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Les principaux avertissements de la Sûreté de l’Etat

Muriel Lefevre

Dans son rapport annuel, la Sûreté de l’Etat met en garde contre plusieurs points. Entre l’éducation salafiste à domicile et les prisons qui servent de pouponnière aux extrémistes, voici quelques-unes des principales constatations.

Si la menace d’attentat est moins aiguë avec la réduction des capacités militaires de l’EI en Syrie et en Irak, la terreur s’est depuis  » démocratisée « . Le terrorisme est « devenu plus diffus et moins visible », selon le dernier rapport annuel de la Sûreté de l’Etat présenté ce matin. « Des messages radicaux sont diffusés sur Internet et les piratages informatiques constituent une menace réelle », déclare Jaak Raes, administrateur général de la sûreté de l’État, le service de renseignement civil. Voici quelques points forts de ce rapport.

1. Pas de retour massif de combattants syriens

La Sûreté de l’Etat note que le nombre de combattants syriens belges est resté remarquablement stable depuis 2016. Sur les 400 personnes qui sont parties pour la Syrie depuis 2012, 130 sont revenues. Cela inclut les auteurs des attentats de Paris et de Bruxelles. La moitié des 270 autres seraient morts, le reste, aux alentours de 150, vit probablement encore en territoire djihadiste. Le retour en masse tant redouté des djihadistes de Syrie et d’Irak n’a donc pas eu lieu.

2. Que faire des femmes et des enfants ?

De plus en plus de  » combattantes étrangères » souhaitent également revenir dans notre pays, avec ou sans leurs enfants. Mais, précise la Sûreté de l’Etat, leurs envies de retour seraient principalement motivées par des raisons pragmatiques (les conditions de vie de plus en plus difficiles et dangereuses dans le califat) plutôt que par une véritable « déradicalisation ». Selon Jaak Raes, « leur éventuel retour est une décision politique », a-t-il prudemment répondu, en soulignant que les opinions variaient en Europe de pays en pays et selon les cas. « Il existe ainsi des femmes, épouses de djihadistes, n’ayant pas pris part aux combats. D’autres ont effectivement combattu, sont radicalisées et ont peut-être reçu une formation terroriste, qui ne peuvent », selon M. Raes, « rentrer au pays. » « D’autres encore ont rejoint le califat autoproclamé de l’EI (ou Daesh, selon son acronyme arabe) avec les intentions terroristes et qui souhaitent être jugées sur place. Un autre groupe souhaite rentrer illégalement en Belgique. Les services de renseignement (VSSE et SGRS militaire) peuvent aider le gouvernement à prendre une décision », a encore souligné M. Raes.

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3 : Mais la vigilance reste de mise contre l’extrémisme islamiste

La vigilance contre l’extrémisme islamiste reste de mise en dépit de la défaite militaire sur le terrain du groupe djihadiste Etat islamique (EI), toujours selon Jaak Raes. « C’est un fait que d’un point de vue militaire l’EI a perdu en bonne partie sa force de frappe militaire. Mais la menace ne s’est pas réduite », a-t-il prévenu au cours d’une conférence de presse à Bruxelles en compagnie de son homologue militaire, le lieutenant-général Jacques Van de Voorde.

M. Raes a toutefois prévenu que les combattants de l’EI ou du groupe terroriste al-Qaida encore présents dans la région pourraient se regrouper dans d’autres pays dotés d’une « structure moins forte », comme la Libye. Un certain nombre de FTF belges pourraient déjà s’y trouver, a-t-il dit. Il a aussi mis en garde contre les appels lancés par des chefs djihadistes à commettre des attentats en Europe avec des moyens simples, comme des camions ou de simples couteaux – un type d’arme utilisé à plusieurs reprises pour attaquer des militaires ou des policiers en rue. Cela peut être une source d’inspiration pour des « lone wolfs (loups isolés »), a prévenu le patron de la Sûreté de l’Etat. « Nous restons présents dans la région » en dépit de la baisse d’activités de l’EI, a pour sa part assuré le commandant du SGRS, le général Van de Voorde. « Nous ne sommes pas encore à la fin du trajet. Le djihadisme continuera à exister et les causes pour lesquelles des jeunes sont partis en Syrie n’ont pas disparu », a-t-il ajouté. « Des groupes terroristes ont prouvé en Syrie qu’il est parfaitement possible de mener une attaque terroriste en utilisant des explosifs artisanaux et des drones vendus dans les commerces ». « Le djihadisme continuera d’exister, dit encore Raes. « Le chef de l’EI, Al Baghdadi, a lancé un appel pour que les terroristes utilisent des moyens simples, nous devons en tenir compte. »

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4. Mise en garde contre l’éducation à domicile salafiste

La véritable offensive des « réseaux salafistes internationaux » s’est concentrée sur l’éducation et cela en finançant des écoles ou des structures éducatives, mais aussi en développant des cours d’inspiration salafiste, la forme la plus dangereuse d’extrémisme aux yeux de la Sûreté de l’Etat. Le rapport met particulièrement en cause l’éducation à domicile : 20 % des parents qui ont indiqué que leurs enfants bénéficiaient d’un enseignement à domicile ont des liens avec des groupes extrémistes. Et la grande majorité de ces groupes extrémistes sont salafistes. Il s’agirait surtout d’adolescentes de parents salafistes.

5. Les prisons, véritable vivier

L’ampleur du problème de la radicalisation dans les prisons est  » considérable  » : jamais auparavant les prisons de notre pays n’avaient eu à traiter avec un groupe aussi important de prisonniers liés au terrorisme. À l’heure actuelle, 130 détenus ont été condamnés ou sont en détention provisoire pour des délits liés au terrorisme. Dans les années à venir, le suivi des personnes condamnées pour terrorisme en liberté sera l’une des préoccupations majeures de la Sûreté de l’Etat. Rien que par son envergure, le risque de contamination des idées de ce groupe à d’autres détenus est beaucoup plus élevé qu’auparavant.

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6. Se méfier des espions chinois et russes

Les services de renseignement collaborent aussi contre l’ingérence et l’espionnage étrangers, phénomènes qui semblaient avoir disparu avec la guerre froide, mais qui revient en force. Avec les institutions de l’UE et de l’OTAN et leurs nombreux diplomates, la Belgique suscite l’intérêt des services de renseignement russes et chinois qui tentent d’infiltrer notre pays. Comme pour le terrorisme, l’ingérence et l’espionnage étrangers ont eux aussi été modernisés.

Dans notre pays, les services de renseignement traditionnels chinois se dissimulent en se glissant dans des groupes de réflexion, des médias, des entreprises publiques, des organisations à but non lucratif et d’autres organisations. « Pour mener à bien leurs missions à l’étranger, ils travaillent avec des camouflages et toutes sortes de fausses identités, tels que : journalistes, hommes d’affaires, chercheurs scientifiques, touristes, familles discrètes », indique la Sûreté de l’Etat dans son rapport annuel. « Cependant, de nombreux agents du renseignement se cachent derrière les fonctions diplomatiques officielles et mènent leurs activités clandestines à partir des ambassades.

Mais ce n’est pas tout. On constate aussi de plus en plus que des organisations gouvernementales chinoises, qui, en principe, ne font pas partie de l’appareil de renseignement, recueillent elles aussi des renseignements à l’étranger. Il y aurait même une  » certaine concurrence  » dans le paysage du renseignement chinois.

Ils cherchent à savoir quels sont les projets de l’Union européenne, mais aussi comment se déroulent les relations entre les États membres. Toutes divisions ou désaccords peuvent jouer en faveur de la Chine. Ils cherchent aussi à influencer les décideurs politiques européens, mais aussi belges, pour qu’ils adoptent une attitude prochinoise.

7. Les mouvements identitaires, la nouvelle extrême-droite

Comme ailleurs en Europe, l’idéologie d’extrême droite est bien vivante en Belgique sauf que le contexte a changé. Dans les milieux d’extrême droite, le nazisme et la culture skinhead ont cédé la place à  » l’anti-islamisme et l’anti-asile ». Ce n’est pas nouveau que les groupes d’extrême droite jouent sur les sentiments xénophobes de leurs partisans, mais de nouveaux mouvements autour de ce thème surgissent comme des champignons et les anciens mouvements d’extrême droite ont mis ce thème au coeur de leur démarche. La sécurité pointe aussi l’avènement de mouvement identitaire et la tendance préoccupante de l’extrême droite à s’armer. La Sûreté de l’Etat considère, par contre, que la menace d’un  » extrémisme de gauche violent  » est limitée puisqu’il n’y a qu’une centaine de militants et de sympathisants qui se trouvent pour la plupart à Bruxelles.

8. Ingérence lors des élections

Notre pays, et certainement Bruxelles, sont très populaires parmi les espions en raison de la présence d’institutions européennes et internationales. La Sûreté de l’Etat tente de leur compliquer la vie en les empêchant de pouvoir subtiliser quoique ce soit aux diplomates, ministres ou encore fonctionnaires. La Sûreté de l’Etat veut aussi jouer un rôle préventif, car elle craint des ingérences lors des élections de mai de l’année prochaine. Dans ce cadre le service de renseignement s’intéresse principalement aux Russes.

Les deux services de renseignement coopèrent étroitement, avec des équipes communes

Les deux services de renseignement belges, la Sûreté de l’Etat civile et le SGRS militaire, ont fortement renforcé leur coopération au cours des dernières années – en particulier après les attentats du 22 mars 2016 -, allant jusqu’à former des équipes conjointes intégrées, ont indiqué jeudi leurs chefs lors d’une rare apparition commune à l’occasion du 20ème anniversaire de la loi régissant ces services. Le fonctionnement de ces deux agences, la Sûreté de l’Etat (qui se présente sous l’acronyme bilingue VSSE) et le Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS) de la Défense est régi par un seul et même cadre légal. Mais chacun d’entre eux a ses particularités et spécificités, ont rappelé l’administrateur général Jaak Raes et le lieutenant-général Claude Van de Voorde. Le SGRS collecte principalement des informations à l’appui d’opérations militaires à l’étranger et dans un souci de protection des intérêts militaires belges. De son côté, la VSSE s’attache notamment à identifier des terroristes potentiels sur le territoire belge et à combattre l’espionnage de « grandes puissances ».

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