France Dubois, Série Motherhood

L’oeuvre de la semaine : L’appel de Thétys

Guy Gilsoul Journaliste

La photographie témoigne, suggère, émerveille. Comme en témoigne l’exposition de groupe « Regarde mon histoire » proposée par Hangar, elle peut aussi et de plus en plus depuis quelques années, dévoiler ces petites choses de l’intime soit sur le mode empathique, soit en s’engageant dans un récit plus autobiographique et douloureux.

Si parfois, comme chez Katherine Longwy, l’approche flirte avec l’anthropologie, d’autres construisent leur oeuvre comme un journal tenu au fil des accidents de la vie. Ainsi, à la suite de l’épreuve du cancer, l’image d’un château de cartes presque évanescent qui, chez Anne De Gelas, incarne, la précarité du présent. Ou quand Elise Corten cherche, dans l’art du portrait, la mise en lumière à la fois d’une identité, celle de sa propre mère à travers les rapports qu’elle entretient avec elle.

Dans la série « Motherhood », la Bruxelloise France Dubois (°1976) use de l’acte photographique comme d’un rituel de renaissance solitaire mené au coeur d’un refuge insulaire. Au départ, une douleur, celle de ne pouvoir, malgré plusieurs traitements contre l’endométriose et l’infertilité, donner naissance à un enfant. Sur cette photographie, les yeux fermés, les bras levés, elle s’abandonne à la puissance de l’océan qui s’est engouffré dans la roche volcanique et sauvage de l’île de Fer dans les Canaries.

Sa déception, sa tristesse, son inévitable renoncement auraient pu la conduire à rejoindre le destin d’Ophélie et sombrer comme le personnage de Shakespeare dans la folie et mourir par accident ou suicide dans l’onde paisible d’un étang. Mais, sur l’île d’Hierro, on est aux antipodes d’une nature endormie. L’eau qui s’engouffre, rugit, porte et menace possède la saveur des origines et nous renvoie plutôt aux premiers temps de la Théogonie quand le temps n’existe pas encore. Ouranos (le ciel) féconde sa compagne Gaïa qui donne naissance aux douze Titans parmi lesquels, outre Cronos et Menémosyne, le mythe évoque Thétys, personnification du pouvoir fécondant de l’océan.

C’est bien cette figure que rencontre France Dubois dans cette eau primitive aux profondeurs volcaniques : « Si je ne peux être mère, je deviendrai « la mer », confiera-t-elle. On songe alors aux « actions » quasi chamaniques de la cubaine Ana Mendieta et particulièrement aux « Siluetas » qui, à la différence des performances, demeurent comme ici, des théâtralisations privées dont seuls les documents photographiques garderont la trace. Mais, comme chez l’artiste cubaine, l’immersion de France Dubois dans cette eau vivante encerclée par les roches noires gagne la dimension d’un rite initiatique plus universel et l’image rejoint les profondeurs d’un poème « imaginant ».

Bruxelles, La Hangar. 18, Place du Châtelain. Jusqu’au 17 juillet. Du mardi au samedi de 12h à 18h. www.hangar.art

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