Bernard Gilbert, Number 311, 2019. © C de l'artiste et galerie Triangle bleu Stavelot

L’oeuvre de la semaine: Le grand orchestre chromatique

Guy Gilsoul Journaliste

On ne regarde pas une peinture de Bernard Gilbert (°1970), on y perd l’oeil à la manière d’un plongeur des grands fonds qui, avec lenteur, descend, descend, aspiré. Autour de lui, les repères glissent les uns après les autres et aussitôt perçus, aussitôt disparus, laissent la place à d’autres, plus lointains.

L’espace s’est démultiplié sans heurt, ambigu, troublé çà et là par des stridences électriques roses, des lueurs dans le vert, des luminescences bleutées. Le plongeur glisse sans heurt entre les signes fibreux et les micro-traces, graphes insaisissables à leur tour. Il y a de l’aquatique dans l’univers de ce peintre dont l’enfance, à Yvoir, aura été baignée par la présence aussi inquiétante que mystérieuse de la Meuse et des rochers en ses bords.

Pourtant il serait vain d’y chercher une image, voire même un paysage imaginaire car tout ici, ne procède que d’une seule urgence explorée depuis plus de vingt ans: hanter le visible de la seule couleur. On peut alors faire appel aux leçons des coloristes et ce depuis Van Eyck jusqu’à Richter en passant par les grands pédagogues que furent Albers et Itten. Mais alors que ces deux derniers demeuraient dans la seule pratique constructiviste, Bernard Gilbert multiplie les aventures, les outils et les écritures et dès le choix du support, une toile acrylique encollée qui provoquera des effets de sérigraphie. Les outils appartiennent autant aux pratiques du passé qu’à celle du temps présent.

Voilà le pinceau de la gouache, les brosses pour l’acryl, l’airbrush le making tape, le pochoir ou encore le nébulisateur qui, en dispersant l’eau sur la teinte, crée des effets de petites gouttes à peine perceptibles. Cette multiplication des rencontres de textures, de contours, de netteté, de flou, de lumières et d’ombres se démultiplie encore par l’interaction des couleurs saturées mais aussi en fonction du point de vue, frontal ou oblique, du spectateur.

L’image n’est donc que celle de la seule peinture : « Vous voyez ce que vous voyez » avait écrit Frank Stella à l’heure de l’abstraction post-picturale et de sa relation à l’immédiateté. Plus de soixante ans plus tard, face à l’anthropocène, certains peintres comme Bernard Gibert, invitent au contraire à renouer avec la durée… et le plaisir.

Stavelot, Galerie Le triangle bleu. 5 Cour de l’abbaye. Jusqu’au 12 janvier. Du jeudi au dimanche, de 14h à 18h30. www.trianglebleu.be

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