Sofie Merckx © Franky Verdickt

Les projets du PTB après sa percée à Charleroi: « Pour nous, tout pourrait être nettement plus rebelle »

Han Renard

Gouverner? Seulement si nous pouvons mettre suffisamment de poids dans la balance », déclare Sofie Merckx, tête de liste du PTB à Charleroi. Elle refuse que son parti soit utilisé comme cache-misère de gauche par le PS, sans changement substantiel. Entretien avec notre consoeur de Knack.

Après le bourgmestre du PS Paul Magnette, Sofie Merckx a obtenu le plus grand nombre de voix de préférence à Charleroi : plus de 4100, soit trois fois plus que le président du MR Olivier Chastel – qui était certes dernier sur sa liste. Au conseil communal, les communistes 2.0 passent de 1 à 9 élus. « Pendant six ans, j’étais la seule PTB sur/au le conseil communal », raconte Merckx dans le cabinet Médecine du Peuple – affilié au parti à Marcinelle, la banlieue grise de Charleroi – où elle travaille comme médecin généraliste. « Le PS a mené ici une campagne extrêmement intensive, avec plus de 100 000 visites à domicile, sillonnant dans presque toutes les rues de Charleroi. Ajoutez-y une vedette comme Paul Magnette. Nous espérions obtenir 10%, mais au bout du compte, nous atteignons presque 16%. »

Lors d’une interview accordée au Soir, Magnette a exprimé de gros doutes quant à la volonté de compromis et la maturité politique du PTB. Il a raconté qu’il avait offert au parti deux sièges d’échevin et la présidence de la société de logement social, mais que le PTB, qui, toujours selon Magnette, était mal préparé et ne voulait pas se bouger pour moins de 100% de son programme.

D’après Paul Magnette, le PTB ne souhaite pas du tout entrer dans la majorité?

Sofie Merckx: C’est fort regrettable cette interview de Paul Magnette dans Le Soir, tant sur la forme que sur le fond. Ce ton condescendant, la façon dont il nous fait la leçon, avant de sortir des demi-vérités et des mensonges éhontés. Lors de cette première rencontre avec Magnette, nous avons bel et bien présenté cinq propositions concrètes, dont la gratuité des transports publics, une augmentation substantielle du nombre de logements sociaux et des idées pour financer ces propositions. Nous ne voulons pas que Charleroi devienne un deuxième Bruxelles ou Gand, où les gens ordinaires ne trouvent plus de logement abordable. La ville doit imposer aux promoteurs immobiliers de prévoir 30% de logements sociaux dans chaque nouveau projet de construction, afin que l’écart entre riches et pauvres à Charleroi ne se creuse pas davantage. Nous avons vu aussi que Magnette n’était pas enthousiaste. Plus vous investissez dans les services sociaux, plus vous attirez de pauvres, raisonne-t-il. Ce que je trouve grossier, quand on sait à quel point les besoins sont importants dans cette ville. Mais nous n’avons certainement pas exigé que l’ensemble de notre programme soit pleinement mis en oeuvre. Comment aurions-nous pu le faire ? Au sens strict, Magnette n’a même pas besoin d’un partenaire de coalition, même si cela n’a pas fait beaucoup de différence. Jusqu’à tard le soir de l’élection, on ne savait pas si le PS obtiendrait 25 ou 26 des 51 sièges. Sans ce 26e siège, Magnette aurait perdu sa majorité absolue. D’ailleurs, si vous analysez le score du PS, vous verrez qu’il a eu énormément de votes de préférence et les autres candidats du PS assez peu. Ici, Magnette a sauvé le PS.

D’autre part, le syndicat socialiste FGTB insiste pour obtenir le plus grand nombre possible de majorités progressistes avec le PTB.

Il y a en effet une pression importante du syndicat socialiste sur le PS. Le FGTB appelle à des coalitions de gauche avec le PTB, le PS et Ecolo lorsque c’est possible. Thierry Bodson, le dirigeant de la FGTB wallonne, a souligné une nouvelle fois sur la RTBF que c’est ce que son syndicat souhaite absolument. En soi, c’est évidemment positif, mais la formation de coalitions ne concerne pas seulement ce qui est mathématiquement possible, mais aussi, et surtout le fond. Pendant 30 ans, le PS a participé au sein des gouvernements wallon et fédéral successifs, à une privatisation totale ou partielle des banques et des grandes entreprises publiques telles que Belgacom et La Poste. Aujourd’hui, nous payons le prix de cette politique néolibérale. La question est de savoir si le PS a compris ses erreurs et partage notre analyse. Ou bien veut-il simplement reprendre le pouvoir à tout prix, quitte à s’embarquer avec nous? Ce n’est pas encore clair pour nous. Une semaine avant les élections, le président du PS Elio Di Rupo a répondu aux questions de Pascal Vrebos sur RTL. Ce dernier demande toujours à ses invités de composer un podium avec les noms de quatre politiciens. Trois d’entre eux ont droit à une place sur le podium, et un est laissé de côté. Di Rupo a mis Olivier Maingain (Défi) en première position, Benoît Lutgen (CDH), soi-disant le grand traître du PS, en deuxième, et le président du MR Olivier Chastel en troisième. Peter Mertens du PVDA n’a pas obtenu de place sur le podium parce que, selon Di Rupo, les membres de la PVDA sont des populistes de gauche. Eh oui.

Dans le passé, le PS a étouffé un concurrent de gauche comme Ecolo en lui permettant de gouverneur avec eux. Cela vous fait peur ?

C’est en effet le danger, que le PS ne nous prenne dans la majorité que dans l’espoir de nous voir ensuite sanctionnés par les électeurs. Pour nous, c’est clair : nous voulons gouverner au niveau local, nous avons prouvé à Borgerhout que nous pouvons le faire, mais ce n’est pas une fin en soi et nous devons pouvoir ajouter suffisamment de poids à la balance. À Charleroi, la question est de savoir si nous pouvons le faire. Si l’on n’est pas vraiment nécessaire dans une coalition, il y a peu de chances que l’on vous écoute. La PTB ne veut pas non plus servir de cache-misère de gauche pour d’autres alliances dominées par le PS qui n’entraînent pas de changements substantiels, mais qui permettent à Magnette de montrer ses talents dans toute l’Europe comme un grand innovateur de la social-démocratie.

La PTB est aujourd’hui le deuxième parti de Charleroi.

On garde la tête froide. C’est la première fois que nous avons un tel succès ici. Il n’a pas encore été consolidé à long terme, et c’est ce que nous voulons faire. C’est pourquoi nous avons mis en place des affiches dans tout Charleroi avec le message « Devenez membre », »Become a member ». Nous devons devenir beaucoup plus forts sur le terrain pour être vraiment un parti. Cette présence dans les quartiers est notre force. Nous l’appelons rue-conseil-rue. Nous transmettons les préoccupations de la population au conseil communal, et du conseil communal, nous retournons au quartier. C’est ainsi que nous essayons de modifier les rapports de force politiques.

En menant une opposition dure et en faisant campagne contre un bourgmestre populaire du PS comme Paul Magnette ?

Le projet urbain de Paul Magnette pour Charleroi est beaucoup trop libéral et diffère à peine de ce qui se passe dans d’autres villes non socialistes. Magnette vise à attirer les investisseurs à travers des projets prestigieux de rénovation urbaine. Cela a partiellement réussi. Beaucoup d’investissements publics et privés ont été réalisés, un grand centre commercial a été créé, nous avons un nouveau poste de police très coûteux, conçu par l’architecte vedette Jean Nouvel, etc. En même temps, le conseil communal a fermé de petits postes de police, ainsi que des antennes de l’administration communale, un restaurant social où 80 personnes pouvaient manger pour 5 euros par jour, et plusieurs piscines publiques.

A l’étranger, on fait peut-être l’éloge de Charleroi aujourd’hui, mais tous ces investissements dans le centre se sont faits au détriment des besoins sociaux de ses habitants et des banlieues. Aujourd’hui, il y a 500 logements sociaux de moins qu’il y a six ans. Dans les services communaux, seulement une personne sur trois qui prend sa retraite sera remplacée. Vous pouvez le voir (elle regarde par la fenêtre) : les rues sont mal entretenues et sales. Il y a beaucoup d’insatisfaction à ce sujet dans les quartiers. Et Magnette a aussi l’intention de construire une sorte de marina – vraiment -, un petit port de plaisance, un investissement de 7 millions. Tout au long de la campagne, je n’ai rencontré que deux personnes qui pensaient que c’était une bonne idée. Nous voulons à nouveau une politique plus sociale à Charleroi et investir dans les besoins de la population, pas dans des projets de prestige.

En Wallonie et à Bruxelles, la PTB a obtenu de bons résultats dans les communes où il a participé aux élections, mais en Flandre, les progrès étaient moins spectaculaires, non ?

Néanmoins, je suis positive quant à notre résultat en Flandre. Nous avons des élus à Hasselt, Gand, Louvain, Malines, Turnhout, Geel, Brasschaat… Dans un contexte politique qui est ce qu’il est. Nous avons également obtenu de bons résultats à Anvers, malgré le fait que la N-VA n’y ait pas diminué et que de nombreuses personnes de gauche aient voté pour Groen et sp.a. Sur le terrain, nous sentons beaucoup d’enthousiasme pour une alternative à la gauche et notre message est de plus en plus percutant. De nombreux Flamands vivent également dans la pauvreté ou connaissent des difficultés financières. La droite et l’extrême droite font des migrants et des réfugiés des boucs émissaires. Mais ce ne sont pas les réfugiés qui ont fermé les usines. Nous trouvons de vraies solutions aux problèmes économiques. Nous nous tournons vers les grandes entreprises et les multinationales qui ne paient pas d’impôts. Nous préconisons l’introduction d’une taxe des millionnaires.

Mais contrairement à la Flandre, Bruxelles et la Wallonie ont clairement viré à gauche lors des élections communales.

Oui, mais en Flandre, il y a 30 ans, la gauche a perdu ses voix au profit de l’extrême droite. Les voix des travailleurs en Flandre vont aujourd’hui largement au Vlaams Belang. Néanmoins, nous avons réussi à regagner certains de ces votes. Nous en sommes très fiers, même si le chemin est encore long.

Si cela continue ainsi et si l’écart politique entre la Flandre et la Wallonie continue à se creuser, la Belgique sera ingouvernable en 2019, préviennent certaines personnes.

Ce sont des scénarios catastrophes typiques exploités par des partis comme la N-VA. Je trouve que des arguments tels que « les Wallons sont des ouvriers qui votent à gauche, les Flamands sont de riches bourgeois qui votent à droite » témoignent d’un grand simplisme. Certains partis traditionnels ont intérêt à prétendre que les Flamands sont intrinsèquement de droite. Je connais bien la Flandre et la Wallonie, et je n’y crois pas. Sur le marché de Charleroi aussi, on entend beaucoup de racisme. En ce sens, je ne pense pas non plus que la Wallonie doive prendre de grands airs. Elle n’est pas à l’abri de l’extrême droite.

Avez-vous l’impression que le PS bouge vers la gauche sous impulsion du PTB?

Certainement. Je vais donner un exemple local. Charleroi est sous tutelle financière, ce qui s’est traduit ces dernières années par de fortes réductions dans les services publics et par une augmentation de nombreuses taxes communales. À moment donné, le conseil communal a également augmenté considérablement le prix de la garde d’enfants, qui jusqu’alors coûtait 1 euro par jour. J’étais très en colère à ce sujet au conseil communal et j’ai aidé à organiser la protestation contre cette mesure, en collaboration avec la Ligue des Familles et les organisations de défense des droits des femmes. Il y avait beaucoup de gens qui ne pouvaient plus payer les frais de garde d’enfants. On leur a envoyé des huissiers. Des socialistes qui envoient des huissiers aux gens parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’occuper de leurs enfants ? C’est un peu fort. À cette époque, le PTB était en forte hausse dans les sondages, la résistance contre les garderies coûteuses augmentait, et finalement le conseil communal a décidé de rendre les garderies complètement gratuites. (rires)

« Gratuit » est le mot magique de votre parti. Soins de santé gratuits, parking gratuit, transports publics gratuits. Vous êtes étonné qu’on vous traite de populistes?

Mais nous ne promettons pas vraiment aux gens d’ici qu’avec nous tout sera gratuit. Avec la population, nous voulons nous battre pour reconquérir la ville et fournir de nouveaux revenus pour rendre possible une véritable politique sociale. Le nouveau centre commercial Rive gauche existe depuis deux ans et n’a jusqu’à présent rapporté aucun euro dans les coffres de la ville. C’est normal, ça ? Pareil pour l’aéroport : zéro euros pour la trésorerie de la ville. Comme si Ryanair partirait demain si la ville prélevait une taxe locale sur les compagnies aériennes. Pour nous, tout pourrait être nettement plus rebelle. Nous voulons faire fi de la discipline budgétaire européenne. Les décisions prises par les niveaux supérieurs de gouvernement ne doivent pas toujours être réalisées servilement par les autorités locales non plus.

Cependant, le PTB-PVDA est-il aujourd’hui un parti de gauche plus radical, comme Podemos ou Syriza, ou un parti révolutionnaire dont le but ultime est la naissance d’une société socialiste ?

Nous sommes un parti qui remet fondamentalement en question le système capitaliste. Nous travaillons pour une société qui n’est pas fondée sur le profit, mais qui est là pour les gens. À part cela, nous sommes évidemment favorables à la démocratie parlementaire, même si nous pensons qu’elle soulève un certain nombre de questions en Belgique. Dans quelle mesure est-il démocratique pour le gouvernement de relever l’âge de la retraite à 67 ans alors qu’aucun parti ne l’avait inscrit dans son programme ? Dans quelle mesure est-il démocratique que le lobby nucléaire veille à ce qu’il n’y ait pratiquement aucun investissement dans les énergies renouvelables ? Notre parlement n’est pas non plus un bon reflet de la société. Dans l’hémicycle, il y a Meryame Kitir du sp.a, qui fait figure d’exception, mais à part cela, la PTB/PVDA est le seul parti qui a des travailleurs sur ses listes.

Les politologues disent que la PTB/PVDA a deux visages: ouvert et moderne à l’extérieur, mais strictement marxiste-léniniste à l’intérieur, avec des sympathies pour les régimes étrangers douteux.

Entre-temps, tout le monde devrait savoir que le PTB a considérablement évolué. Depuis notre congrès de renouveau en 2008, nous sommes beaucoup moins dogmatiques et sectaires, mais nous restons un parti marxiste. Compte tenu de l’inégalité croissante, Marx est plus que jamais d’actualité. D’autres partis peuvent espérer que l’exercice du pouvoir fera de nous un parti politique traditionnel. Mais nous sommes radicalement différents dans notre analyse du capitalisme. Nous ne voulons pas le corriger ou l’édulcorer, nous voulons la fin du système capitaliste.

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