Marc Goblet © Belga

Marc Goblet : « Moi, le bras armé du PS ? Une connerie sans nom ! »

Le secrétaire général de la FGTB est devenu le « meilleur ennemi » du Premier ministre Charles Michel, qui voit en lui le « bras armé du PS ». Lui s’en défend farouchement et, s’il tire à vue sur le gouvernement fédéral, entend garder son indépendance. La preuve ? Il ne prendra pas la parole le 1er mai. Rencontre avec un syndicaliste qui ne garde pas sa langue dans sa poche.

Comment voyez-vous Charles Michel ? Comme quelqu’un aux idées tranchées, mais qui laisse quelques ouvertures ?

Si vous parlez en direct et en privé avec lui, il est possible de lui exposer un point de vue. Sa difficulté, évidemment, c’est qu’il doit ensuite aller devant son gouvernement où la N-VA et le bourgmestre d’Anvers lui rappellent qu’il est certes Premier ministre, mais que la N-VA est le premier parti, qu’il ne représente qu’un quart de la population francophone.

Cela se sent ?

Bien sûr ! Je vais vous donner un exemple très concret : l’accord-cadre sur les prépensions. Dans leur projet d’arrêté royal, ils avaient fixé, comme condition pour le départ à la prépension, la « disponibilité active », et ce avec un effet rétroactif. Pour nous, c’était inacceptable. Charles Michel m’avait promis, avec Kris Peeters, que si nous parvenions à un accord au sein du Groupe des Dix, le gouvernement l’appliquerait. Nous avons eu des réunions avec des experts des cabinets ministériels qui étaient, eux aussi, assez ouverts. Au bout du compte, des modifications sont intervenues qui ne sont pas anodines : nous parlions de « disponibilité passive », ils ont transformé cela en « disponibilité adaptée », mais qu’est-ce que cela veut dire ? J’ai bien mon idée sur cela implique : quelqu’un qui est qualifié et qui travaille dans des métiers en pénurie n’osera plus prendre sa prépension parce qu’avec cette « disponibilité adaptée’, on lui proposera un autre travail dans les quinze jours. C’est la volonté N-VA – Open VLD qui est à l’oeuvre !

Je le dis clairement : de gouvernement va entièrement dans la logique de la Flandre. En raison de sa démographie, les partis flamands du gouvernement veulent faire travailler les gens plus longtemps, d’autant que ce n’est pas un scoop de dire qu’ils n’ont pas envie de voir arriver des étrangers.

L’attitude du gouvernement est vexatoire à l’égard des syndicats. Il s’agit vraiment de nous demander un avis pour la forme, mais c’est lui qui décide.

Y’a-t-il moyen de parler de cela avec Charles Michel ?

Non. Nous lui avons envoyé un courrier au nom du Groupe des Dix pour lui demander des explications, il nous a répondu que nous les aurions au moment où sortiraient les arrêtés, que le gouvernement ne reviendrait plus sur sa décision. Je trouve que ce n’est pas correct.

Un autre exemple ? La veille de la négociation sur la marge salariale, je l’avais eu au téléphone pour lui expliquer les difficultés que nous avions : nous pouvions démontrer que le saut d’index n’était pas utile et que nous pouvions résorber notre handicap salarial tout ayant une marge de 0,74 % à négocier dans les secteurs. Je lui avais dit aussi que si nous ne parvenions pas à un accord, il était possible de faire appel à une médiation. Je suis certain qu’il y a eu des coups de fil vers les patrons, de Kris Peeters vers la CSC, mais comme par hasard, l’accord final intégrait le saut d’index et, ne laissait qu’une marge riquiqui de 0,5 % bruts ou 0,3 % nets. Le gouvernement a en outre décidé de faire un cadeau aux employeurs en ce qui concerne les chèques repas.

Faites-vous encore confiance au Premier ministre ?

Non, je ne peux plus lui faire confiance. Il est pieds et poings liés dans le système dans lequel il s’est inscrit. Cela me fait sourire quand le MR ne cesse de dire que je suis le porte-parole de Di Rupo ou le bras armé du PS. Ce sont des conneries sans nom ! Imagine-t-on que je puisse appeler les centrales et les régionales pour décider que ce serait comme ça et qu’en plus tout le front commun suivrait ? C’est une absurdité totale.

Pourquoi utilise-t-il cet argument ? Pour justifier le fait qu’ils vendent les francophones et les Wallons à la N-VA. La vraie analyse politique, c’est celle-là. On vient encore de le voir avec le contrôle budgétaire : sans aucune concertation avec les régions, on affirme qu’il y a 750 millions de recettes fiscales en moins dont 250 pour la Wallonie, 400 pour la Flandre et 100 pour Bruxelles. On n’explique même pas. Charles Michel veut-il tuer la Wallonie ?

Cette absence de concertation est cavalière et je dirais même irresponsable parce qu’en politique, les choses changent : il va mettre la Wallonie dans une situation impossible, mais dans quel était la retrouvera-t-il le jour où il sera amené à la gérer à nouveau ? Moi, je suis très inquiet de son attitude.

Je l’entends dire qu’il faut être attentif à ceux qui se lèvent tôt. Mais les travailleurs, ils ne se lèvent pas tôt ? Ceux qui font les ponts, ils se lèvent plus tôt que son libraire, hein, moi je vous le dis ! On leur applique un saut d’index, on enlève toute marge de négociation et, dans le même temps, on ne fait rien contre le capital, on fait des cadeaux aux employeurs… Nous continuerons à aller dans leurs groupes de travail, notamment en matière de pensions, mais pour démontrer l’absurdité de leurs mesures. Je suis tout prêt à mener un vrai débat sur l’emploi. J’entends que l’on dit de moi que je suis contre le changement : c’est n’importe quoi, j’ai plein de propositions que je pourrais formuler, mais comme il s’assoient dessus…

Diriez-vous que Charles Michel est borné idéologiquement ?

Je ne le connais pas suffisamment, mais après notre première réunion en aparté, j’avais plutôt le sentiment que c’était quelqu’un avec qui on pouvait avoir un espace de négociation, mais il s’est enfermé dans un modèle de gouvernement. Et il fonctionne sur base de caricatures. Ce qui est pire, c’est que tant le saut d’index que l’allongement de l’âge de la pension, il avait promis pendant la campagne que le MR ne participerait pas à ça. Alors… En terme de crédibilité, objectivement, c’est difficile de le comprendre. Et quand on attend maintenant les louages des ministres MR à l’égard de la N-VA, qui occupent toutes les fonctions régaliennes, c’est inquiétant.

Est-il otage de la situation ?

Oui, mais parce qu’il le veut bien. En tant que Premier ministre, ce serait dramatique pour lui de tirer la prise sur le plan électoral. Il s’est mis dans une situation où il doit aller jusqu’au bout de la législature. Mais qu’est-ce qu’il aura fait comme mal aux Wallons et aux francophones. Toutes les mesures qui touchent les chômeurs, les travailleurs âgés, c’est du côté francophone que cela fait le plus mal. Il y avait déjà eu l’exclusion des chômeurs lors de la précédente législature, mais ici, on va plus loin.

A-t-il mis le social de côté ?

C’est clairement ça. Moi, je ne suis pas contre les réformes, mais si c’est pour conduire à l’appauvrissement des gens, ça, jamais avec moi hein ! Je veux quand même toujours me regarder dans le miroir comme syndicaliste et regarder les travailleurs en face.

Avez-vous le sentiment qu’il vous utilise comme son meilleur ennemi ?

Oui, bien sûr, comme celui qui est dépassé, archaïque, irresponsable, pour justifier ses politiques antisociales soi-disant faites pour assurer le financement de la Sécu. Moi, je vois que la Sécu, elle a un déficit lié à la modération salariale, aux pertes d’emploi et aux cadeaux faits aux employeurs. Où est-elle sa logique ? Se rend-on compte que quelqu’un, avant d’aller se faire soigner, a intérêt à avoir les moyens ou une bonne assurance hospitalisation, et encore ?

Parfois, quand je vois des réactions de citoyens à la limite de l’insulte à l’égard de gens qu’ils ne connaissent même pas, je me demande : dans quelle société vivons-nous ? Il ne faut jamais être malade, ne pas devenir chômeur ni pensionné. Ceux qui voient leur petit confort personnel aujourd’hui doivent savoir qu’ils peuvent se retrouver un jour en bas de l’échelle. Personne ne peut dire ce qui peut arriver demain. Nous, c’est cela que l’on défend ! Nous ne sommes pas là pour défendre la poche des actionnaires. Prenons l’exemple de la taxe Caïman : 57 milliards sont dans les îles Caïman, ils espèrent en récupérer 460 millions et des experts fiscaux disent déjà qu’en modifiant les structures des entreprises, ils pourront contourner la mesure. On se moque de qui ? Quelque société voulait-on ? Moi, je me refuse d’être dans une société comme ça. Et je ne défends pas la fraude sociale, hein, que l’on ne se trompe pas, cela mine aussi la sécurité sociale.

Les relations avec le gouvernement sont-elles difficiles pour la FGTB ?

Oui, surtout quand vous entendez en négociations une imbécilité du style « l’opposition est représentée à la table ».

C’est Charles Michel lui-même qui l’a dit ?

Non, un des négociateurs, mais il ne réagit pas, c’est donc qu’il cautionne. Cela glisse sur ma carapace, mais c’est petit. Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’il n’a pas la main. J’ai l’impression que la sortie de Geert Bourgeois demandant que l’on se retire de la francophonie, c’était du show pour qu’il puisse montrer son autorité. Cela contrebalançait le débat budgétaire. Mais c’est sur l’essentiel qu’il devrait montrer qu’il défend les francophones. Je pense qu’il a perdu ses repères, voir ses convictions.

Il fait un sorte de quitte ou double stratégique face au PS aussi, non ?

Il a mis le PS hors du fédéral, l’objectif suivant est d’essayer qu’il ne soit plus dans les Régions. Il faut dès lors que l’on mette la FGTB au ban, que l’on essaye de la dissocier de la concertation et de casser le front commun avec la complicité du CD&V.

Il y a aussi eu des tensions avec Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, après une conférence de presse commune avec le PS et la Mutualité socialiste à laquelle vous avez participé ?

Les médias ont été excessifs par rapport à ça. Ils n’ont pas repris le contexte réel dans lequel cela se faisait : c’était dans le cadre d’une campagne CNCD sur la protection sociale. Nous avons bien expliqué dès le départ que c’était dans ce contexte. Si maintenant les socialistes qui sont quand même à la base de la construction de la sécurité sociale ne peuvent pas faire une campagne en sa faveur, moi, je ne comprends plus rien. On a tourné ça en disant : l’Action commune renaît. Mais elle n’a pas besoin de renaître, elle a toujours existé.

Moi, je dis toujours dans toutes mes interventions que je suis pour l’unité de la gauche, de toute la gauche, y compris le PTB, les autres petits partis… Quand on divise la gauche, on renforce la droite, il suffit de voir ce qui se passe en France.

En tant que citoyen, j’ai quand même encore le droit d’être socialiste et d’être affilié où je veux quand même. Mais ici, j’agis comme un syndicaliste. Imagine-t-on que je peux parler au nom du PS ? C’est n’importe quoi. J’ai trouvé là que c’était un dérapage de la part de Marie-Hélène Ska. C’est sa responsabilité, mais je ne l’aurais pas fait comme ça. La réalité, c’est qu’elle a utilisé ça pour justifier leur démobilisation. Ce n’est quand même pas nous qui avons accepté une marge salariale ridicule et un saut d’index ! Ce n’est pas nous… Moi, quand ils ont pris leur décision contestée, je ne suis pas intervenu, j’ai toujours défendu le front commun syndical. C’est regrettable ce qu’elle a fait là. Mais c’est utilisé, tant par la CSC que par le MR.

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