne choisissent pas leur camp (le douteux « ni-ni » ou « en même temps« ), en se réfugiant derrière un autre clivage faible, le rural/urbain, ou s’ils choisissent le productivisme incarné par le MR, il est à craindre que ceux qui les soutiennent encore se détourneront définitivement d’une pensée qui, pourtant, a façonné les 189 années d’existence du Royaume de Belgique.

Alain Adriaens, député bruxellois honoraire,

porte-parole du mouvement des objecteurs de croissance

[1] « … trois  »tensions profondes de la société belge » qui correspondent à ce que Lipset et Rokkan appelleront les clivages Église/État, possédants/travailleurs et centre/périphérie…. »

[2] Voir par exemple, Paul Piret, « Un PSC moins centriste, personnaliste, chrétien? », La libre Belgique, 21 février 2001.

[3]1972 : Halte à la croissance ?, rapport de Meadows&al, chercheurs du MIT soutenus par la Club de Rome.

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