Jean-Marc Damry

Liège 2017 : le bal des tricheurs et des hypocrites

Jean-Marc Damry Rédacteur au Vif L'Express

Le rendez-vous avait été fixé Place Saint Lambert ce jeudi à 16 h 30, avec écran géant et tout le tralala. J’avais dégagé mon agenda pour y être. Naïf que j’étais, je m’attendais à un grand rassemblement populaire, prouvant à ceux qui en douteraient encore – je pensais évidemment là aux membres du BEI qui hésitaient encore entre Astana et la Cité ardente – que les Liégeois de souche ou de coeur étaient vraiment tous derrière ce beau projet.

Sur la route me menant à Liège, j’imaginais déjà les bouchons dans lesquels j’allais tomber, un peu comme avant chaque feu d’artifice du 14 juillet, craignant même les difficultés de parkings qui allaient in fine m’empêcher d’être partie prenante à ce compte à rebours, ce n’est pas peu dire… J’imaginais aussi que, par technologies interposées, Willy Demeyer et Jean-Christophe Peterkenne allaient pouvoir enfoncer un tout dernier clou face à Astana et projeter dans la salle du BIE une Place Saint-Lambert noire de monde. Mais ô surprise, j’arrive à Liège bien en avance. Il n’y a encore quasi personne sur place, si ce n’est les équipes de la RTBF et de RTC, la télé locale. Mais qu’importe, avec mon amie Viviane, je vais boire un café en terrasse au pied du Perron. A 16 h 30 pétantes, nous sommes évidemment de retour Place St Lambert et là, ô surprise à nouveau, il n’y a que quelques centaines de personnes à peine ! Je croise du regard Christine Defraigne, le patron de Meusinvest, la patronne du secrétariat social de l’UCM, un échevin qui n’était pas du voyage à Paris, une de mes anciennes voisines, certains de mes anciens étudiants. On nous offre des gadgets aux couleurs de Liège 2017, nous blaguons, l’ambiance est bon enfant mais on commence cependant à pressentir que les carottes sont cuites. Et en effet, plus vite que prévu, la nouvelle tombe, telle une guillotine : Astana organisera l’expo 2017. C’est bien entendu la déception. Et quand on annonce quelques minutes plus tard le nombre de voix obtenues par chacune des villes, c’est alors la consternation. On voit sur l’écran géant les mines déçues des Liégeois qui ont fait le voyage jusqu’à Paris pendant que sur la Place Saint Lambert, on voyait des larmes couler sur les joues de certains membres du staff qui, depuis des mois, se consacrait corps et âme, du matin au soir, à ce beau projet. Il faut donc se faire une raison et rester fair-play : les Kazakhs ont été plus convaincants. Au-delà, tout n’est pas perdu pour Liège. On y développera quand même le quartier de Coronmeuse et la ville aura son tram. Ce dossier a aussi montré que des beaux projets pouvaient transcender toutes les rivalités et que les Liégeois, toutes tendances confondues, étaient capables de s’unir autour d’une belle cause.

La manière…

Après la déception et la consternation, l’heure est à présent à la réflexion. Et serait-ce ici faire preuve d’un chauvinisme exacerbé que d’imaginer certains votes dictés par le « pognon », plus que par la raison ? En tout cas, si je m’efforçais -difficilement, je l’avoue – de ne pas y croire, les révélations de nos confrères de Sud Presse m’ont laissé à penser que les dés étaient quelque peu pipés. Mais bon, « alea jacta est, pensons à autre chose », me disais-je alors. Je n’y suis cependant pas arrivé. Vers minuit en effet, je reprends la route pour rentrer chez moi et j’entends à la radio le commentaire d’une journaliste qui pointait la présence à Paris, depuis quelques jours du président Kazakh, ajoutant qu’il avait « un peu » manqué de présences belges « de poids » au même moment. Quelques minutes plus tard, je m’arrête pour faire un plein de carburants. Dans le shop, je vois la une du « Laatste nieuws ». Je me pince pour voir si je ne rêve pas. Non, j’ai bien lu : « Koningspaar bezoekt onze redactie ». « Nondidjû », me dis-je en patois liégeois, alors que le pays tout entier est supposé jeter ses dernières forces dans la bataille qui l’oppose au Kazakhstan pour décrocher l’expo 2017, notre couple royal, ancien princes de Liège s’il-vous-plait, visite la rédaction d’un journal flamand ! « Nondidjû », me suis-je à nouveau dit quand j’ai réalisé que le Prince Philippe et le ministre wallon de l’économie Jean-Claude Marcourt étaient au même moment aux antipodes, en mission économique. La date buttoir du 22 novembre étant connue de très longue date, n’aurait-on pu imaginer programmer cette mission une semaine plus tard ? « Nondidjû » me suis-je encore dit par rapport aux négociations autour du budget fédéral. Comme par hasard, tout s’est débloqué en phase avec les échéances européennes…S’agissant d’une candidature du pays et non de Liège toute seule, n’aurait-on pu imaginer finir endéans des délais permettant à Elio Di Rupo et Didier Reynders de filer eux aussi vers Paris ? Qu’aurait-on dit en Flandre face à une telle attitude si la candidature avait en fait été celle d’Anvers ? Alors je me dis maintenant que tout ceci était un peu cousu d’avance. Et comme personne n’aime s’afficher dans la défaite, « on » a abandonné à leur sort ceux qui ont porté à bout de bras ce beau projet avec un courage et une conviction qui forcent vraiment l’admiration. Je ne peux m’empêcher de me dire que si les tendances off the records avaient penché dans l’autre sens que celui d’Astana, bref, pour Liège, nul doute que tous les symboles de pouvoir de ce pays se seraient retrouvés ce jeudi à Paris. Je ne peux m’empêcher ici de repenser à ces jours mémorables où Justine Henin s’imposait à Roland Garros. Ces jours-là, les supporters de la victoire étaient tous de sortie et s’affichaient fièrement !

Jean Marc Damry

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