Marc Goblet © Belga

Marc Goblet : « Je ne suis pas cet excité qui appelle à la grève en se levant »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, dénonce la caricature d’un syndicaliste radical faite de lui par le gouvernement Michel.

C’est le syndicaliste bourru qui a fait de la grogne sociale son fonds de commerce. Souvent, Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, est caricaturé avec son accent rocailleux et ses paroles rustiques. S’il sait en sourire, l’homme qui est à la tête du premier syndicat wallon veut aussi remettre les points sur les i.

Le Vif/L’Express: Vous êtes en quelque sorte le dernier résistant au gouvernement Michel ?

Marc Goblet: J’ai l’impression que très peu de gens connaissent et comprennent le fonctionnement des organisations syndicales. A la FGTB, il y a six centrales et treize régionales. Au niveau fédéral, on peut proposer tout ce qu’on veut, on ne peut rien faire sans leur soutien.

Vous n’êtes qu’un porte-parole, en somme, celui qui fait synthèse ?

Exactement. Je ne peux même pas déclencher une grève puisque les caisses de grèves sont détenues par les centrales. Il ne faut pas avoir l’impression qu’un homme seul décide de tout, ce n’est pas vrai. Toutes les décisions se prennent depuis la base. Je suis un de ceux qui défendent l’unité fédérale parce que, pour l’intérêt des travailleurs, c’est très mauvais que nous soyons divisés. Le gouvernement Michel cherche précisément à ce que nous le soyons, que ce soit au niveau communautaire ou au sein du front commun. Les mouvements à la SNCB et dans les prisons ? Les positions de la CGSP wallonne ? Nous n’avons rien eu à dire. Pour le reste, nous étions ces dernières semaines dans un plan d’actions décidé en front commun début mai, qui prévoyait la manifestation du 24 mai, la journée de grève dans les services publics le 31 mai et la grève générale du 24 juin. Cette dernière grève était un coup de semonce avant le dépôt des projets de loi au gouvernement, notamment celui de Kris Peeters sur la réforme du temps de travail. Nous n’avions pas d’autre choix stratégique. La CSC et la CGSLB ont considéré que ce n’était pas utile, je respecte leur décision. Sur le fond, elles ont la même analyse que nous. Mais nos instances ont décidé qu’on irait seul au front, ce qui est rare. Nous avons mis le paquet pour éviter les incidents. La grève tombait mal, le jour du Brexit, mais je suis sûr d’une chose : Brexit ou pas, s’il y avait eu des incidents, on en aurait parlé.

Vous avez le sentiment que l’on vous caricature ?

C’est ça. Le MR mène une campagne pour dire que le PS, le PTB et la FGTB désinformeraient – ce qui est faux. Je tiens à préciser que nous sommes une organisation totalement indépendante et que nous ne sommes inféodés à personne. Chez nos affiliés, comme à la CSC et à la CGSLB, les gens votent pour le parti de leur choix : l’époque des piliers est révolue. Le MR affirme aussi que notre syndicat n’est pas majoritaire. Or, nous sommes bel et bien le premier syndicat en Wallonie, en termes de membres – nous avons les chiffres. Les libéraux francophones, que je sache, ne sont majoritaires ni en Wallonie, ni au Parlement.

Le Premier ministre, Charles Michel, dénonce votre « radicalisme syndical ». Ce sont des termes qui vous blessent ?

Je suis dans un rôle que je n’ai jamais joué. En trente-trois ans de travail à la fédération liégeoise, je n’ai jamais organisé de grèves dans les entreprises, je réglais tout par la concertation. Mais aujourd’hui, je dérange parce que je dis tout haut ce que beaucoup pensent tout bas par rapport aux mesures prises par le gouvernement Michel. J’ai régulièrement des contacts avec Charles Michel, je ne cesse d’appeler à ce qu’il y ait une rencontre du « kern » avec les partenaires sociaux afin de passer en revue tous les dossiers et mettre en place une négociation pour trouver le juste équilibre.

Cela n’est jamais arrivé ?

Les partis de la coalition fédérale ne veulent pas. Ils sont dans la logique de considérer que ce sont eux qui décident parce qu’ils ont été élus et qu’ils sont légitimes. Pour eux, dès lors qu’ils ont une majorité au Parlement, les autres n’existent plus. Ils nient carrément le rôle des syndicats. Cela fait plus de septante ans que la concertation sociale est un élément stabilisateur de la paix sociale. C’est ce qui faisait la force de la Belgique. Aujourd’hui, le gouvernement contourne ça, il n’y a pas un accord conclu au sein du Groupe des Dix qui n’ait pas été modifié de façon substantielle. C’est insupportable de nous considérer comme des irresponsables alors que nous avons toujours trouvé des solutions négociées.

Vous méprise-t-on ? Bart De Wever a parlé de vous comme un « type primaire »…

S’il était intelligent et s’il connaissait le fonctionnement des syndicats, il ne se permettrait jamais de dire une connerie pareille. Et il le sait. Mais en Flandre, on me diabolise. Des connaissances qui ont beaucoup de contacts dans les entreprises flamandes me rapportent que pour eux, je suis le diable ! C’est comme si j’étais l’excité du coin qui appelle à la grève en se levant le matin. Alors que je cherche au contraire à trouver des solutions. Le raisonnement politique est simple. Le MR s’est lancé dans un gouvernement où il ne représente même plus un quart des francophones en s’associant à un parti nationaliste, à un Open VLD qui devient de plus en plus à droite et à un CD&V qui ne sait plus où il est. Mais aucun d’entre eux n’admettra jamais ses erreurs parce que ce programme est ce qui les tient ensemble. S’ils ne vont pas au bout de la législature, je ne sais pas ce que Michel pèsera encore.

Vous avez repris le slogan de la CGSP qui appelle désormais à la chute du gouvernement Michel…

Attends ! Il y a une nuance. J’appelle le gouvernement à la concertation depuis le début, en vain. Je dis : si on doit rester dans un tel dialogue de sourds, il n’y aura pas d’autre solution que de réclamer son départ. Il y a plus qu’une nuance dans mon propos avec ceux qui mènent des actions pour le faire tomber.

La colère grandit dans vos rangs ?

La colère des affiliés de la CSC est aussi forte qu’à la FGTB. Je suis même surpris par les positions de ceux de la CGSLB, alors que les libéraux sont traditionnellement plus individualistes. Un plan d’actions est toujours prévu en septembre et en octobre, on ira plus loin s’il le faut. Mais si le gouvernement est prêt à ouvrir une vraie négociation… Il ne faut pas croire que nous faisons des manifestations et des grèves pour le plaisir, il faut arrêter avec des bêtises comme ça. Si ceux qui nous disent « voilà encore une journée de congé » savaient le niveau de revenu des grévistes… Ils se battent pour ne pas perdre leurs acquis. On dit aussi de moi que je ne suis pas moderne. Mais si être moderne, c’est accepter tous les reculs sociaux, alors je ne veux pas être moderne. Je ne suis pas là pour ça, moi ! Je ne suis pas un politique, un syndicat est un contre-pouvoir. Un dossier du Crisp, que vous avez évoqué dans Le Vif/L’Express la semaine dernière, revient justement sur les raisons des grèves. Nous menons des combats pour la collectivité et s’il y a parfois des désagréments, les citoyens pourraient se dire qu’on le fait pour sauver leurs droits.

Est-ce une période difficile pour mener ces combats-là ?

Depuis la crise pétrolière des années 1970, on considère que celui qui travaille est volontaire et que celui qui ne le fait pas est un assisté. Cela induit un individualisme forcené. Pourtant, tous les travailleurs arriveront à la pension, tomberont malade ou risquent de perdre leur emploi. Ils se rendront compte alors des conséquences des décisions gouvernementales. D’ailleurs, si le MR était si sûr de sa politique, devrait-il mener des campagnes contre la désinformation ?

Le PTB monte dans les sondages, on dit qu’il infiltre votre syndicat.

Nous avons des affiliés qui sont des électeurs de tous les partis. On sait que les PTB sont très présents sur les piquets de grève, mais c’est leur fonds de commerce. A dix, ils font davantage que des grands partis… Mais je veux être très clair : la FGTB est un syndicat indépendant, qui a des relations avec tous les partis démocratiques, si cela peut faire avancer nos revendications. Il fut une époque où on privilégiait le PS, c’est vrai. Mais en aucun cas, un parti politique ne viendra imposer une décision chez nous.

Il faut se battre pour ça ?

Non. Quand j’ai repris la présidence de l’interprofessionnelle à Liège en 2004, on voyait déjà des militants changer et opter pour le PTB. J’avais eu alors un contact avec Raoul Hedebouw pour lui dire que je n’avais aucune difficulté avec leur choix. Mais la seule chose qu’ils doivent comprendre, c’est qu’il faut accepter les règles internes du syndicat, sinon ils n’y ont pas leur place. On ne saurait pas être plus clair ! Comme moi, j’ai quitté mon mandat d’échevin PS à Herve parce que c’était contraire aux règles. Cela ne m’a posé aucun problème. Quand les socialistes étaient au pouvoir, ils détestaient tout autant quand il y avait une grève, hein, il ne faut pas s’imaginer. Je leur répétais que c’était pour les soutenir dans leur rapport de forces au sein de la coalition. On essayait d’éviter que je m’exprime dans les congrès, mais les militants, eux me soutenaient.

On évoque aujourd’hui un rassemblement des forces de gauche, Paul Magnette notamment. Cela vous plaît ?

J’ai toujours défendu l’idée d’une union à gauche. Nous devons chercher ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous divise. Le drame de la gauche, c’est qu’elle se divise tout le temps, on vient encore de le voir en Espagne, en France… Cela renforce la droite ! Je suis en train de lire un livre sur le Front populaire en 1936. Il y avait alors des positions très proches entre communistes et socialistes. Ce front de gauche était avant tout antifasciste, mais il a peu à peu songé à préparer un programme socio-économique. Le gouvernement de Blum a duré un peu plus d’un an, mais cela a permis de créer la semaine des 40 heures, on a reconnu la négociation collective et on a décidé des congés payés. Voilà la force de la gauche.

Vous rêvez à une redite du Front populaire aujourd’hui ?

La seule solution, c’est la réunion des gauches et la fin des divisions. Parfois, on se demande pourquoi elles se divisent. On a le sentiment que la seule question qui se pose, c’est de savoir qui dirigera la structure commune. C’est cela qui freine ! Pourtant, c’est la solution, dans toute l’Europe, contre ce drame qu’est la politique d’austérité. On pourrait concrétiser un projet alternatif avec une mesure très simple : la réduction collective du temps de travail, mais au niveau des entreprises, en maintenant le revenu. Voilà qui permettrait de créer de l’emploi. Les mesures du gouvernement Michel et les réductions de cotisations patronales, elles, profitent surtout aux actionnaires. Et dans le même temps, on ne prend aucune mesure contre la spéculation, mais par contre, on contrôle les chômeurs. Nous sommes dans une société totalement inégalitaire. C’est notre rôle de le dénoncer. Nous ne sommes pas radicaux, nous sommes juste syndicalistes ! Qu’on le veuille ou pas, une grève est forcément politique.

Entretien: Olivier Mouton

« Il n’y a pas de problème Goblet ! »

A la FGTB, on cultive le discours d’une unité inébranlable dans l’épreuve. La ligne dure défendue par le secrétaire général n’est pas contestée. Ouvertement, du moins. Car début 2016, des langues se sont déliées quand l’ancienne concurrente de Marc Goblet à la tête du syndicat, Estelle Ceulemans, a quitté son poste au secrétariat fédéral pour une autre fonction en interne. Certains avaient alors qualifié d’ « attitude imbécile » ce désir forcené de combattre la suédoise ou de vilipender les médias à la solde du pouvoir. D’autres reprochent en outre à Marc Goblet, représentant interprofessionnel, de trop se mêler des centrales pour tempérer les différences de sensibilités entre Flamands et Wallons.

Ces derniers mois, les actions parfois sauvages de la FGTB n’ont pas toujours été bien perçues dans le grand public – c’est un euphémisme. Après la grève générale du vendredi 24 juin, des dents grincent à nouveau. Morceau choisi : « Certains devraient prendre le temps de la réflexion avant de se lancer dans des grèves qui seront des coups d’épée dans l’eau, voire contre-productives, parce que les gens ne comprennent pas pourquoi on les emmerde un jour avec une grève et que le lendemain, c’est fini. » Marc Goblet, lui, n’en démord pas : « Il n’y a pas d’autres moyens que de faire grève. Nous ne sommes plus reconnus ni entendus. » La FGTB, avec son million et demi d’affiliés, est une poudrière. Entre les durs Métallos et les modérés du Setca, ce n’est pas toujours la franche entente. Marc Goblet est le ciment, lui qui a compris la nécessité d’élargir le spectre du syndicat à toute la gauche.

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