Claude Demelenne

Lettre à mes amis de gauche qui pensent – à tort – que la N-VA est infréquentable (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

La N-VA ne m’est pas sympathique. Mais diaboliser ce parti est une faute politique. Les socialistes qui négocient avec Bart De Wever ne sont pas des « traîtres ».

Beaucoup d’électeurs de gauche sont troublés, et parfois choqués, par l’ouverture de négociations entre le PS et la N-VA, en vue de former un nouveau gouvernement. Je comprends leur malaise. Le programme des nationalistes flamands se situe aux antipodes des priorités socialistes. Je ne partage pourtant pas leur indignation. Dépeindre la N-VA comme un parti de casques à pointe, ce n’est pas sérieux. En affirmant cela, je prends le risque d’être caricaturé sur les réseaux sociaux comme « vendu à la N-VA ». Je serai exclu du « camp du Bien », que délimitent ceux qui se prétendent les dépositaires d’une immaculée « pureté de gauche ».

Pas un pays normal

Certes, dans un pays normal, le PS ne devrait pas négocier avec la N-VA. Trop de différends, trop de noms d’oiseaux échangés au fil des ans, trop de potentiels points de rupture. Mais nous ne vivons pas dans un pays tout à fait normal.

Nous vivons dans une Belgique où le premier parti rêve de sa disparition pure et simple. Un pays où la principale composante, la Flandre, vote à près de 50% en faveur des nationalistes de droite et d’extrême droite. Un pays où il n’existe pas de circonscription fédérale, plus de partis nationaux, plus de rêves partagés de part et d’autre de la frontière linguistique. Un pays où pratiquement plus aucun francophone ne lit la presse flamande et pratiquement aucun Flamand ne lit la presse francophone. Un pays avec deux opinions publiques – « deux démocraties », affirme Bart De Wever. Un pays où pour former un gouvernement, la Wallonie rouge n’a d’autre choix arithmétique que de discuter avec une Flandre qui voit toujours davantage la vie en jaune et noir. Un pays où Flamands et francophones sont loin de se détester – entre eux, il n’y a pas de haine – mais cohabitent dans une indifférence polie, sans avoir vraiment envie de mieux se connaître, s’écouter, se parler.

Je n’aime pas la N-VA

Certains de mes amis de gauche n’en doutent pas : la N-VA est infréquentable. C’est confortable, les certitudes. Celle qui coiffe Bart De Wever d’un grand bonnet d’âne au hit parade du progressisme et de la tolérance, n’échappe à la règle. Certes, le passif est lourd. Pour ma part, je n’aime pas l’ultralibéralisme de la N-VA, qui plagie les discours antisociaux du VOKA, le patronat flamand. Je n’aime p as son nationalisme de riches, son obsession de toujours désigner des boucs émissaires, son flamingantisme revanchard, sa stigmatisation des Wallons qui se prélassent « dans le hamac de la Sécu », sa méfiance viscérale à l’égard des migrants, qui lui a fait rejeter le Pacte de Marrakech. Longue est la liste des griefs qu’il est légitime d’adresser à la N-VA.

Et puis, certains dirigeants de ce parti, à commencer par l’actuel ministre-président flamand, Jan Jambon, ont fréquenté dans leur jeunesse des cercles liés à l’extrême droite. Tout cela fait désordre et explique le vertige qui fait vaciller tout homme – ou femme – de gauche au moment de s’asseoir autour d’une table de négociation avec la N-VA.

Un grand cordon sanitaire autour de la Flandre ?

Ce malaise, en tant qu’observateur de la vie politique qui n’a jamais caché sa proximité avec les thèses de la social-démocratie, je l’éprouve moi aussi. A la réflexion, je pense pourtant que la N-VA n’est pas infréquentable. Il est légitime de tenter de former un gouvernement avec le premier parti de Flandre. Et pas seulement pour des raisons arithmétiques.

Il est impossible, comme le proposent certains dans la gauche francophone, de dresser un grand cordon sanitaire autour de la moitié de la Flandre. Pour nos compatriotes du Nord, la N-VA, contrairement au Vlaams Belang, est un parti comme les autres, avec ses bons et ses mauvais côtés. Les socialistes flamands gèrent sans état d’âme la ville d’Anvers avec Bart De Wever. Les écologistes de Groen ont également noué des alliances locales avec la N-VA. Sur le facebook du chroniqueur politique, Michel Henrion, un internaute a épinglé l’incohérence de certains francophones : « Comment dire qu’on veut une Belgique unie et en même temps tourner le dos au premier parti de Flandre ?« . Je préciserai « le premier parti démocratique de Flandre ». Car si demain, comme l’indiquent les sondages, le Vlaams Belang devient le numero uno, il ne pourra être question de s’allier avec cette vraie – et seule – extrême droite flamande.

Ne pas banaliser les marchands de haine

La N-VA n’est pas le Vlaams Belang. Affirmer le contraire, c’est banaliser les marchands de haine de ce parti. L’argument du passé sulfureux de certains militants de la N-VA est caduc Il faudrait plutôt se réjouir que Jan Jambon & Co ont rompu avec les idées antidémocratiques de leur jeunesse. Comme il faut se réjouir que les dirigeants du PTB ont rompu avec le stalinisme. Curieux d’ailleurs, le deux poids, deux mesures de certains intellectuels francophones « à la gauche du PS » : ils diabolisent la N-VA, au nom du passé trouble de certains de ses membres. Mais ils feraient des bonds de joie si le PTB arrivait au pouvoir, alors qu’il n’y a pas si longtemps (à l’époque de l’ancien PTB), des dirigeants de ce parti minimisaient voire niaient les crimes du dictateur communiste Joseph Staline.

Un mini-Etat fasciste ?

La Flandre est dirigée par un gouvernement de droite, emmené par la N-VA. Ce gouvernement ne me plaît pas du tout, mais force est de constater que cette même Flandre n’est pas pour autant devenue un mini-Etat fasciste au coeur de l’Europe. Dans son livre « La N-VA expliquée aux francophones » (éditions Etopia, 2019), l’ancien député écologiste flamand, Luc Barbé, cite cette analyse du politologue Dave Sinardet (VUB) : « Dans la définition de l’extrême droite, on trouve l’autoritarisme et l’antiparlementarisme, mais la N-VA n’a pas cette idéologie, ni le conservatisme radical sur le plan éthique (ndlr : sur l’euthanasie et le mariage homosexuel, la N-VA, qui participe à la Gay Pride, défend des positions plutôt progressistes, dans le débat sur l ‘avortement, elle est plus divisée que ne le laissent supposer les dernières déclarations de Bart De Wever). Luc Barbé cite aussi le politologue Pascal Delwit (UCL) : « Même si ça s’emballe un peu, la N-VA est loin de plusieurs éléments qui définissent l’extrême droite : malgré le nationalisme, il n’y a pas d’affirmation de la supériorité d’une race. Il n’y a pas non plus de remise en cause de la démocratie ».

J’ajouterai un point peu connu par les francophones : fin 2015, jusqu’en 2018, Nadia Slimane (N-VA), après avoir été députée au parlement flamand, est devenue, à Londerzeel (Brabant flamand), la première bourgmestre de Flandre d’origine marocaine. Un alibi ? Un peu plus que cela. D’autres femmes d’origine immigrée, jouent un rôle important au sein de la N-VA : Zuhal Demir (première ministre flamande d’origine étrangère), Darya Safai (députée fédérale) ou encore Assita Kanko (députée européenne).

Le sel de la démocratie

Les négociations entre le PS et la N-VA sont à hauts risques, car sur beaucoup de questions, notamment socio-économiques et institutionnelles, un gouffre sépare ces deux partis. Il est simpliste, par contre, d’affirmer qu’en entamant un dialogue avec Bart De Wever, le président du PS, Paul Magnette, vend son âme au diable. La réalité est beaucoup plus complexe. Le dialogue civilisé avec un adversaire politique est non seulement légitime. Il est aussi le sel de la démocratie. Paul Magnette n’est pas un « traître ». Bart De Wever n’est pas un « facho » le couteau entre les dents. Chers amis de gauche, les anathèmes et les excommunications sont le degré zéro de la politique.

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