Détail de « Buildings in Belgium, Buildings in Oil, Buildings in Silk”. © Lucy McKenzie

L’oeuvre de la semaine : Des murs comme des pages d’un livre d’images

Guy Gilsoul Journaliste

On entre dans la très chic boutique Hermes comme dans un temple du goût chic et cossu. Long et étroit, il mène à l’espace galerie dont les trois murs sont couverts par une suite de scènes figuratives peintes par Lucie Mckenzie (°1977), une artiste pluridisciplinaire écossaise qui, après avoir étudié le faux bois, le faux marbre, les patines et le trompe l’oeil dans la célèbre école Van der Kelen-Logelain de la rue du métal à Saint-Gilles, s’est depuis installée à Bruxelles.

En réalité, devant les yeux, s’étirent quatorze panneaux dessinés méticuleusement dans un style clair, coloriés de teintes pâles que rien ne vient heurter et composés par additions plutôt que par articulations. Cette manière plus proche de l’illustration que du muralisme invite à une lecture « entre les lignes » des multiples décors et personnages regroupés ou isolés selon un habile mélange de références historiques et d’imaginaire. Entre fausses fenêtres et fausse porte, se déroule ainsi une suite de rencontres et de situations évocatrices du monde de la mode, des rapports de classes et du lien entre les maîtres et les autres.

La séquence ici reproduite est tirée du mur du fond. A sa gauche, l’artiste a placé l’image d’une classe de jeunes filles écoutant la leçon donnée par le philosophe et sociologue allemand des années 1900 Georg Simmel qui avait entre autres défini le phénomène de la mode par « le besoin qu’ont les femmes de se distinguer et qu’elles ne peuvent satisfaire dans d’autres domaines ».

A la droite de la composition qui nous occupe, McKenzie a représenté Adolph Loos tenant dans ses bras une petite poupée. L’artiste suggère ainsi le penchant de l’architecte autrichien (auteur du célèbre « Ornement et crime » 1908) pour les femmes enfants, lui qui, pourtant, considérait la féminité comme une force non maîtrisée allant à l’encontre de la modernité. Le propos féministe est tout aussi évident dans la composition centrale ici reproduite. On y reconnaîtra deux autres maîtres héroïsés par le discours moderniste entourant ici une femme (habillée dans le costume de la tradition ukrainienne) dont ils coupent les tresses.

A gauche, la cigarette aux lèvres, Coco Chanel. A l’encontre des modes orientalistes des années 1920, elle libéra le corps des femmes en jouant, contre le corset et ses avatars, la carte du confort, du simple et du pratique comme le port du pantalon, du chandail ou encore de la marinière coupée dans un tissu en jersey habituellement réservé aux sous-vêtements masculins. Héroïne alors ? Sauf que la future espionne au service du renseignement nazi n’hésitera pas à licencier d’un seul coup de ciseaux ses 4.000 ouvrières qui avaient osé demander une augmentation de salaire !

Quant au personnage tout de gris costumé, il s’agit de Le Corbusier, à son tour demi-dieu reconnu du monde de l’architecture qui, aimerait rappeler McKenzie, dissimulait, derrière ses oeuvres et ses écrits (dont certains ont été publiés dans des revues d’extrême droite) une conception faisant du corps, une machine dans une machine à habiter. Et donc aussi, du corps de la femme, ménagère et mère moderne ici représentée de dos, ceinturée par un tablier, debout devant un décor de cuisine « pratique ».

Ainsi, à l’intérieur et entre ces différentes séquences, se lèvent, avec la douceur d’une illustration de livre d’image, quelques voiles d’une Histoire par trop enjolivée dont les clés de lecture sont, heureusement, suggérées dans un petit journal indispensable mis à la disposition des visiteurs.

Hermes. Jusqu’au 26 mars. 50 Boulevard de Waterloo, Bruxelles.

Du mardi au samedi de 12h à 18h.

Visites commentée chaque samedi à 15h.

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