Le Roi Philippe de Belgique défile sur un char lors de la parade militaire de la fête nationale belge. © BELGA

Monarchie, stop ou encore?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La N-VA a prévenu que sa première cible institutionnelle, en 2019, serait la monarchie. D’autres partis flamands souhaitent réduire les pouvoirs du roi. Une crise de plus en perspective ?

Mathilde, « usurpatrice » ? La dernière flèche aux plumes noires et jaunes décochée contre la monarchie, le mois dernier, avait une pointe acérée. Elle est sortie du carquois d’un duo d’archers opiniâtre : les députés N-VA Hendrik Vuye et Veerle Wouters. Selon les deux parlementaires, la reine, qui devait recevoir le 15 juin le président de la Banque mondiale, outrepasse son rôle. « Seul le roi a le droit de recevoir une haute personnalité en audience, estime Vuye. Le chef de l’Etat, ce n’est pas un couple. Le souci est que l’épouse du roi régnant, qui n’a aucune existence constitutionnelle, n’est pas couverte politiquement. » Le Palais a fait valoir que l’entretien n’était pas politique et qu' »il y a eu concertation avec le gouvernement ».

Les deux députés fédéraux ne ratent pas une occasion de s’en prendre au trône. En février, ils ont accusé Philippe de ne pas avoir respecté la Constitution. En cause : le consentement du roi à l’union du prince Amedeo, fils d’Astrid et de l’archiduc Lorenz. Le Vif/L’Express venait de révéler que ce consentement avait été donné, avec effet rétroactif, en novembre 2015, seize mois après le mariage, et cela sans que les Chambres ne soient consultées, comme le prévoit la Constitution. Une flèche N-VA contre le roi, une autre contre la reine : chacun son tour.

La monarchie à nouveau ciblée

Ceux qui, début 2015, relevaient que les Saxe-Cobourg-Gotha avaient disparu des écrans radars des nationalistes flamands doivent admettre que les réflexes républicains reprennent le dessus. Et cela alors même que les dossiers communautaires sont, en principe, au frigo pour trois ans encore. Le parti de Bart De Wever a beau faire partie de la coalition au pouvoir, son aile dure ne résiste pas à la tentation de remettre sur la sellette les membres de la famille royale.

Ainsi, le séjour de Philippe et Mathilde en thalasso à Quiberon, du 20 au 22 novembre, au moment où Bruxelles passait en alerte terroriste maximale, a été l’occasion, pour les parlementaires N-VA de pointer une absence qui « prouve l’inutilité du roi. » Toutefois, la diffusion de photos de l’escapade bretonne, montrant le roi en peignoir, un cocktail à la main, aura fait plus de tort à l’image de la royauté que les piques du premier parti de Flandre.

Réduire la dotation ?

La N-VA s’est aussi manifestée après la publication d’un rapport de la Cour des comptes épinglant les dépenses du prince Laurent. Ce rapport révélait que le frère du roi a fait passer des dépenses privées – vacances de ski, frais de scolarisation, tickets de caisse – en notes de frais. Du coup, le parti a déposé, le 17 décembre, une proposition de loi visant à éteindre en cinq ans les dotations d’Astrid et de Laurent (319 000 et 306 000 euros par an). Arguments invoqués : les deux princes « n’accéderont jamais au trône » et « leurs activités occasionnelles sont loin de justifier le montant de leur dotation ». Quelques jours plus tôt, un autre parti flamand, le SP.A, avait demandé que l’on réduise d’un tiers la dotation de Laurent. L’amendement a été soutenu par le PS et les verts, mais a été rejeté par la majorité et le CDH.

Au-delà des dotations, l’institution monarchique elle-même est dans la ligne de mire flamande. La N-VA a fait savoir que sa première cible institutionnelle, en fin de législature, serait la monarchie. Faute de majorité au Parlement pour l’abolir, le parti nationaliste veut priver le roi des Belges de tout pouvoir et influence. Sans attendre 2019, Hendrik Vuye et Veerle Wouters ont présenté, à la mi-avril, un livre-programme, De maat van de monarchie (la mesure de la monarchie), non traduit en français, qui remet en cause le statut de la fonction royale, jugé « complètement dépassé », et son financement, considéré comme « pas assez transparent ». La charge est frontale : le souverain est décrit comme « superflu et inutile ».

Pétard mouillé

Mais la « bombe » républicaine n’aura été qu’un pétard mouillé : pas de vagues politiques, ni de commentaires de constitutionnalistes et autres spécialistes de la fonction royale. Dans une Belgique encore sous le choc des attentats de Bruxelles, où la menace terroriste est maintenue au niveau 3, et où toute l’attention s’est portée sur les dysfonctionnements de l’Etat sur le plan sécuritaire, les démissions de ministres – refusées ou non -, le fiasco des tunnels de la capitale et les mouvements de contestation sociale, le timing politique du plaidoyer nationaliste flamand en faveur d’une monarchie strictement protocolaire était mal choisi.

« Cette sortie était déconnectée des réalités du moment, confirme un parlementaire francophone. Même en Flandre, le livre n’a pas rencontré beaucoup d’intérêt. » D’autant que l’attitude du roi Philippe après les attentats du 22 mars a été plutôt bien perçue : message au peuple belge sur les chaînes nationales, visites aux victimes dans les hôpitaux, déplacement dans le métro à la station Maelbeek. En outre, cette attaque contre la monarchie n’a pas vraiment surpris : elle émane d’un parti qui affirme haut et fort sa volonté de supprimer un symbole de l’unité nationale.

Une monarchie déjà républicaine

Les deux parlementaires de la N-VA plaident pour une « monarchie républicaine », ce qui a surpris un proche du Palais : « Nous avons adopté ce type de monarchie dès 1831. Aucun acte du roi n’a d’effet s’il n’est couvert par un ministre. La Belgique a donc, depuis près de deux siècles, un souverain dépourvu de prérogatives personnelles. » Ce principe n’a pas toujours été respecté, surtout au XIXe siècle. Mais l’irresponsabilité politique du souverain, garantie par le contreseing ministériel, a été réaffirmée en 1949, en pleine Question royale. La « commission Soenens » a remis en cause certaines interprétations jugées trop larges des pouvoirs royaux.

Deux ans plus tard, Paul-Henri Spaak, alors écarté du pouvoir, publiait, dans Le Peuple, un article qui grossit à peine le trait : « Le roi est bien plus un symbole qu’un élément actif de gouvernement… On lui témoigne le respect, la déférence plus qu’à n’importe qui d’autre. Le protocole enseigne, stupidement, qu’on ne l’interroge pas ; qu’on peut seulement répondre à ses questions. On l’entoure de mille manifestations en tout genre qui sont de nature à troubler le cerveau le plus solide, et après cela, on lui dénie tout pouvoir personnel. » Et l’ancien Premier ministre belge d’ironiser sur « cette espèce de monarchie républicaine que nous ont léguée les révolutions d’Angleterre, de France et la nôtre. Nous avons gardé le décor, une certaine tradition, nous avons extirpé l’esprit de l’institution. »

Trouver des soutiens en Flandre

Sauf maladresse retentissante du roi Philippe ou de son entourage, la remise en cause des pouvoirs et de l’influence du souverain restera, jusqu’en fin de législature, un sujet politique tabou. En ces temps où les grèves francophones de longue durée ont creusé un peu plus le fossé entre le nord et le sud du pays, l’heure n’est pas, pour le MR et d’autres partenaires de la suédoise, à réfléchir à l’avenir de la monarchie. Reste, pour le parti de Bart De Wever, un objectif à plus long terme : faire vivre le débat en Flandre, trouver des soutiens dans la population et des alliés parmi les autres partis flamands en vue de réduire la fonction royale à un symbole.

Plusieurs partis flamands souhaitent en effet limiter les pouvoirs du roi. En juillet 2013, l’Open VLD et Groen avaient exprimé leur volonté d’ouvrir à révision, en 2019, les articles de la Constitution relatifs au rôle du souverain. L’idée serait de découpler la fonction royale du processus politique et de supprimer la sanction royale et la nomination des ministres par le roi. Le SP.A s’est lui aussi prononcé en faveur d’un tel débat. Plus ambigu, le CD&V a, en certaines occasions, défendu l’idée d’un effacement du rôle politique du roi, y compris de conseil.

Non au roi « sourd, aveugle et muet »

Côté francophone, PS et MR ne seraient pas opposés à une modernisation de l’institution – abolition de la sanction des lois par le roi… -, mais rien de concret n’est avancé. Seuls quelques rares « francs-tireurs » sortent du bois : un député socialiste wallon, Pierre-Yves Dermagne, s’est prononcé récemment en faveur de l’abolition de la monarchie ; moins radical, Yvan Mayeur, bourgmestre PS de Bruxelles, a estimé, à propos de l’affaire Delphine Boël, qu’il était « temps que notre monarchie entre dans le XXIe siècle ». En revanche, le député Francis Delperée a prévenu que le CDH ne soutiendrait pas une réforme dont le but serait de réduire la monarchie à un rôle purement protocolaire, « avec un roi sourd, aveugle et muet ».

Le pays lui-même est divisé. Un sondage sorti à l’aube du règne actuel révélait que les deux tiers des francophones souhaitaient conserver en l’état les pouvoirs du roi, alors que seulement un tiers des Flamands étaient de cet avis. Près de la moitié des sondés au nord du pays voudraient que le souverain n’ait plus qu’une fonction symbolique, contre 21% des francophones. Et 80 % des francophones tiennent à ce que le roi continue à jouer un rôle dans la formation du gouvernement fédéral, alors que seuls 45% des Flamands partagent ce point de vue.

L’idée de « revoir un peu les pouvoirs les pouvoirs du roi fait son chemin, et pas seulement au nord du pays », confiait, en juillet 2013 au Vif/L’Express, le constitutionnaliste de l’UCL Marc Verdussen. Est-ce encore vrai trois ans plus tard ? Dans un pays soumis à des forces centrifuges et promis à de nouvelles turbulences communautaires à partir de 2019, ramener la monarchie à un simple ornement ouvre une perspective hasardeuse. Le très républicain François Perin avait fait sienne cette boutade du roi Farouk d’Egypte : « Bientôt, il n’y aura plus que cinq rois : le roi de pique, de trèfle, de carreau, de coeur et le roi d’Angleterre. »

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