Hugues Dumont

« L’idéal serait que les Flamands soient bien plus nombreux à Bruxelles »

Hugues Dumont Professeur ordinaire à l'Université Saint-Louis - Bruxelles

Dans un billet peu amène publié dans le Knack et sur le site du Vif, Hendrik Vuye et sa collègue député N-VA Veerle Wouters font une curieuse analyse de mon article publié dans le numéro 6609 du Journal des tribunaux au sujet de la sixième réforme de l’Etat.

Réponse au billet posté le 24/06/2015 de Hendrik Vuye et Veerle Wouters sous le titre : « Ceux qui chassent les Flamands de Bruxelles, creusent la tombe de la Belgique« 

Au terme de cette analyse, ils croient pouvoir me ranger dans la catégorie de « ceux qui chassent les Flamands de Bruxelles » et, par voie de conséquence, « creusent la tombe de la Belgique ». Je pourrais facilement ironiser sur cette accusation pour le moins paradoxale dans le chef de ceux qui, prévoyant « l’évaporation » de l’Etat belge, se sont engagés vis-à-vis de leurs électeurs à y contribuer activement. Même s’il est tentant de suspecter une certaine dose de mauvaise foi, je souhaite un débat serein et empreint de respect mutuel.

A vrai dire, l’approche que je défends se situe aux antipodes de l’accusation qui m’est adressée. Dans le livre[1] que mon article résume, je constate simplement, avec les membres de mon centre de recherches en droit constitutionnel, que la sixième réforme de l’Etat a renforcé tantôt les compétences de la Région de Bruxelles-Capitale, tantôt celles de la Commission communautaire commune (COCOM) de Bruxelles. Je souligne qu’il y a là un bel enjeu pour le présent et pour l’avenir immédiat. Il appartient en effet aux francophones et aux Flamands de Bruxelles de montrer qu’ils peuvent très bien s’entendre pour gérer ces nouvelles compétences. Les premiers étaient réticents à investir la Commission communautaire commune qui est vulnérable à d’éventuelles manoeuvres de blocage de la part du partenaire flamand, tandis que celui-ci était réticent à miser sur la Région bruxelloise qui lui offre des garanties de protection légèrement moindres. L’entente s’est faite sur le partage que l’on connaît : la Région reçoit de nouvelles compétences, y compris dans le secteur de la culture, mais la COCOM, loin d’être supprimée, en reçoit aussi dans le secteur non moins stratégique des soins de santé, de l’aide aux personnes et des allocations familiales. On pourrait voir là un non-choix, parmi beaucoup d’autres du reste. Mais nous y avons vu plutôt un bel exemple de compromis qui peut être porteur d’avenir. Pourquoi ? Parce que si l’expérience réussit, autrement dit si les vieilles méfiances mutuelles pouvaient s’estomper, l’on pourrait à un moment donné rationaliser ce paysage compliqué en transférant toutes les compétences personnalisables à la Région, ce qui simplifierait la gestion des affaires bruxelloises pour le plus grand bienfait des citoyens.

Au fond, Hendrik Vuye et Veerle Wouters qui passent le raisonnement que je viens de rapporter sous silence tentent de m’accabler dans leur billet en raisonnant comme si les Flamands de Bruxelles ne comptaient pour rien. J’ai envie de leur rappeler que les Flamands de Bruxelles sont aussi des Flamands. Faites-leur confiance s’il vous plait. Cela dit, je ne méconnais pas du tout, contrairement à l’accusation une fois encore incorrecte qu’ils soutiennent, l’importance des liens que doivent conserver les Flamands de Flandre et ceux de Bruxelles. C’est précisément parce que j’en suis convaincu que je défends le maintien de l’essentiel des compétences actuelles de la Communauté flamande et de la Communauté française dans les domaines de la culture et de l’enseignement. Je comprends très bien en effet le souci des Flamands de Flandre et de Bruxelles de rester unis et solidaires sur ces terrains sensibles. Mais ces liens ne sont nullement incompatibles avec les compétences que la Région de Bruxelles-Capitale vient de recevoir dans le secteur dit « biculturel » d’intérêt régional.

Mes idées sont nuancées. On ne peut pas les résumer parfaitement en disant que je prône une Belgique à quatre entités territoriales sans plus. Je crois que l’on gagnerait à se rapprocher de ce modèle en régionalisant les matières personnalisables pour que le système institutionnel qui est le nôtre soit plus fonctionnel et plus lisible, mais j’ajoute toujours l’importante nuance du lien communautaire qu’il faut respecter, d’une part entre les Flamands de Flandre et de Bruxelles et, d’autre part, entre les Wallons et les francophones de Bruxelles, dans les domaines de la culture et de l’enseignement.

Je répète régulièrement à mes étudiants francophones et flamands que l’idéal serait que les Flamands soient bien plus nombreux à Bruxelles. Je l’ai dit publiquement lors d’un colloque organisé par l’Université d’Anvers en présence d’Hendrik Vuye. Cher Hendrik, puisses-tu dorénavant ne rien perdre de la rigueur et de l’honnêteté intellectuelle qui devraient faire l’honneur d’un professeur d’université, même quand tu cosignes des billets d’humeur avec une mandataire de la N-VA.

[1] H. Dumont, M. El Berhoumi et I. Hachez (sous la dir. de), La sixième réforme de l’Etat : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, Bruxelles, Larcier, 2015.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire