Très exposés aux tempêtes, les plus vieux peuplements de hêtres s'écroulent les uns après les autres. © BRUXELLES ENVIRONNEMENT

Menacée, que va devenir la forêt de Soignes ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Avec sa hêtraie cathédrale et son relief non modifié depuis plus de dix mille ans, la forêt de Soignes est unique au monde. Mais que va devenir le massif, menacé par le changement climatique et l’explosion démographique à Bruxelles ?

Ce n’est pas un futurologue alarmiste qui l’affirme, mais le très sérieux Bureau fédéral du plan : selon les projections actuelles, la population de Bruxelles aura augmenté de près de 30 % à l’horizon 2060. Une croissance deux fois supérieure à celle attendue dans les autres Régions. La capitale comptera alors plus d’1,5 million d’habitants. Quel rapport avec l’avenir de la forêt de Soignes ?  » Ce boom démographique va accroître la pression sur le massif « , répond Stéphane Vanwijnsberghe, ingénieur forestier et expert au cabinet de Céline Fremault, la ministre régionale de l’Environnement.  » Une question se pose déjà avec acuité : quelle valeur donne-t-on à la nature sauvage dans le développement de la ville ? Tout le défi est d’éviter un basculement vers une nature-décor.  »

Localisé à moins de dix kilomètres du centre de Bruxelles, le poumon vert de la capitale est reconnu mondialement pour ses paysages de hêtraie cathédrale. Autre particularité : son relief et ses sols n’ont pas été modifiés par l’agriculture ou le pâturage depuis la fin de la dernière glaciation, il y a plus de dix mille ans ! Le massif sonien couvre 4 383 hectares, répartis entre les trois Régions : 56 % en Flandre, 6 % en Wallonie et 38 % à Bruxelles. La partie bruxelloise est la plus imbriquée dans des zones très peuplées et urbanisées. La forêt est morcelée en outre par les axes de communication qui la traversent : drèves, routes, autoroute, ring, voies de chemin de fer.  » Autant d’obstacles pour les animaux, des chevreuils aux batraciens « , relève le garde forestier Willy Van de Velde, de Bruxelles Environnement.

Défragmenter la forêt

D’où l’importance de défragmenter les massifs, grâce à des tunnels à faune et des écoducs. Un premier pont végétalisé a été construit après l’élargissement de la ligne Bruxelles-Arlon pour le RER. Un deuxième écoduc est en construction au- dessus du ring, comme le savent trop bien les automobilistes coincés dans les embouteillages entre Groenendael et Waterloo. De grande envergure, il est financé par des fonds européens et régionaux et devrait être terminé fin 2017.  » Les gens s’étonnent ou s’indignent que l’on coupe des arbres pour construire un pont et installer à ses abords une clôture, constate Willy Van de Velde. Ils oublient que les chevreuils, sangliers, renards ou blaireaux qui s’essaient à traverser les axes routiers en réchappent rarement.  »

Autre défi : la forêt est fréquentée par de très nombreux promeneurs, joggeurs, cyclistes, cavaliers, pique-niqueurs, mouvements de jeunesse. Cette surutilisation a fragilisé son équilibre écologique et biologique.  » Pas simple de concilier les attentes et besoins des usagers avec la préservation de ce patrimoine exceptionnel, convient Stéphane Vanwijnsberghe. Le public doit être éduqué au respect de la forêt. Des promeneurs se livrent à la cueillette intensive des jacinthes sauvages ou des champignons des bois. Des maîtres laissent courir leurs chiens, qui sont des prédateurs pour les chevreuils et d’autres animaux. On voit même en forêt de plus en plus de dog-sitters, qui baladent de nombreux chiens à la fois.  » Le site Internet d’un service bruxellois de dog walking n’hésite pas à vanter ainsi les prestations fournies :  » Nous amenons votre chien en forêt où il pourra s’ébattre en toute liberté… « .

Il y a de plus en plus de dog-sitters en forêt qui baladent de nombreux chiens. Une menace pour les chevreuils et autres animaux sauvages.
Il y a de plus en plus de dog-sitters en forêt qui baladent de nombreux chiens. Une menace pour les chevreuils et autres animaux sauvages.© WILLY VAN DE VELDE

Des coupes  » massives  » ?

Ces dernières décennies, les préoccupations récréatives et paysagères n’ont cessé de prendre de l’importance en forêt de Soignes. D’où les réactions de plus en plus négatives du public aux coupes de bois. Entre 1995 et 1998, le prix du bois de hêtre, stimulé par la demande chinoise, atteint un prix record : 200 euros le mètre cube, contre environ 80 euros aujourd’hui. Une rumeur se propage alors selon laquelle la forêt est surtout gérée pour faire du profit. Des articles dénoncent les coupes  » massives « , le Parlement interpelle le ministre de tutelle.

Les débats aboutissent à un compromis, traduit dans le plan de gestion adopté en 2003. Son objectif est de tendre vers une forêt  » sociale « , pour satisfaire à la fois les fonctions récréative, paysagère, éducative et de conservation de la nature. L’espace forestier est divisé en secteurs. Toujours pratiquée, la gestion sylvicole vise plus à l’entretien du massif qu’à la production de bois. Le plan de 2003 reste d’application en attendant le nouveau, dont d’approbation est attendue courant 2018.

Transmettre une forêt résiliente

Si un nouveau plan s’impose, c’est parce que la gestion forestière doit tenir compte d’une autre menace qui pèse sur le massif : le changement climatique. Les études universitaires sur les cernes des arbres, réalisées en 2009 et 2015, montrent que les années de grande sécheresse printanière et de canicule estivale affectent la croissance du hêtre, espèce très majoritaire en forêt de Soignes. Les prévisions pour les décennies à venir présagent une rapide aggravation.  » Nous allons avoir un climat similaire à celui qui règne aujourd’hui à Nantes, estime l’ingénieur forestier. Or, la présence du hêtre est rare au sud de la Loire. Les arbres actuellement plantés en forêt de Soignes seront soumis à des aléas climatiques bien différents de ceux d’aujourd’hui. Le hêtre ne devrait pouvoir se maintenir que dans les vallons humides. Le chêne pédonculé, mal adapté lui aussi, peut être remplacé par le chêne sessile.  »

Très exposés aux tempêtes de plus en plus fréquentes, les plus vieux peuplements de hêtres, dont beaucoup ont plus de 150 ans, s’écroulent les uns après les autres.  » La hêtraie cathédrale qu’ont connue les anciens n’existe plus depuis la tempête de 1991 « , confirme Stéphane Vanwijnsberghe. Face au changement climatique, il est prévu de réduire progressivement la proportion de hêtres de 65 à 50 %. En 2010, Bruxelles Environnement a été accusé par certains politiques et des associations de ne pas respecter le plan de gestion : trop de hêtres seraient coupés, trop peu seraient replantés. La polémique a fini par retomber. Pour transmettre aux générations futures une forêt résiliente, il est désormais largement admis qu’il faudra donner la priorité aux essences les mieux adaptées au climat de demain.

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