Thierry Denoël

L’inéluctable victoire des banquiers

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Cela n’étonne plus personne. La scission des banques n’aura pas lieu, ni en Belgique, ni en Europe. Comme aux Etats-Unis, le lobby bancaire a su se faire entendre 5 sur 5. Il faudra sans doute une nouvelle crise…

On se demande comment les socialistes vont vendre le morceau, eux qui avaient brandi la scission comme un étendard. La séparation des métiers bancaires (entre trading et dépôts) était une de leurs principales exigences pour la formation du gouvernement fin 2011. Deux ans plus tard, le constat est indéniable : il n’y aura pas de scission. Le ministre des Finances Koen Geens (CD&V) a remis son projet, ce lundi. Les discussions ont commencé au sein de l’équipe Di Rupo. Elles pourraient aboutir d’ici à la fin de l’année.

On sait déjà que la révolution escomptée n’aura pas lieu. Nos banques universelles ne devront pas se scinder. Le projet Geens vise, semble-t-il, à limiter les activités à risques via des exigences en fonds propres. Toute la négociation va porter sur le seuil qu’il faudra imposer aux banques pour les activités de trading, sachant que plus le seuil est élevé, plus le risque est grand. Bref, ce plan ne s’éloigne pas des propositions avancées par la Banque nationale (BNB) qui a toujours prétendu que le marché bancaire belge n’était pas adapté à une scission. Ce qui était aussi le credo du lobby bancaire qui, via sa fédération Febelfin, a maintes fois averti qu’une séparation diminuerait dangereusement les capacités de financement de l’activité économique par les banques.

Le hic, c’est justement parce que les banques ne sont plus, depuis vingt ans, au service de l’économie mais de la finance que les revendications de scission ont vu le jour, au lendemain de la crise de 2008. Il y a cinq ans, nos banques, fourvoyées dans les produits dérivés, étaient au bord du dépôt de bilan. Sans l’aide de l’Etat, Fortis, Dexia ou KBC seraient tombées dans le gouffre. Tout le monde se disait alors convaincu que, pour éviter une telle catastrophe à l’avenir, il fallait cantonner les activités spéculatives des banques dans une entité totalement étanche. D’autant que le rapport de force rééquilibré entre banques et autorités publiques permettait ce changement. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus de majorité politique pour défendre cette option.

Que s’est-il passé ? En cinq ans, de l’eau a coulé sous les ponts… L’urgence n’est plus la même. En avançant leurs arguments de « complexité » ou de « nécessité de rester compétitif », les banques ont gagné du temps. Les projets de réforme se sont dégonflés. On l’a vu en France, cet été, où le président Hollande avait pourtant, lui aussi, promis-juré la scission. On l’a vu en Allemagne. On le voit au niveau européen où les propositions concrètes se font toujours attendre. L’occasion historique d’obliger les banquiers à revenir à leur métier de base est désormais gâchée. Et la Belgique – on pouvait s’y attendre – ne jouera pas les chevaliers blancs vis-à-vis des banques. Quelle crise faudra-t-il pour transformer le système ?

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