Nicolas De Decker

L’extrême droite, une certaine idée de la faute

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La Belgique des analystes, des journalistes et des politistes s’est beaucoup interrogée, ces derniers jours, sur la nature de l’extrême droite et sur ses différences avec la gauche et l’extrême gauche. De ces questionnements censément sans tabou, qui cachent mal des affirmations soi-disant sans langue de bois qui font le déshonneur de l’analyse, du journalisme et même de la politologie, ne ressort pas qu’une brillance intellectuelle qui dit beaucoup de l’état de notre débat public.

Ces questions biscornues, du genre de :

– Peut-on classer à l’extrême droite un type qui porte des Oxford vernies plutôt que des godillots de Volkssturm ?

– Est-il démocratique d’appliquer un cordon sanitaire à un mouvement dont la doctrine ne prône pas le génocide mais seulement l’apartheid ?

– Un roi constitutionnel ne menace-t-il pas l’ordre constitutionnel en ne recevant pas un jeune type bien coiffé qui n’a pas l’air méchant ?

– Un type joli peut-il vraiment être méchant ?

– Un type joli peut-il être d’extrême droite ?

– Un type joli d’extrême droite peut-il être raciste ?

– Pourquoi un type joli d’extrême droite ne pourrait-il pas être de gauche ?

– Pourquoi les méchants Wallons ont-ils forcé les Flamands à voter contre eux ?

– Pourquoi les gens qui n’aiment pas l’extrême droite se trouvent-ils moralement supérieurs ?

…seraient risibles si elles n’étaient qu’absurdes. Elles sont tristes. Elles sont tragiques. Elles sont tristes et tragiques parce que les gens qui les posent y croient. Elles sont tragiques et tristes parce que les prémisses qu’elles portent sont fausses. Elles sont tragiques parce que leurs fausses prémisses cachent un sens très lourd. Elles sont tristes parce que ces questions légères, ces fausses prémisses et ce sens très lourd protègent l’extrême droite : elles empêchent d’en saisir l’âme profonde en ne se préoccupant que de son visage. Cette nature profonde ne tient ni dans une coupe de cheveux ni dans une paire de bottes, pas plus qu’elle ne réside dans un slogan ou même dans un point de programme. Sa nature est toute dans son rapport analytique et pratique à la responsabilité : pensée de la puissance, elle loue le fort parce qu’il est fort et méprise le faible parce qu’il est faible. Mais même quand elle dit défendre un petit, elle pousse le fort et enfonce le faible. Car c’est uniquement pour attribuer les malheurs du plus gros à la faute du plus petit qu’elle se met du côté d’un moins petit.

Elle dit protéger les entrepreneurs étranglés, mais c’est la faute de travailleurs trop gourmands.

Elle dit défendre les travailleurs oppressés, mais c’est la faute de chômeurs malhonnêtes.

Elle se dit du côté des chômeurs humiliés, mais c’est la faute d’immigrés privilégiés.

Elle dit soutenir les Flamands dominés, mais c’est la faute du Wallon dominant, et gourmand, et malhonnête, et chômeur, et immigré, et donc privilégié.

Cette permanente morale du gros plutôt que du petit, du fort plutôt que du faible, du dominant plutôt que du dominé, de l’humiliant plutôt que de l’humilié n’est pas moralement supérieure. Elle n’est pas de gauche, elle n’est pas belle, elle n’est pas bien coiffée, elle n’est pas seulement celle de Filip Dewinter ni celle de Tom Van Grieken.

Elle est celle de l’extrême droite depuis toujours et pour toujours.

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