sans titre, 2006. © martine canneel

L’oeuvre de la semaine: Jardiner l’infini

Guy Gilsoul Journaliste

Qui dira les sensations et les pensées qui accompagnèrent la main et le regard de la Bruxelloise Martine Caneel (°1936) quand, à 70 ans et au coeur de sa maison mandala qu’elle s’était construite en Australie, elle a, peu à peu, à force d’assemblages et de polissages, fait apparaître cet objet lisse et secret fait de fragments trouvés dans la nature ?

Voyez-vous la présence du coquillage? Et le bois devenu précieux ? Percevez-vous la maîtrise de l’oeil géomètre sans doute hérité de son père qui, en architecte paysagiste, fut dans les années 1930 aux côtés des plus grands architectes modernistes. Un père qui fut aussi celui qui fit connaître à sa fille les bruits, les lumières et la nature de l’Afrique congolaise ? C’était en 1950 et Martine Caneel avait 14 ans. Trois ans plus tard, elle revient à Bruxelles pour apprendre le dessin aux Beaux-arts puis rejoint Versailles afin d’y étudier l’art du paysagiste et enfin La Cambre où elle peaufine sa formation et son regard sur l’urbanité.

Sa fascination pour les angles droits, les matériaux du jour et les couleurs électriques vont l’amener à convoquer, sous un angle particulier, l’esprit du pop art en vogue dans les années 1960. D’emblée, elle impose sa manière d’aborder le monde de « l’American way of life » mais alors que d’autres en font l’éloge, elle en pointe le mépris de la nature qui en est le moteur. Du coup, elle intègre dans ses théâtres de plexi et de miroirs, ici, des phrases au néon (« cela ira mieux demain »), là, de petits objets ou figurines en plastiques jaune, bleu, rouges ou verts qui débordent ou s’entassent, enfermés dans des tubulures transparentes.

Elle aurait pu se contenter de multiplier ses assemblages aussi joyeux que critiques mais, en 1983, elle choisit l’exil australien et confronte ses révoltes aux échelles d’une nature monumentale, rebelle, rude et hors du temps dans laquelle, elle épouse la pensée bouddhiste. Là, qu’isolée, elle abandonne les matériaux de l’illusoire idéologie consumériste pour renouer avec ceux que la nature nourrit, anéantit et métamorphose depuis le fond des âges.

Devant cette oeuvre travaillée à la manière des ébénistes du XVIIe et XVIIIe siècle et qui me semble jardiner l’infini, il me revient le pouvoir des pierres sacrées de l’Inde. Ces lingam que l’on récolte en montagne dans le lit de la rivière Narmana et dont l’énergie, dit-on, traverse tous les chakras de celui qui les caresse.

Namur, Le Delta. Jusqu’au 1er août. Avenue Golenvaux, 18. Du mardi au vendredi de 11h à 18h, samedi et dimanche, de 10h à 18h. www.ledelta.be

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