Louis de Potter © Archives de la ville de Bruxelles

Louis de Potter, le héros oublié de la Révolution belge

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les émeutiers qui criaient « Vive de Potter! » en 1830 n’avaient jamais lu un mot de la plume du chef spirituel de la Révolution belge. Comment expliquer l’immense popularité de ce républicain convaincu.

Sur les gravures et les peintures qui représentent le « gouvernement provisoire » issu de la Révolution belge de septembre 1830, le chauve montré de profil, c’est lui. A 44 ans, Louis de Potter tranche avec les autres membres de l’équipe – Rogier, Gendebien, de Mérode… -, tous beaucoup plus jeunes.

Hormis des qualités intellectuelles et une vive curiosité pour les spéculations politico-sociales, rien ne semblait prédisposer ce fils de famille, né dans un milieu aristocratique, à jouer un rôle clé dans la naissance du futur Etat belge. Avant de se rallier, par pragmatisme, à l’unionisme – l’union des catholiques et des libéraux fondée en 1828 pour la lutte contre le régime hollandais – et de devenir l’inspirateur de la révolte contre la politique de Guillaume Ier, de Potter adhérait à l’ordre établi. Journaliste anticlérical d’origine brugeoise, il soutenait le royalisme orangiste hérité du joséphisme et traquait volontiers les « maudits jésuites ». Toutefois, à partir de novembre 1828, il les ménage et s’en prend, comme eux, au gouvernement, en particulier à Cornelis Van Maanen, le très impopulaire ministre batave de la Justice.

La liberté de penser et surtout d’écrire est, à l’époque, menacée par les durcissements de la législation sur la presse. Il semble alors à de Potter, comme un demi-siècle plus tôt à Beaumarchais, qu’il n’est plus possible de louer le pouvoir en place s’il est interdit de le critiquer. Par ses lettres, pamphlets et pétitions largement diffusés par les journaux, le publiciste enflamme les esprits. Il se retrouve en prison aux Petits Carmes, accusé de complot contre l’Etat et d’incitation à la révolte. Son statut de « martyr » ne tarde pas à en faire le chef de file de l’opposition et l’idole du peuple. Frappé de huit années de bannissement, le « porte-drapeau de l’anti-Hollande » gagne la France quelques semaines avant l’insurrection belge d’août 1830.

La Révolution se fait sans lui

Paradoxe de l’histoire, tout ce qui se fait, lors des sanglantes journées de septembre, au cri de « Vive de Potter! » est réalisé sans lui, « comme si ses amis et admirateurs eux-mêmes voulaient se servir de son nom, de sa popularité, mais ne le voyaient nullement comme un leader charismatique », remarque l’historien Francis Balace.

Devant l’anarchie politique qui règne à Bruxelles peu avant l’intervention de l’armée royale, les leaders de la Révolution – Gendebien, Van de Weyer, Chazal… – ont un « moment de défaillance »: ils gagnent Lille et Valenciennes et vont y consulter de Potter. Mais celui-ci, loin de les exhorter à la fermeté, refuse de se joindre à eux au sein d’un comité en exil. Ce n’est qu’après la fin des combats et l’évacuation des troupes hollandaises que de Potter franchit la frontière.

Le retour du « héros national »

Arrivé à Bruxelles le 28 septembre sous les acclamations, le « héros national » est immédiatement intégré au gouvernement provisoire, le nouveau pouvoir, qu’il cautionne devant la foule. Après bien d’autres, René Dalemans et Nicolas de Potter, les auteurs du livre, reprennent la thèse d’une manoeuvre subtile inspirée par Alexandre Gendebien. De Potter aurait été utilisé « pour détourner les ouvriers de la lutte des classes au seul profit de la lutte nationale ». Mais, pour Balace, c’est là une reconstruction postérieure aux événements, dans la ligne des écrits des historiens tenants du thème d’une « révolution prolétarienne confisquée par la bourgeoisie ».

Deux mois plus tard, coup de théâtre: de Potter démissionne de ses fonctions dirigeantes et annonce son retrait de la vie politique active. Il veut ainsi, dit-il, couper court aux calomnies qui l’accusent de rêver à la dictature personnelle en flattant le peuple. Gendebien faisait en tout cas courir le bruit qu’il préparait un coup d’Etat républicain. De Potter avait suggéré la création d’un poste de président de la République élu pour trois ou cinq ans, idée nouvelle pour l’époque. Mais la bourgeoisie restait attachée au principe monarchique et les élections au Congrès national s’étaient soldées, en novembre 1830, par le succès d’options conservatrices ou modérées.

Revendications sociales

Politiquement mort, de Potter repart en exil, volontairement cette fois. Installé à Paris dès février 1831, l’homme qui a traversé comme une comète la Révolution belge y méditera à loisir sur la versatilité des masses et leur ralliement à Léopold Ier de Saxe-Cobourg-Gotha. Les promesses d’émancipation sociale ont été mises sous l’éteignoir institutionnel par ses anciens amis et la nouvelle dynastie. Désabusé, il ne croit plus à la possibilité de construire la république de ses rêves et pense désormais que le suffrage universel n’engendrerait que l’anarchie.

Rentré au pays en 1839, il appelle à la création d’une chimérique Fédération hollando-belge, lui qui avait, le premier, réclamé la déchéance de la maison d’Orange! Cette adhésion à un orangisme bientôt agonisant (le « Complot des Paniers percés », en 1841, lui porte un coup mortel) est sans nul doute l’épisode le plus controversé de sa vie. Il ne doit pas pour autant faire oublier les revendications prophétiques (instruction gratuite, prêts à faible taux d’intérêt, droits de succession…) ou illusoires (collectivisation de la propriété foncière, extinction des dettes au décès des débiteurs, fin des regroupements capitalistes…) que ce réformateur social défend dans de nombreuses brochures éditées à ses frais de 1843 à 1859, année de sa mort. Mais, faute d’engagement nouveau en politique, il n’avait aucune chance de voir ses idées aboutir.

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