Zoran © ©Mu¨i?, Figura grigia, 1997. ©? Ditesheim&MaffeiFine Art.

L’oeuvre de la semaine : De l’effacement à l’apparition

Guy Gilsoul Journaliste

Et si on prenait le temps de préparer la visite d’Artbrussels qui s’ouvrira le 25 juin ? Pour découvrir, par exemple, parmi la pléthore d’artistes contemporains, un des autoportraits ultimes réalisé par un  » ancien « , Zoran Mu¨i?.

On sait que l’artiste slovène, interné à Dachau, fut témoin des images de l’horreur et qu’il lui fallut 25 ans après sa libération pour qu’à l’heure des massacres du Vietnam, il ne reprenne cette thématique qui le rendra célèbre à partir des années 1980. Mais ici, il ne s’agit plus de cris, d’agonies et de charrettes de cadavres durs comme des stères de bois mais d’un fait, inéluctable : lui-même, aux portes de la fin.

En 1997, il a 88 ans, sa vue baisse, il sait que le temps s’accélère. Alors, il va à l’essentiel. Aucune indication de lieu et même pas de volume. Le noir de charbon encercle le corps nu aspiré par le fond de la toile qu’il griffe par les tracés tremblants au fusain. La figure seule, ainsi que les mains s’agrippent dans la matière osseuse du blanc. Pas de peau, pas de muscle, le corps s’efface dans une « beauté, écrira Rilke, qui n’est encore qu’un début de terrible. »

Il n’est pas seul à affronter la lente et irréversible progression du destin en faisant le procès des couleurs, des reliefs, des matières et des espaces scéniques. Si dès 1965, Roman Opalka décide de visualiser l’écoulement du temps en inscrivant inlassablement une suite de chiffres en blanc sur fond noir, c’est plus justement pendant les trente dernières années de sa vie (il meurt en 2011 à 76 ans) qu’il révèle l’évolution de l’effacement en associant au fond sombre, une progressive charge de blanc qui, dans les oeuvres ultimes ne propose plus à la vue que l’évanouissement des nombres tracés au blanc d’argent sur le support blanc de plomb.

Si cette pratique relève d’un concept, il n’en va pas de même chez d’autres qui, par les chemins de l’intuition, disent la même urgence. Celle que Mu¨i? découvrait aussi dans l’ultime autoportrait noir du Titien de 1567 (Prado). Plus près de nous, le vieux Cézanne vise aussi à effacer tout ce qui ‘est pas essentiel. Ainsi dessine-t-il au seul pinceau d’aquarelle un portrait (de son jardinier- dont le visage n’est que vide auréolé de bleu. On peut encore citer Matisse, le coloriste par excellence qui, aux derniers jours de sa vie, compose une nature morte avec la seule ressource du blanc de plâtre ou encore Giacometti en 1965 qui écrit quelques mois avant sa mort : « la couleur doit quitter le bal, pour finir, il ne reste que le gris. »

« L’image du personnage, confiait Mu¨i? à Jean Clair, doit s’éclairer de l’intérieur, et non pas par le soleil. Il doit sortir de lui-même, du noir de l’intérieur. » A ce moment, l’effacement devient alors apparition.

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