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Mahmoud, ou l’impossible traversée

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Mahmoud a 23 ans, mais en paraît bien la trentaine. Originaire d’un petit village situé près du Caire, il travaille la terre avec ses parents depuis l’âge de 12 ans pour des salaires de misère. Ce qui prédomine chez lui, c’est ce désir entêté, quasi obsessionnel de rallier l’Angleterre.

Il y a trois ans, Mahmoud se retrouve dans une situation financière difficile et est découragé par l’avenir sombre qui s’offre à sa génération. Un conflit avec son voisin le décidera à quitter l’Egypte. Il entame alors un voyage à travers la Méditerranée qui se révélera très éprouvant, explique Zakia, une assistance sociale également inculpée dans le « procès des hébergeurs », qui nous servira d’interprète de l’arabe au français tout au long de cette rencontre.

Pendant 18 jours, l’embarcation où sont entassées près de 700 personnes va faire des allers-retours en mer, sera immobilisée par manque de fuel ou pour être ravitaillée en vivres. « A plusieurs reprises, on a cru que c’était la fin », relate-t-il. Ils arriveront pourtant en Sicile. Mahmoud, très affaibli par la traversée, y sera soigné dans un centre pour réfugiés. Il en partira en espérant rejoindre la Grande-Bretagne, où un cousin pourrait l’aider à trouver du travail et où il pense pouvoir vivre « décemment ».

Avec ce désir de gagner l’ « Eldorado anglais » qui lui colle à la peau, Mahmoud prend la direction de Calais où il passe 6 mois dans la « jungle ». Un « souvenir noir« , lâche-t-il, d’un sourire crispé tout en gardant des yeux rieurs. « Dans la ‘jungle’, on ne peut se sentir bien nulle part, on est toujours en insécurité », ajoute-t-il.

Avec d’autres migrants, il tente chaque jour la traversée de la Manche. Tous les moyens sont bons. « Un jour, on essayait via le tunnel de l’Eurostar. Un autre, on faisait le guet sur un parking d’où partaient des camions de marchandise, ou on guettait sur le port,…« , raconte-t-il. En vain. Ils vont également se frotter à la redoutée « mafia des passeurs » qui règne à Calais. Des passeurs réputés pour être armés jusqu’aux dents et qui sèment la terreur. « Avec eux, tu n’as pas intérêt à faire le malin », explique-t-il, les bras croisés sur sa poitrine, comme pour continuer à s’en protéger.

Des migrants à Calais surveillés par la police des frontières.
Des migrants à Calais surveillés par la police des frontières. © REUTERS

Des rixes éclatent, l’ambiance se fait de plus en plus lourde. « En voulant rejoindre la Grande-Bretagne par nos propres moyens, on marchait sur leurs plates-bandes, on était menacés. » Lors d’une altercation avec la police, alors qu’il tentait à nouveau la traversée, Mahmoud saute d’un muret et se casse les deux chevilles. Soigné par les équipes humanitaires du camp, il demandera à sortir de l’hôpital au bout de deux mois pour fuir la ‘Jungle’ où « la répression était trop forte« . Il monte à Paris où il compte retrouver un ami d’enfance en séjour illégal qui pourrait lui donner du travail à…Nice. S’ensuivent alors des allers-retours entre les deux villes de l’Hexagone. Mahmoud travaille au noir et récolte de maigres économies qui lui servent à éponger une dette en Egypte. Aux problèmes financiers s’ajoutent des soucis familiaux. Il tente d’aider sa famille à distance comme il peut.

Les temps sont durs, et quand il entend d’autres réfugiés vanter les conditions de vie en Belgique, il décide de venir en repérage. Mahmoud débarque au parc Maximilien au printemps 2017. Il y dort une semaine et revient pour de bon à la fin du mois de juillet. Pendant près de 3 mois, rebelote, il essaiera de rejoindre les côtes anglaises à tout prix, principalement la nuit. Il emprunte plusieurs routes, à nouveau via Calais, Zeebrugge, ou encore la Hollande… « Là, ce n’était vraiment pas le bon plan, on était vraiment trop visibles« , concède-t-il. Il prend contact avec différents groupes de passeurs qu’il rétribue parfois sans en obtenir l’aide ni revoir la couleur de son argent. Il sera arrêté administrativement près de 10 fois sur des parkings d’autoroute, où la police le surprend tantôt à se glisser dans un camion, tantôt à en fermer la porte derrière d’autres compagnons de route. Il avouera avoir commis de petits larcins, mais « par pure nécessité, jamais dans les stocks des camions« , et principalement pour se nourrir.

Mahmoud, ou l'impossible traversée
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Après quelques heures de garde à vue, il est relâché au milieu de nulle part en Belgique ou aux Pays-Bas. Mahmoud n’a que quelques notions de français parlé et ne sait lire que l’arabe. Complètement déboussolé, il ne peut alors compter que sur l’aide de bénévoles belges pour le rediriger, par téléphone, vers Bruxelles et le parc Maximilien, son camp de base d’où il rayonne pour ses tentatives de traversée, à chaque fois avortées.

Un matin, dans un café du quartier de la Gare du Nord où il a l’habitude de se reposer après un énième coup dans l’eau, il rencontre Walid aussi inculpé dans l’affaire. (NLDR: Lire à ce sujet: Procès des hébergeurs: « Je suis en prison depuis huit mois. Pour rien ».) Ce dernier, touché par son histoire et sa situation, le prend sous son aile et lui propose son modeste appartement comme point de chute en journée. Un peu de répit pour lui permettre de se reposer et de prendre une douche.

Le 20 octobre, comme les autres prévenus, la vie de « transmigrant  » de Mahmoud – terme déshumanisant qu’il exècre-, prend fin. Arrêté sur une aire d’autoroute en Flandre avec d’autres migrants, il est envoyé manu militari à la prison de Termonde. « La police nous a arrêtés avec violence. Je ne pensais pas que c’était possible d’être traité de la sorte en Belgique. J’ai été frappé au visage et dans les côtes. En Egypte, c’est monnaie courante, mais ici ? », s’étonne Mahmoud avec une pointe de révolte dans la voix.

Depuis un an, il est en détention préventive, il l’exécute sous bracelet électronique depuis fin septembre. Hébergé actuellement à Molenbeek, son périmètre de vie est, tout comme celui d’Hassan, autre prévenu de ce procès, restreint. Interdit de sortie, il ne peut qu’admirer le figuier tortueux qui trône dans la petite cour sur laquelle donne la pièce à l’aménagement rudimentaire où il vit. Il nous confie « se sentir beaucoup mieux qu’en prison » et « arriver à reprendre un rythme de vie moins contraignant, moins dépendant d’autres personnes« . « C’est important pour se préparer au procès d’être dans un bon état psychologique, le fait d’être libéré joue aussi sur le moral« , nous glisse Zakia qui a, pour sa part, fait deux mois de préventive suite à la perquisition du 20 octobre 2016.

A l’issue du procès, Mahmoud risque d’être expulsé de Belgique et d’être renvoyé en Egypte, pays où le régime qualifié par de nombreux observateurs internationaux comme une « dictature militaire » est de plus en plus répressif envers une jeunesse éprise d’émancipation. Là-bas, vu qu’il n’a pas été scolarisé, un service militaire obligatoire de 3 ans l’attend. Une peine de prison lui pend aussi au nez, car il est considéré comme un déserteur par le gouvernement.

Lire aussi : En Egypte, une jeunesse étouffée qui fuit la dictature militaire

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