Daniel Enkaoua, Aure en violet, 2017-2018. © Daniel Enkaoua

L’oeuvre de la semaine: ceci n’est pas un portrait…

Guy Gilsoul Journaliste

Nous connaissons son nom : Aure. Depuis son plus jeune âge, elle pose, comme sa soeur, son frère et sa mère pour son père, le peintre Daniel Enkaoua (°1962). Parfois debout, parfois couchée, parfois en pied comme ici, elle n’exprime aucun sentiment. Elle ne joue pas.

Elle pose mais, à la différence d’un modèle d’académie, le rapport est nourri par l’intimité. Que lui offre-t-elle ? Que veut-il lui dire ? Derrière le chevalet, Daniel Enkaoua commence non par un dessin mais par quelques taches de couleurs sur la toile. D’autres suivent, plus petites puis les premiers gestes d’écriture, comme de petites caresses, comme de petites morsures. La silhouette apparait peu à peu alors que la brosse, comme si elle s’y opposait, emmêle les traits, superpose, glisse de l’un à l’autre. Les couleurs s’intensifient, d’autres se noient dans le poudroiement.

La figure d’Aure s’éloigne puis revient à la manière d’une épiphanie. Aure échappe au peintre, elle vit ou plutôt, le peintre lui rend sa liberté, l’ouvre au monde comme en ont le pouvoir, les mots du poète, entre les sons provoqués et les sens renouvelés. Enkaoua ne cherche pas la réponse mais la question qui demeure, se renouvelle, s’ouvre au désir autant qu’à la peur. Car, bien sûr, Aure a grandi, Aure bientôt partira. Et le peintre, à son tour témoin du temps et des instants qui jamais ne se répètent, pourrait les figer en donnant au modèle l’apparence du réalisme. Il ne le fera pas.

Et de rappeler alors le parcours de ce natif de Meaux qui décide un jour, avant de s’installer à Barcelone où il vit et travaille aujourd’hui, de rejoindre sa terre d’Israël, de s’inscrire aux Beaux-arts mais surtout de se plonger dans le coeur de sa culture juive. Et dès lors, de préférer aux affirmations, les questionnements, la vie plutôt que les certitudes.

Des interrogations qui le conduisent à nier la pertinence du réalisme en suivant en cela la leçon de la langue juive elle-même qui, rappelle le rabbin Marc-Alain Ouaknin (« Le livre brûlé »), « a la capacité d’éclater, de se pulvériser elle-même en mille morceaux, pour réaliser une déréalisation du réel par laquelle la fière assurance de tous les réels de ce monde s’effondrent et rejoignent le vide de leur vanité ».

Esther Verhaege art concepts. 37 Place du Châtelain (1050 Bruxelles). Jusqu’au 11 avril. Lu-Me de 14h30 à 17h, Je-Di de 14h30 à 18h. www.estherverhaege.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire