Matthias Somers

L’histoire de Diouf: « C’est quoi, cette merde? Tu trouves ça normal? »

Matthias Somers Collaborateur parlementaire de Freya Van den Bossche. Il était sur les listes européennes du SP.A lors des dernières élections

Collaborateur parlementaire de Freya Van den Bossche, Matthias Somers (sp.a) raconte sa rencontre nocturne à Bruxelles avec Diouf. « Combien de Belges dorment sous les toits qu’il a posés ? »

Ce n’est peut-être pas un billet d’humeur ordinaire, mais c’est une histoire qu’il me fallait raconter. J’ai rencontré cet homme en janvier. Depuis, je ne l’ai plus jamais revu. J’ai changé son nom.

Lorsque je l’ai aperçu, j’ai continué mon chemin. J’ai fait semblant de ne pas l’entendre. Il faisait sombre, la lumière des restaurants brillait sur les pavés mouillés. On m’attendait. Je ne devais pas l’écouter. Mais il insistait, marchait à mes côtés. Il s’appelait Diouf disait-il et Diouf était fâché. Il vivait à Bruxelles. Il est resté vague sur les circonstances qui l’ont amené dans la capitale. Sauf qu’il n’avait d’autre choix que de quitter son pays, sans avenir pour lui.

Ses débuts semblaient pourtant prometteurs. Son oncle lui avait prêté de l’argent pour démarrer sa propre affaire. Il réparait des vélos et des mobylettes, les affaires marchaient bien : il pouvait rembourser son oncle et conservait juste assez pour joindre les deux bouts. Mais pour un jeune homme comme Diouf, ce n’est pas suffisant. Certainement pas pour un jeune homme qui cherche une femme, tombe amoureux, souhaite se marier et fonder une famille. Et Diouf est tombé amoureux, alors qu’il n’en avait pas les moyens. Aucune famille ne veut donner sa fille en mariage à un homme qui n’a ni argent ni avenir. Il y en a beaucoup comme lui, et il n’y a qu’un nombre limité de vélos à réparer. Son oncle lui propose alors de vendre son commerce et de déménager en ville. Un de ses fils y avait trouvé du travail dans une usine de briques. Un travail dur, mais assez bien payé, et il y avait même trouvé une femme. Si son cousin pouvait vivre en ville, pourquoi pas Diouf ? Alors, Diouf a vendu son affaire pour déménager. Mais la ville n’a pas voulu de lui.

« Peut-être demain »

Il n’a pas trouvé de travail, le peu d’argent que lui avait rapporté la vente de son commerce a fondu comme neige au soleil et son cousin ne supportait plus sa présence dans la petite maison. Diouf erre alors dans les rues, il s’ennuie. Chaque nouvelle journée lui fait peur, car c’est un jour en moins pour un avenir qui sera différent, meilleur.

Il les a vus, Diouf, tous ceux qui comme lui, traînaient dans les rues. Tous les autres qui comme lui étaient assis à la terrasse du même café avec une bouteille de bière tiède. Chaque jour, il devenait un peu plus l’un d’eux, buvant lentement sa bière. La question du travail s’est muée en politesse à laquelle on lui répondait par une politesse : « Peut-être demain. » Il n’était absolument plus question de trouver une femme.

Les jours où Diouf rentrait et ne se disputait avec son cousin et sa femme devenaient rares. Et donc son oncle lui a accordé un nouvel emprunt pour se rendre à Bruxelles.

Tombé et mis à la porte

L’histoire de Diouf se fait alors plus vague et ses gestes plus agités. Pourtant, à son arrivée en Belgique, il trouve rapidement du travail chez un entrepreneur avec qui il déménage de chantier en chantier. Il ne gagnait pas grand-chose, mais pouvait dormir sur place et avait juste de quoi, à nouveau, rembourser son oncle. De temps en temps, Diouf se rendait même en ville, à la recherche d’une femme de qui il pouvait tomber amoureux.

C’est alors que Diouf tombe et que son patron le met à la porte et il n’est plus question de se montrer sur le chantier. C’était il y a six mois. Depuis Diouf vit dans la rue. Bruxelles ne l’a pas accueilli, ce n’est plus la ville où il espère serrer une femme dans ses bras. Bruxelles le détruit à petit feu. Vivant dans l’ombre et faisant le moins de bruit possible. Il n’ose plus regarder personne dans les yeux et personne ne le regarde en retour. La faim et le froid sont permanents, sa famille est loin.

Combien de maisons a-t-il construites ici? Combien de Belges dorment sous les toits qu’il avait posés ? Et lui ?

« Je suis moins que vermine. On me bat, on me frappe, et moi je peux faire quoi? Je ne peux même pas aller à la police, parce que c’est moi qui serai incarcéré. Et pourquoi? Parce que je suis né dans le mauvais pays, parce que j’ai cherché mon bonheur ailleurs. Et j’ai travaillé. J’ai travaillé. Et je suis tombé malade, et me voilà sur la rue, moins que rien. » Soudain il se tait. « C’est quoi, cette merde? Tu trouves ça normal? Tu seras surpris, si la guerre advient, et je suis fâché? Je suis fâché. Il n’y a plus d’avenir pour moi. »

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