Stéphane Moreau.

L’intérêt bien compris de Stéphane Moreau

Le scénario s’est déroulé comme prévu. Nethys est en passe de vendre trois de ses filiales en y recasant son patron, juge et partie, alors que la valorisation annoncée de Win, Voo et Elicio est contredite par des calculs alternatifs.

Bien que le président du conseil d’administration de Nethys, Pierre Meyers, débusqué par des « fuites malencontreuses et malveillantes », a mis en avant, dans Le Soir du 17 septembre notamment, l’emploi liégeois et le bénéfice financier des actionnaires publics pour justifier la vente occulte de Win, Voo et Elicio (comme Nethys, filiales de Enodia, ex-Publifin), la trajectoire personnelle de Stéphane Moreau et de ses amis reste malgré tout le fil rouge d’un scandale politique sur lequel se répand un épais nuage d’encre.

Voyons les sociétés une à une. Win (technologies de l’information), basée à Namur, employant 91 personnes et dirigée par Philippe Naelten, dégageait en 2018 un bénéfice net de 2,8 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 46 millions. La société de François Fornieri, Ardentia Tech, gérée au quotidien par Stéphane Moreau, a dealé secrètement avec Stéphane Moreau, patron de Nethys, dans le CA duquel siège aussi François Fornieri, pour racheter 100 % de cette pépite wallonne à un prix doux, 15 millions d’euros, sachant qu’elle aurait besoin, selon eux, de 10 millions d’euros d’argent frais. Or, cette valorisation de 15 millions d’euros ne semble pas correspondre aux bilans de Win. Dans le secteur des télécoms et de l’informatique, la valeur d’une société est calculée en multipliant par six l’ebitda (le bénéfice avant impôts, intérêts, charges, etc) qui, dans le cas de Win, est de 4 millions par an récurrents.

La société vaudrait donc en réalité 24 millions d’euros. En outre, elle possède un data center flambant neuf et génère 2,4 millions de liquidités par an (avant le scandale Publifin, fin 2016, l’argent remontait vers Nethys sous la forme de tantièmes), ce qui permet de lui donner une cote de 30 millions à l’heure actuelle. En cas de revente, 45 ou 50 millions seraient même envisageables. Or, seul Ardentia Tech (Fornieri/ Moreau) a fait offre, et sur cette base modeste de 15 millions. Les acteurs du secteur (Proximus, Telenet, Orange, NRB, CGR, IBM…) ont-ils été contactés ? Pierre Meyers a assuré que cinq candidats avaient été repérés pour Voo, mais il n’a rien dit de tel pour Win.

C’est chez Win que Stéphane Moreau va assurément continuer sa carrière comme administrateur délégué. C’est là aussi qu’il va peut-être percevoir, en cas de revente de la société au bout de quelques mois ou années, une plus-value qui constituera son chèque de départ de la galaxie Nethys. Le renvoyer avec pertes et fracas au terme de la commission Publifin coûtait, en effet, trop cher : dix millions. Impensable, politiquement, même pour les socialistes liégeois les plus favorables. Le « chèque caché », s’il existe, pourrait être logé chez Win sous la forme d’un avenant (side letter) ou tout autre arrangement préalable.

La situation de Voo est plus complexe. D’après La Meuse, le fonds d’investissement américain Providence Equity Partners souhaite continuer à travailler avec le management actuel. Stéphane Moreau devrait rester logiquement à la tête de la société soustraite à la tutelle wallonne, puisque privatisée à 51 %, et, dès lors, reconquérir ses émoluments, environ un million d’euros, divisés par quatre sous le décret gouvernance s’appliquant aux entités publiques.

Quant à la valorisation annoncée de Voo, elle oscille entre 1,5 et 1,8 milliard d’euros. Il y a cependant un hic. Lorsque, en 2016, Telenet a racheté à SFR Belgique (ex-Numericable) le réseau câblé de 25 communes flamandes, bruxelloises, wallonnes et luxembourgeoises, chaque foyer raccordé (homes passed) valait 4 000 euros, l’opération ayant coûté 400 millions à l’opérateur américano-flamand. En appliquant cette grille de calcul à Voo qui, malgré ses pertes d’abonnés, dispose d’un réseau de 960 000 homes passed, la valorisation devrait s’établir à 3,6 milliards plutôt qu’à 1,8 milliard.

Evidemment, l’opération n’est pas clôturée, et il reste l’épine de Brutélé qui pourrait se vendre soit à Nethys, soit directement à Providence, ce qui diminuerait d’autant le retour sur investissement des Liégeois. La non-acquisition de Brutélé est une clause suspensive de l’offre liante conclue au tournant du 20 mai dernier dans la plus grande discrétion entre Voo et Providence

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Reste Elicio (éolien en mer), que Nethys a l’intention de céder totalement, pour 265 millions au duo formé par John Cockerill (CMI, Bernard Serin) et Ardentia (François Fornieri). La communication de Nethys mentionne l’endettement de 700 millions d’Elicio, comme s’il s’agissait d’une somme insurmontable nécessitant de se débarrasser au plus vite de ce boulet flamand. A voir si Elicio n’a pas été sous-cotée, car le plus gros des investissements est réalisé et le vent souffle toujours en mer du Nord.

Changement de cap liégeois

Pourquoi la Province de Liège et les communes wallonnes actionnaires d’Enodia/Publifin ont-elles changé brutalement de cap, après avoir été les chantres de l’initiative industrielle publique, en réclamant de Nethys qu’elle devienne minoritaire dans ses activités concurrentielles, voire vende à 100 % ? Cela reste un mystère et ouvre la porte à des soupçons de privatisation intéressée. La commission Publifin du parlement wallon n’en demandait pas tant. Elle engageait « les organes des différentes entités du groupe Publifin-Nethys, en concertation avec le gouvernement, et en pleine considération des enjeux liés à l’emploi, à repenser le fonctionnement et le périmètre d’intervention du groupe (…), en envisageant de céder à des tiers certaines participations, liées notamment à des activités situées à l’extérieur du pays, dans des conditions optimales sous l’angle économique, ou de céder à des sociétés publiques régionales les participations liées à des activités qui dépassent le périmètre d’intervention de l’intercommunale » (3.2.5).

En revanche, les élus wallons unanimes recommandaient d’ « écarter les personnes dont la responsabilité est engagée dans les manquements et dysfonctionnements identifiés dans le présent rapport des organes de l’ensemble des filiales du groupe Publifin » (5.2.27).

Sur ce point-là, Pierre Meyers pourra se targuer d’avoir obéi. Il s’est dit prêt à licencier tous les membres de son comité de direction, Stéphane Moreau en tête.

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