Le Churchill (ici) et Le Parc sont deux cinémas gérés par Les Grignoux. Où on est fier d'avoir pu garder tout le personnel. © DR

Liège au temps du Covid: la culture déconfite mais la tête haute

Parmi les premiers à avoir dû fermer, en mars dernier, le secteur culturel n’a pas retrouvé son rythme normal. Mais entre salles vides et public solidaire, les acteurs de la culture liégeoise choisissent de se concentrer sur les aspects positifs.

Le propre des séismes est d’arrêter momentanément le temps, et de rester figés dans l’imaginaire collectif au moment qui les précède, chacun se rappelant « ce qu’il faisait quand ». A Liège, comme dans le reste du pays, tout s’est tu le 13 mars dernier, et Lo Maghuin, chargée de communication pour les cinémas Grignoux, se rappelle encore des derniers films projetés:  » Queen & Slim, un film formidable qui a vu sa carrière bousculée par la pandémie, et La Bonne Epouse, qui n’a pas non plus rencontré le succès qu’il méritait, à cause de la fermeture des salles. »

La réouverture a été fort timide, on sentait l’inquiètude du public.

A quelques rues de là, le Reflektor. Le 11 mars, le rappeur belge ICO y a joué le dernier concert de la saison devant une salle comble. « On n’imaginait pas du tout la suite des événements, admet Jean-Yves Reumont, en charge de la programmation au Reflektor et aux Ardentes. On commençait tout juste à parler sérieusement de la Covid-19 chez nous, mais ça restait quelque chose de très évasif. Avec le recul, ça semble un peu bête, mais avec l’équipe, on évoquait l’annulation des concerts sur le ton de la plaisanterie. On n’aurait jamais pu prédire ce qu’on vient de vivre. La décision est tombée le 13 mars, mais on avait déjà annulé le concert du 12, et depuis, plus rien ; ça fait plus de six mois qu’on est à l’arrêt. »

Un long hiver auquel le milieu culturel a fait face avec la résilience qui caractérise les Liégeois. Après tout, ne dit-on pas d’eux qu’aucun peuple n’a jamais plus « relevé ses crestes »? Si ce terme moyenâgeux a aujourd’hui été remplacé par « têtes » dans le langage courant, une chose est certaine: la culture a gardé la tête haute dans la Cité ardente. Au Reflektor, une équipe de dix personnes s’occupe de la programmation de la salle et de l’organisation des Ardentes, sans oublier Ronquières et Jazz à Liège, et « on a pu garder tout le monde », se réjouit Jean-Yves Reumont, même si, pour ce faire, il aura fallu recourir au chômage économique. Aux Grignoux, 168 personnes font tourner quatre cinémas, trois à Liège (le Parc, le Churchill et le Sauvenière) et un à Namur (Caméo). Là aussi, « on n’a dû se séparer de personne pour le moment, et on espère bien qu’on ne devra pas le faire », confie Lo Maghuin, qui salue l’élan de solidarité dont Les Grignoux ont bénéficié.

Le public liégeois solidaire

« Nous sommes restés fermés jusque début juin, et la réouverture a été fort timide au départ, on sentait l’inquiétude du public. Autant maintenant, on doit insister lourdement auprès des clients pour qu’ils gardent leurs masques durant la séance, autant à ce moment-là, ce n’était pas nécessaire: ils étaient masqués jusqu’aux yeux et on sentait que pour eux, venir au cinéma était un acte militant, raconte Lo Maghuin. C’était très touchant pour nous, parce qu’on sentait que le film projeté leur importait peu: ils voulaient que Les Grignoux survivent. Pendant tout l’été, on a simplifié nos tarifs: 5,2 euros pour tous, ou un billet « Soutien des Grignoux » à 7 euros, et cette formule a rencontré plus de succès que le billet moins cher durant tout l’été. » Et d’ajouter, espiègle, que la vente des billets se faisait en ligne, et qu’aucun spectateur n’a donc été influencé dans le choix de son tarif.

Le Churchill et Le Parc (ici) sont deux cinémas gérés par Les Grignoux. Où on est fier d'avoir pu garder tout le personnel.
Le Churchill et Le Parc (ici) sont deux cinémas gérés par Les Grignoux. Où on est fier d’avoir pu garder tout le personnel.© M. CRAHAY

Une réjouissante renaissance estivale qui n’aura pas eu lieu au Reflektor, l’équipe ayant dû se résoudre également à annuler les Ardentes. « On a été un des derniers festivals belges à l’annoncer, parce qu’on a eu du mal à se résigner à ne pas du tout avoir d’événement cette année », reconnaît Jean-Yves Reumont, qui a étudié avec son équipe l’éventualité de repousser le festival en septembre, et se dit aujourd’hui soulagé de ne pas avoir poursuivi cette piste, vu la situation sanitaire actuelle. Et tant pis si cette édition s’annonçait historique: « C’était notre premier festival sur le nouveau site de Rocourt, c’était très symbolique et plus ambitieux que jamais, on comptait passer de 25 000 à 35 000 festivaliers par jour avec une affiche encore plus forte et un public plus international. En 2019, on avait 25% de festivaliers français, et on allait vers 30 à 40% cette année. » Des festivaliers plutôt jeunes, qui ont eu du mal à accepter l’annulation de réjouissances estivales attendues de longue date. « Repousser l’annonce de l’annulation du festival était aussi une manière de leur montrer qu’on les comprenait, mais, en même temps, on ne voulait mettre personne en danger. Du point de vue sanitaire, le festival était impossible à mettre en place en 2020, donc on a offert au public la possibilité de garder son ticket pour 2021 ou de se faire rembourser, et 20% seulement des festivaliers ont choisi la deuxième option. On est contents, parce que ça montre qu’ils sont solidaires des Ardentes. »

Une solidarité qui aura décidément été au programme de toutes les institutions culturelles liégeoises ces derniers mois, faute de concerts ou de films à jouer. Deux mois durant, le Reflektor s’est ainsi transformé en centre de collecte de sang pour la Croix-Rouge. En Roture, le Kultura a invité son public à « acheter une bière par mois pour sauver la salle », soit un appel aux dons de 2,5 euros minimum et en retour, « pour à peine le montant d’une bière par mois, si vous êtes suffisamment nombreux, nous pourrons nous préparer sereinement à vous accueillir à nouveau quand ce sera raisonnable ».

Un besoin de décisions plus claires et uniformes

Les autorités communales, provinciales et l’office du tourisme se sont associés pour soutenir l’opération « Place aux Artistes », qui a financé la mise sur pied de plus de 70 propositions artistiques gratuites en extérieur, entre théâtre ambulatoire, musique, cirque et oeuvres installées temporairement dans les rues de la ville. Un soutien suffisant? « Ce n’est pas de mon ressort d’évaluer le soutien des autorités au culturel, estime Lo Maghuin, mais j’aurais tendance à dire qu’il n’a pas été suffisant à voir le nombre de petites structures qui vont mettre la clé sous la porte. Ce que nous avons regretté, c’est de ne pas avoir des décisions plus claires et plus uniformes. »

Et que dire, alors, de l’autorisation de reprendre les matches de foot à Sclessin ou d’organiser la foire d’octobre entre-temps annulée, alors que les salles de concert doivent encore limiter au maximum la taille du public? « Je comprends que ça puisse être frustrant », concède Jean-Yves Reumont, qui choisit toutefois de le voir comme un pas dans la bonne direction: « Tout ce qui contribue à la reprise est positif. » En touchant du bois pour qu’un nouveau confinement pur et dur, avec fermeture des salles, ne soit pas imposé dans les prochaines semaines.

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