Maggie De Block © FRANKY VERDICKT

Maggie De Block: « Theo Francken ne voulait pas aider de musulmans »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Le cabinet de Maggie De Block ressemble au service d’urgence d’un hôpital : depuis que la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique s’est vue attribuer l’Asile et la Migration, le personnel se tient prêt 24 heures sur 24, sept jours sur sept. « À moi, cette fraude de visa ne serait jamais arrivée ».

La plupart des politiciens font de leur mieux pour faire la une des journaux. Maggie De Block (Open VLD) serait peut-être plus heureuse si elle ne faisait pas constamment la une. Les journaux du week-end ont diffusé de « l’info » sur la maffia pharmaceutique, que Knack avait déjà publiée le 28 novembre 2018. Ces dernières années, la société pharmaceutique italienne Lediant a acheté tous les brevets de CDCH, un médicament contre la maladie rare xanthomatose cérébrotendineuse (en Belgique, il y a dix patients). Elle a profité de sa position de monopole pour faire monter le prix inexorablement. L’opposition, le monde médical, les entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique : tous ont exigé des mesures de la part de De Block. La ministre a déclaré qu’elle partageait l’indignation, mais qu’en substance, ce problème ne peut être réglé qu’au niveau européen.

Lundi, la semaine a commencé par les protestations du commissaire flamand aux droits de l’enfant Bruno Vanobbergen. Il n’acceptait pas qu’une famille arménienne avec des enfants en attente de rapatriement soit enfermée dans le centre de détention 127bis. De Block a fait valoir que la famille ignorait tous les messages de l’Office des Étrangers depuis quatre ans.

Tant au niveau de l’asile que de la santé, la réaction de De Block était remarquablement la même : elle ne se laisse pas déconcerter. Cependant, elle sait comment faire la une des médias. Lorsqu’à la sortie du gouvernement de la N-VA, elle s’est vue désigner les Affaires sociales et la Santé publique, mais aussi l’Asile et la Migration – le département qu’elle avait déjà dirigé de 2011 à 2014 – elle a dit qu’elle avait trouvé un département « en pagaille ». Tous les médias se sont emparés de l’information, au grand dam du secrétaire d’État sortant, Theo Francken (N-VA).

Maggie De Block : Ce premier week-end, je ne me suis intéressée qu’à l’accueil des demandeurs d’asile. Là, c’était effectivement le chaos. À présent, il semble qu’il y ait d’autres secteurs du département où il y a du désordre, mais ce n’est qu’en cours de route que je m’en suis rendu compte. Cet été, Fedasil avait déjà averti dans des notes qu’il y aurait trop peu de places à partir de l’automne, les demandes augmentent toujours durant la seconde moitié de l’année, et que cette année, exceptionnellement, l’afflux estival était plus élevé que dans le passé.

Le cabinet Francken a-t-il ignoré ces notes ?

En tout état de cause, les mesures prises sont insuffisantes.

Le chaos n’était-il pas délibérément organisé ? Francken redoutait l’effet des images à l’étranger. Se pourrait-il qu’il ait voulu utiliser l’image des demandeurs d’asile qui ne réussissaient pas à entrer comme moyen de dissuasion ?

C’est à lui qu’il faut demander pourquoi il a pris cette décision. Je sais seulement qu’il ne s’agissait pas de dissuasion : ces gens se tenaient déjà à sa porte.

Donc, la création d’un certain chaos relevait d’une « politique délibérée » ?

Si on ne laisse entrer que 50 demandeurs d’asile alors que 80 ou 100 sont à la porte chaque jour, on en fait un struggle for life. Ceux qui n’entrent pas n’ont pas d’autre choix que de dormir dans la rue. Pendant des jours, les hommes seuls n’ont pas pu s’inscrire à l’Office des étrangers, alors ils se sont mis à camper devant la porte. Les gens faisaient la file jusque dans la rue, la police a dû détourner les voitures pour éviter les accidents. C’était une guerre pour survivre.

C’était tout de même un peu déplacé: vous avez attaqué un ancien membre du gouvernement qui la veille faisait encore partie de la même coalition que vous. Mais d’octobre 2014 à décembre 2017, nous n’avons presque pas entendu de critiques libérales envers la politique de Francken.

Ce quota de 50 n’était pas une politique gouvernementale. Et nous étions au courant de la procédure devant le Conseil d’État. Je savais donc à l’avance que cette mesure était totalement illégale. La loi stipule qu’il faut permettre aux gens de demander l’asile. Que vous l’obteniez ou non dépend de vos arguments et de votre situation. Ce n’est pas un droit. Demander l’asile, oui. Un ministre est censé respecter les lois, toutes les lois. Je peux comprendre qu’un ministre rate parfois quelque chose, la loi n’est pas simple. Mais il devrait tout de même connaître celle qu’il a écrite lui-même?

Maggie De Block
Maggie De Block © FRANKY VERDICKT

En 2014, avez-vous eu du mal à confier « votre » service à un collègue au style différent ?

J’ai eu beaucoup plus de difficultés à quitter mon cabinet de médecin après 25 ans lorsque je suis arrivé au gouvernement. En politique, il faut savoir tourner une page. Il n’y avait aucune raison de continuer à faire des commentaires. J’ai gardé le silence, hein. Mais bien sûr, j’ai beaucoup réfléchi à ce que j’ai entendu. On est libre de penser ce qu’on veut.

Avez-vous souvent dû vous retenir?

Quelques fois. Dans la file des gens qui attendaient à la porte de l’Office des Étrangers se tenait une dame avec un enfant de deux mois. Comme elle n’avait pas de poussette, elle a mis l’enfant sous son manteau. Par conséquent, les fonctionnaires n’ont pas vu qu’ils avaient affaire à une mère avec un bébé, sinon elle aurait été retirée de la file d’attente et on lui aurait accordé la priorité. Elle se tenait au milieu des autres gens, jusqu’à ce qu’on ferme la porte, parce que le quota de 50 inscriptions avait été atteint. Ce n’est qu’alors que la femme a paniqué. Les fonctionnaires qui ont fermé les portes se sont informés si elle pouvait entrer. Mais elle ne pouvait pas, « car le quota avait été atteint ». Entre-temps, la mère s’est mise à hurler. La police a appelé une ambulance, l’enfant était en hypothermie. La vie de cet enfant n’a tenu qu’à un fil. C’est inacceptable. (Silencieusement) Ces fonctionnaires aussi ont du mal. Mais un ordre est un ordre. Un fonctionnaire est censé s’acquitter rigoureusement de sa tâche. La responsabilité politique incombe donc au ministre compétent.

Entre-temps, il y a eu le scandale des visas humanitaires et l’arrestation de Melikan Kucam, un citoyen de la N-VA de Malines. Francken aurait-il dû démissionner s’il avait encore été secrétaire d’État ?

Je ne sais pas. Il y aurait certainement eu une grosse polémique.

Vous démissionneriez si cela vous arrivait ?

Mais cela ne me serait jamais arrivé! J’ai dirigé ce ministère pendant de nombreuses années, et je n’ai jamais vécu de telles choses, simplement parce que j’ai toujours respecté la loi. On m’a toujours attaquée parce que j’étais trop stricte et que je suivais la loi trop strictement.

Vous avez dit un jour à la VRT que vous n’étiez pas une impératrice romaine qui pouvait lever ou baisser le pouce pour les demandeurs d’asile.

J’avais reçu un avis négatif au sujet d’un jeune homme de l’Office des Étrangers et du Commissariat général. Tout un dossier. J’ai alors été soumise à d’énormes pressions pour que j’utilise mon pouvoir discrétionnaire et que j’autorise ce garçon à rester ici.

Il s’agissait du jeune Afghan Parwais Sangari. Francken a dit par la suite qu’il ne renverrait jamais un garçon aussi bien intégré.

Je ne sais pas qui il a fait rester. Mais j’avais et j’ai ma ligne, et elle était stricte, mais juste. Aussi sympathique qu’il soit. Je ne lève donc pas simplement le pouce, je m’entoure bien. Il n’y a jamais eu non plus de discussions sur les visas humanitaires que j’ai délivrés. Ni sur les relocalisations humanitaires de groupes que j’ai décidées. Une année, il y en avait 100, parfois même moins. Avec l’intensification de la crise de l’asile, le nombre de relocalisations a augmenté. Mais une augmentation des visas humanitaires en cinq ans de 200 à plus de 2000 : alors vous créez délibérément un nouveau canal, pour un nouveau type d’afflux vers votre pays.

Francken se considérait-il comme un empereur romain?

Je ne peux pas voir ce qu’il se passe dans sa tête. Il était clair que c’était une stratégie : « Je suis très strict, très ferme, mais regardez comme je suis une bonne personne chrétienne.

Il a délivré plus de visas humanitaires que vous, et il s’est profilé avec cet argument. Sa politique était plus stricte que jamais, mais en même temps, il était plus humain que tous ses prédécesseurs.

En soi, je n’ai rien contre une hausse de relocalisations, et la décision d’évacuer ces personnes d’Alep en 2015 a été prise par l’ensemble du gouvernement, et donc par moi aussi. Mais je pensais que la sélection se faisait toujours comme avant : en collaboration avec les Nations Unies et les organisations non gouvernementales. Il n’est pas normal que la sélection pour des actions ultérieures ait été envoyée par le Cabinet, et que les candidats aux visas humanitaires aient été présentés par plusieurs intermédiaires – nous en avons déjà sept – ce n’est tout de même pas normal? Ces nouveaux arrivants ont été à peine contrôlés. Le procureur de la République devra maintenant décider dans quelle mesure le gouvernement a été activement impliqué dans la fraude des visas.

À cet égard, l’ancien ambassadeur Mark Geleyn a déclaré sur la VRT qu’il ne faisait pas vraiment confiance à l’ONU et à ces ONG.

J’ai beaucoup de respect pour ce que Monsieur Geleyn a accompli, mais si nous ne pouvons plus faire confiance aux Nations unies, il vaudrait mieux fermer boutique, non ? J’ai plus confiance dans les ONG et l’ONU que dans un individu que l’on voit, mais dont on ne connaît pas vraiment les motivations. Je ne veux pas paraître naïf non plus, mais je sais quels milieux remettent la crédibilité de l’ONU en question. Pour Theo Francken, l’ONU était un problème de contenu. Il voulait seulement délivrer des visas humanitaires aux chrétiens du Moyen-Orient. Pour l’ONU, ce n’est pas seulement le fait d’être chrétien ou non qui compte. La foi d’une personne n’est pas, à juste titre, un critère de vulnérabilité. Je suis laïque. Je ne demanderai jamais à une personne vulnérable ou à une famille dans le besoin si elle est chrétienne, musulmane, athée ou autre. Bien sûr, il peut y avoir des minorités religieuses qui sont persécutées – auquel cas la foi est un facteur important – mais elle ne doit jamais être séparée des autres. La foi n’est jamais le seul critère. Cela ne plaisait pas à Francken. Il a vraiment fait un choix particulier.

Il ne voulait pas faire venir de musulmans.

Theo Francken ne voulait pas aider les musulmans, seulement les chrétiens syriens. Le fait qu’un homme politique veuille décider qui est vulnérable et qui ne l’est pas, en prenant la foi comme facteur décisif me pose problème.

Généralement, on dit que votre politique et celle de Francken sont le prolongement l’une de l’autre.

Nous avons négocié l’accord de coalition nous-mêmes. Francken a mené un programme similaire à celui que j’ai mené dans le gouvernement Di Rupo. La grande différence, c’est notre communication. Chacun a son style, ou son manque de style. Mais la politique était la même. Du moins jusqu’à la deuxième quinzaine d’octobre. Puis sont arrivés les quotas.

C’était après les élections communales, qui n’ont pas été un grand succès pour la N-VA. Un mois et demi plus tard, le gouvernement Michel tombe et la N-VA redevient un parti d’opposition.

Il est clair que la discussion sur le Pacte de Marrakech n’est pas un débat de fond. Pas pour un membre du gouvernement qui avait écrit avec les textes pendant deux ans et qui avait soudain fait semblant de découvrir qu’il y avait des problèmes politiques. Je ne peux pas me débarrasser de l’impression que la N-VA cherchait une occasion.

Vous sentiez que la chute du gouvernement était imminente?

C’était une affaire entendue. Vous savez, je suis arrivée en avance au Conseil des ministres ce samedi-là, et j’ai vu tout le monde arriver. Soudain, Zuhal Demir (N-VA) a pris une photo de Theo Francken, alors que j’étais assise à cette table. Un peu plus tard, cette photo a été postée sur Twitter, accompagnée d’une légende que les excellences N-VA y étaient seules. Ce n’était pas vrai du tout. Les N-VA avaient également fait un selfie de leur groupe, avec aussi le message qu’ils étaient contre les autres. Tout ça était un coup monté.

Vous en êtes sûre?

Bien entendu. Ce n’est qu’après que le Premier ministre Charles Michel (MR) est arrivé et que le Conseil des ministres a commencé. Il a dit qu’il avait décidé d’aller à Marrakech, et a clarifié sa position. Jan Jambon (N-VA) a ensuite répondu que les membres de la N-VA réfléchiraient en interne et nous feraient savoir dès que possible quelle serait leur attitude. Ils sont sortis poliment. Nous sommes restés assis et nous nous sommes demandé ce qui allait se passer. En même temps, nos smartphones s’allumaient, avec un flash d’information qui annonçait une conférence de presse de la N-VA dans la demi-heure. Évidemment, là nous savions à quoi nous tenir.

Dernière question. La N-VA et Theo Francken étaient-ils du mauvais côté de l’histoire ou pas ces dernières semaines ?

Il est toujours bon que l’histoire ne s’écrive qu’après. Qui sait vraiment s’il est du bon côté de l’histoire ? Il existe de nombreux exemples de personnes qui pensent sincèrement qu’elles font le bien et qu’elles agissent correctement, et qui sont jugées beaucoup plus négativement par la suite qu’elles ne l’auraient jamais imaginé. C’est vrai non seulement pour l’histoire, mais aussi pour la politique. Les grandes analyses sont pour après les élections. Il est toujours intéressant de garder une trace des articles écrits les mois précédents. Lorsque je suis devenu secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations en 2011, Knack a prédit après seulement une semaine qu’il n’y avait guère de doute que je devrais démissionner et disparaître du gouvernement dans les plus brefs délais. (éclats de rire)

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