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Lier les amendes routières aux revenus ? « Cela frappera surtout la classe moyenne »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ajuster l’amende routière à l’épaisseur du portefeuille du contrevenant, le PS revient à la charge au Parlement et l’Ecolo Georges Gilkinet, ministre de la Mobilité, ne dit pas non. Bruno Gysels, avocat spécialiste en circulation routière, juge le procédé peu praticable et source potentielle d’injustice.

Mettre à l’amende l’automobiliste fautif en tenant compte de la hauteur de ses revenus: l’idée ne fait-elle pas sens?

Oui dans l’absolu, non dans la pratique. Tout dépend de ce que l’on entend par la notion d’amende. Si elle est prononcée par un tribunal de police, le système proposé n’aura, à mon sens, guère d’effet puisque le juge est déjà censé tenir compte de la capacité financière du condamné lorsqu’il fixe la hauteur du montant de l’amende.

Mais rien n’oblige le juge. Est-ce vraiment le cas lorsqu’il inflige une amende?

J’ai l’impression que oui lorsque les revenus de l’automobiliste sanctionné sont très faibles, voire inexistants comme dans le cas d’un étudiant. Le juge aura plutôt tendance à infliger une faible amende, à accorder un sursis total ou partiel ou à fixer des mesures à caractère non financier comme une peine de travail. Il tient, en revanche, nettement moins compte de la capacité financière d’un contrevenant dont les revenus sont particulièrement élevés. Il est vrai que le magistrat ne dispose pas des outils pour connaître de façon précise le montant des revenus, il doit se baser sur ce que l’on veut bien lui déclarer de cette capacité financière. Un nanti ne se vantera pas particulièrement de son train de vie…

L’application d’un coefficient multiplicateur ne facilitera-t-elle pas la tâche du juge dans la prise en compte de l’état de fortune des automobilistes disposant des plus hauts revenus?

Vous savez, les juges adorent leur indépendance, ils répugnent à devenir des distributeurs auto- matiques de peines, à force de leur imposer des carcans. En disposant de la faculté de faire varier le montant de l’amende entre un minimum et un maximum, un juge risque d’intégrer à l’avance ce coefficient multiplicateur dans la fixation du montant même de l’amende.

Pour Bruno Gysels, avocat spécialiste en circulation routière, lier les amendes routières aux revenus n’est pas une bonne idée en pratique. © dr

Si ce n’est pas au tribunal, à quel stade de la procédure de sanction financière la prise en compte des revenus du contrevenant pourrait-elle s’imposer?

Le dispositif trouverait à s’appliquer dans le cadre de la procédure Crossborder (NDLR: processus d’automatisation de la perception des amendes routières échelonné en une proposition de perception immédiate, puis de transaction et enfin un ordre de paiement) qui absorbe aujourd’hui la majorité du contentieux en matière d’infractions de roulage. Le PV initial pour excès de vitesse est adressé au titulaire de la plaque d’immatriculation et portera donc sur ses revenus. Sauf que cette présomption n’existe plus si le délai de quatorze jours imposé pour l’envoi de la copie du PV n’est pas respecté, ce qui arrive fréquemment en raison de la surcharge administrative, même si les autorités persistent à tort à invoquer cette présomption. On peut imaginer le conciliabule qui se tiendra au sein de la famille du contrevenant pour imputer le montant à payer sur le membre qui a le moins de revenus ou qui n’en a pas. A charge alors pour la police d’ouvrir une enquête afin de vérifier si le contrevenant déclaré est bien l’auteur de l’infraction de roulage. Bonjour l’embrouillamini et l’usine à gaz.

Lier les amendes routières aux revenus, une bonne idée ? « Cela pourrait devenir une source d’injustice » © belga image

Tenir compte des revenus pour fixer une amende ne serait pas plus juste que la situation actuelle?

Non, pas forcément. Tenir compte des seuls revenus officiels pourra devenir la source d’une nouvelle injustice qui risque de frapper avant tout les gens facilement sanctionnables de la classe moyenne alors que pourront y échapper les catégories extrêmes, ceux qui se déclarent faussement sans revenus ou ceux qui en ont beaucoup et ont les moyens d’en dissimuler une partie.

Vos clients, lorsqu’ils sont financièrement aisés, seraient-ils sensibles à l’idée de se voir plus lourdement frappés au portefeuille, en proportion de leur état financier?

S’il est vrai que l’amende infligée peut parfois paraître ridicule au regard des capacités financières d’un contrevenant, je n’ai pas le sentiment qu’une catégorie d’hyperfortunés cultive un sentiment d’impunité. Qu’une partie de la population s’estimerait en droit de rouler n’importe comment sous le prétexte qu’elle est fortunée relève avant tout du mythe. Sans compter que les sanctions en matière d’infractions routières ne sont pas que financières mais peuvent aussi consister en une déchéance du droit de conduire, un examen de réintégration ou l’usage d’un alcolock. A l’inverse, on peut avoir des conducteurs criblés de dettes qui ne paieront de toute façon pas l’amende. Ce n’est pas forcément le gabarit ou la cylindrée d’une voiture et l’état des revenus qui induisent un comportement irresponsable au volant. On n’est pas plus ou moins dangereux au volant selon que l’on est plus ou moins riche.

Le comportement d’un «nanti» au volant ne s’en trouverait donc pas modifié?

Je n’ai pas l’impression. Il est d’ailleurs regrettable que la politique répressive actuellement suivie en matière de sécurité routière soit guidée par la volonté de faire avant tout du chiffre, de privilégier la rentabilité financière. Que le SPF Justice ait remporté le prix de la rentabilité aux Digital Society Awards l’an dernier en dit long sur les priorités actuelles. On privilégie la solution de facilité, celle qui rapporte, et les efforts ne sont pas suffisamment axés sur les facteurs accidentogènes: la drogue, l’alcool ou encore le GSM au volant, dont l’usage est si peu puni financièrement. Il y aurait beaucoup d’autres choses à améliorer, d’autres pistes plus prometteuses à explorer que de soulever la question d’une modulation des amendes en fonction des revenus. Si on était tellement préoccupés en matière de sécurité routière, on devrait s’interroger sur le fait qu’un permis de conduire, qui s’obtient généralement vers 20 ans, peut toujours être valable sans contrôle soixante ans plus tard. On pourrait envisager, à titre préventif, un contrôle marginal pour les conducteurs particulièrement exposés à une dangerosité au volant. Mais cela reviendrait à viser une population plutôt âgée, ce qui serait électoralement sensible.

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