Lettre de Dave Sinardet, professeur de sciences politiques (VUB/Université Saint-Louis) et chroniqueur au Standaard, à Paul Magnette: « Pourrait-on un peu regarder ailleurs que notre nombril ? »

Le Vif

Cher Informateur Royal,

Comme professeur de sciences politiques actif dans le débat public, je considère que cela fait partie de ma mission d’essayer d’expliquer la chose politique. Ces jours-ci on me demande évidemment souvent pourquoi nous n’avons toujours pas de nouveau gouvernement fédéral presque six mois après les élections.

Des explications, il y en a bien sûr beaucoup: presque tous les partis appelés à gouverner ont royalement perdu les élections et se retrouvent donc dans des crises d’identité et de leadership. Les plus grands gagnants étant le Vlaams Belang et le PTB, 30 des 150 sièges à la chambre ne sont pas ‘utilisables’. Beaucoup de coalitions ‘logiques’ (centre-gauche, centre-droit, tripartite traditionnelle) ne sont dès lors plus possibles. Il y a aussi la dualité du système politique belge, avec un résultat électoral nettement différent au nord et au sud. Etcetera.

Mais avec chaque jour qui passe, je veille de plus en plus qu’à force de l’expliquer, je ne vais pas légitimer cet état de choses. Une clarification ne doit pas devenir une justification.

Car pourrait-on un peu regarder ailleurs que notre nombril ? Dans beaucoup d’autres pays Européens les cartes ont tout autant été battues de manière difficile par les électeurs résultant dans des paysages politiques également fortement fragmentés avec des partis radicaux anti-establishment qui gagnent du terrain et des partis traditionnels qui en perdent, obligeant à des coalitions contre nature ou à des gouvernements minoritaires formés par des partis en crise.

Une différence fondamentale avec la Belgique n’est-elle pas que dans ces autres pays, les responsables politiques prennent … leurs responsabilités ? En Italie, par exemple, quelques jours ont suffi pour former un gouvernement entre 2 partis qui s’étaient violemment affrontés, en remplacement d’une autre coalition toute aussi contre nature.

Chez nous, presque six mois après les élections certains osent encore dire qu’il est toujours ‘trop tôt’ pour commencer une vraie formation. Vous devez comprendre que je ne peux plus prononcer de telles phrases de façon crédible. Il est vrai que dans sa recherche d’excuses, le monde politique est aidé par certains commentateurs, jouant un peu trop aux ‘drama queens’, qui parlaient déjà de nouvelles élections le jour après… les élections. Personnellement, je ne veux en tout cas pas contribuer à justifier que, sans aucune gêne, les stratégies et tracas partisans passent avant la formation d’un gouvernement auquel la population a plus que droit.

Je vous souhaite donc tout le succès du monde dans vos tentatives de faire revenir le sens des responsabilités, tout d’abord dans votre propre parti. Car, sachant que vous aimez les pensées de Lao Tseu, ‘celui qui vainc les autres a de la force. Celui qui se vainc lui-même est fort’. »

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