Carnes Terrae, huile sur toile, 170 x 130, 2021. C de l'artiste. © DR

L’oeuvre de la semaine: Les chairs de la terre

Guy Gilsoul Journaliste

A l’étal du boucher, la viande garde ses distances. En art, elle peut se faire appétissante, moralisatrice ou repoussante jusqu’au haut-le-coeur.

Dans la peinture du XVIIe siècle où elle est souvent représentée, elle évoque souvent la richesse et les plaisirs de la table autant qu’elle pointe les dérives d’une bourgeoisie aveuglée et pour tout dire condamnée pour avoir négligé la spiritualité. A l’heure de la surproduction de viande et d’une consommation effrénée qui met à mal la planète, Cindy Wright frappe fort.

D’abord, par son éblouissante technique capable de rendre autant la texture du sang que du gras et de la chair. Ensuite par l’apparent détachement émotif qui parcourt l’écriture picturale ou encore le surdimensionnement du détail qui, par le changement d’échelle, nous force à voir de « trop près » ce fragment de viande crue dont l’horreur se dispute à sa cruelle beauté plastique. Enfin, par le dispositif immersif de sa présentation qui voit la toile se coucher en lieu et place de deux gisants inscrits dans le coeur même de la chapelle de Jérusalem à Bruges. Du coup, le morceau de boucherie s’inscrit aussi dans un contexte religieux où sa texture rougie et quasi magmatique évoque davantage une blessure qui, en ce lieu ne peut que renvoyer à celle infligée par les hommes au Christ et du coup, au symbolisme de l’eucharistie : « Prenez, manger, ceci est mon corps… buvez, ceci est mon sang… ».

Un morceau de viande qui pourrait enfin pointer notre propre corps, palpitant encore mais promis à la mort : « Mirez-vous si orgueilleux, lit-on au revers d’un polyptique de Rogier Van Der Weyden conservé au Louvre, mon corps fut beau. Il est viande à vers ». L’avertissement donné par les peintres anciens en appelait déjà à un sursaut de modestie et de sagesse. Rien n’a changé. La polysémie de cette oeuvre de Cindy Wright déborde même ces différents propos si on en juge par le titre choisi par l’artiste anversoise: « les chairs de la terre ». L’oeuvre est ainsi violement enracinée dans le présent de notre époque tout en étant, par-delà son apparence, habitée par la solitude du peintre qui n’a d’autres paradis que l’atelier, ses brosses et ses couleurs.

Bruges, Adornes Domain. Peperstraat 3. Jusqu’au 22 janvier. Tous les jours de 10h à 17h. www.adornes.org

Légende : Carnes Terrae, huile sur toile, 170 x 130, 2021. C de l’artiste.

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