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Les plus grands Italiens de Belgique

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le 23 juin 1946, l’Italie et la Belgique signaient un accord pour l’envoi de mineurs, chez nous, en échange de charbon, pour la Botte. Septante ans plus tard, la communauté italienne est la plus importante des étrangères en Belgique. Voici ses représentants les plus symboliques, selon un choix forcément subjectif.

Frédéric François

Les Italiens de Belgique, dit-on, s’y sont fondus tout en conservant une forme d’ethnicité symbolique. Frédéric François est de ceux-là. Né en Sicile, grandi à Tilleur, le petit Francesco Barracato avait donné son premier concert à 10 ans dans un café sicilien de Tilleur. Son aîné Frédéric François a vendu 35 millions de plaques et raflé 85 disques d’or. Il a affronté également ces affres de la ringardise qu’ont également eu à subir ces chanteurs wallons d’origine italienne pas assez réticents à la participation à 10 qu’on aime, de Frank Michael à Luigi (une arancine à qui s’en souvient), en passant par Claudio Picarella (qui fut même candidat sur une liste MR à Charleroi).

Dans ce genre musical, nous aurions pu sélectionner Salvatore Adamo. Mais il a choisi la facilité en n’adoptant pas un nom de journaliste politique du service public de télévision.

Gaston Gianolla

Lorsqu’il devient président de l’Olympic Club de Charleroi dans les années 1930, le docteur Gianolla n’est encore qu’un héros de la Grande Guerre et un chirurgien réputé. Il forgera une légende du sport belge : en 1935, l’Union belge de football refuse sa proposition d’obliger chaque club à aligner à chaque match dix jeunes joueurs du cru. Vexé, il enrôle au stade de la Neuville… dix Flamands, dont une brochette de Diables Rouges. Le Flaminpic devient un des plus grands clubs de Belgique, se fait inviter au Real de Madrid et rate plusieurs fois le titre de peu. A la fin des années 1950, Gaston Gianolla quitte la scène sur un scandale qui l’honore : la presse révèle qu’il pratique des interruptions volontaires de grossesse, notamment à la demande d’épouses de joueurs.

Dans ce genre footballistique, nous aurions pu sélectionner Lucien D’Onofrio, mais les raisons pour lesquelles il a fait scandale ne sont pas considérées comme aussi nobles. Peut-être dans septante ans.

Dominique Leone

Non, les Italiens de Belgique ne sont pas tous destinés à réussir dans le syndicalisme, ni comme restaurateur ou comme entrepreneur dans le bâtiment. Le Montois Dominique Leone est un des grands patrons de sa région, actif dans de nombreux secteurs, jadis proche des politiques qui comptent dans le coin – et il y en a eu – et parfois enclin à sauver des sociétés en redressement en en faisait une affaire. Le groupe Leone emploie plusieurs centaines de personnes. Comme Filippo Gaone (textile) avec La Louvière, et peut-être comme Salvatore Curaba (informatique), Dominique Leone, qui a mené le RAEC Mons en division 1, est en outre de ces Italo-Hennuyers qui ont prospéré dans les affaires et que dévore une passion pour le football.

Dans ce genre économique, nous aurions pu sélectionner Carmelo Bongiorno, qui a lui aussi gagné beaucoup d’argent dans le Hainaut, mais dont la carrière d’entrepreneur aura moins été marquée par le fair-play.

François Cammarata

Il y a des pionniers que noie la masse des successeurs. Le Carolo François Cammarata est de ceux-là, tant les syndicats de la métallurgie sont aujourd’hui fréquentés par des enfants et des petits-enfants du Mezzogiorno. Né en Sicile en 1936, François Cammarata progressera rapidement dans la hiérarchie de l’organisation historiquement la moins réticente aux travailleurs italiens, la CSC. Patron des métallos carolos pendant quinze années de crise, dans les années 1970 et 1980, il aura, de fait, cogéré cette région en crise (on disait, et on dit toujours, « en transition ») avec les élites politiques (de Van Cau à Maystadt) et économiques (comme Albert Frère) locales de l’époque.

Dans ce genre social, nous aurions pu sélectionner Pino Di Mauro, Cosimo Solazzo, Domenico Castellino, Luigi Contrino et Carlo Todarello. Mais ils ont moins contribué à l’amélioration des conditions d’existence de la classe ouvrière.

Anne Morelli

Molenbeekoise comme presque tous les Italiens de Bruxelles jadis, fille d’exilés politiques, l’historienne de l’ULB était incontestée tout le temps qu’elle s’est intéressée à l’immigration en Belgique, et de ses compatriotes en particuliers. Un jour, elle s’est piquée d’étudier l’histoire de Belgique comme si elle était une historienne nationale. Elle a publié Les grands mythes de l’histoire de Belgique, et elle est devenue moins légitime. Comme si elle n’avait que le droit de parler de ses frères et ses soeurs, de spaghetti et de mafia, de calcio et de bel canto. Heureusement le « oui bwana » n’est pas de son vocabulaire.

Dans ce genre académique, nous aurions pu sélectionner Calogero Conti. Mais le recteur de l’UMons, polytechnicien, ne s’est jamais cantonné aux disciplines et aux sujets que ses origines lui assignaient. Quelle insolence !

Paul Furlan

Longtemps, l’expression politique de la communauté italienne aura été confinée au syndicalisme ouvrier ou aux associations liées aux grands partis de la Botte, le PCI et la Démocratie chrétienne principalement. Privés de citoyenneté et de nationalité par une législation restrictive, les immigrés de la première génération ont été réduits au silence. Aujourd’hui, dans les partis de gauche ou liés historiquement au mouvement ouvrier, leurs enfants et petits-enfants comptent. Comme dans le Borinage avec Carlo Di Antonio ou Manu Di Sabato, à Charleroi avec Véronique Salvi, à Liège avec Marc Tarabella ou Mauro Lenzini. Et à Thuin, avec Paul Furlan, populaire bourgmestre, ministre wallon, socialiste finaud, pas spécialement de gauche ni spécialement lié au mouvement ouvrier. Mais sympa. Si sympa que personne ne remarque ses origines italiennes. Et mine de rien, en Wallonie, c’est encore parfois un signe.

Dans ce genre politique, nous aurions pu sélectionner Elio Di Rupo, mais tout le monde remarque ses origines italiennes, à lui. Sans doute le prix à payer pour avoir été le premier.

Georget Bertoncello

Dans le monde et l’univers, le football italien est réputé (c’est un peu injuste mais c’est comme ça) pour son extrême rigueur tactique et sa scientificité sans poésie. Sauf en Wallonie. Où le footballeur d’origine italienne est censément sanguin, imprévisible ailier ou élégant meneur de jeu, dribbleur pathologique, amuseur de foules, bohémien concaténé par des règles oppressantes, celles de son entraîneur ou de l’arbitre. Et Hennuyer. Ce n’est pas forcément injuste. Comme Berto, mythe carolo du Sporting et puis sur la fin de l’Olympic, qui a aussi presté une saison au FC Liège avant d’en revenir, malade du Pays noir. Dans les deux clubs carolos ont joué, de l’après-guerre aux années 1980, des dizaines de natifs de la Botte. Dans les deux clubs liégeois, trois seulement dans ces mêmes décennies. Dont Berto. Personne ne s’explique cette différence.

Dans ce genre sportif, nous aurions pu sélectionner Enzo Scifo, mais il avait cette discipline qui l’a autorisé à l’exportation, lui.

Isabelle Gatti de Gamond

Fille d’un exilé politique, artiste-peintre et farouche républicain, pour sa part féministe, rationaliste et socialiste, mais c’est le même (« le socialisme est en même temps le féminisme », disait-elle), Isabelle Gatti de Gamond a été bien éduquée, ce qui n’était pas le cas de toutes les jeunes filles de son époque. C’est pourquoi, soutenue par la majorité libérale de la Ville de Bruxelles, elle fonde, en octobre 1864, la première école secondaire pour demoiselles qui ne soit pas organisée par l’Eglise catholique. Isabelle Gatti de Gamond, qui devra subir toute sa vie les invectives des milieux cléricaux, est aussi la première femme belge à être entrée dans la franc-maçonnerie.

Dans ce genre féminin, nous aurions pu sélectionner Sandra Kim. Mais elle a moins aidé à l’émancipation de la femme et à l’édification d’une société égalitaire qu’à celle de la fricandelle.

Léon XIII

Si les Italiens ont largement sauvé l’Eglise de Belgique, en offrant à des paroisses en déclin un nouveau public, strictement encadré par une nuée d’associations catholiques, la Belgique a peut-être sauvé l’Eglise catholique elle-même. Car c’est en Belgique que Vincenzo Pecci, nonce apostolique dans les années 1840, découvre les conséquences sur le petit peuple, et sur sa religiosité, de la révolution industrielle. Désigné pape sous le nom de Léon XIII en 1878, il consacrera son pontificat à adapter le catholicisme romain à la modernité capitaliste. En la dénonçant : son encyclique Rerum Novarum (1891) marque la naissance de la démocratie chrétienne.

Dans ce genre spectaculaire, nous aurions pu sélectionner Franco Dragone. Mais il est moins fort que Léon XIII pour tout ce qui est décors et costumes. Même si lui aussi a su s’adapter à la modernité capitaliste.

Angelo Galvan

Si une histoire se construit avec des héros et qu’Angelo Galvan n’en est pas encore un, c’est que cette Belgique n’a pas d’histoire. Et c’est injuste. Car s’il y en a un qui a bien mérité de la grande histoire nationale, c’est Angelo Galvan. Ancien résistant, porion de nuit au Bois du Cazier, il rentrait de sa pause lorsqu’a éclaté l’incendie de l’étage 975. Il est revenu fissa sur le carreau, puis a passé trois semaines à traquer les rares survivants et à retrouver les trop nombreux cadavres. Il y gagna une dépression incurable et un surnom impérissable : le Renard du Cazier. Ses mémoires sont édités cette année, mis en contexte par le journaliste Marcel Leroy. C’est à acheter et à lire.

Dans ce genre socio-économique, nous aurions pu sélectionner Carlo de Benedetti. Mais un Italien qui ne soit pas ouvrier ni mineur, et qui en plus viendrait en Belgique pour racheter la Société générale qui avait employé tant d’immigrés, c’est trop insolent.

Girolamo Santocono

Si une histoire se construit avec des livres, et que Rue des Italiens n’est pas encore une lecture obligatoire de toutes les écoles du pays, c’est que cette Belgique n’a pas d’histoire. Et c’est injuste. Car le roman autobiographique de Girolamo Santocono, qui raconte la jeunesse d’un enfant de mineur de la région du Centre, est une pièce de notre histoire nationale, délicieuse de surcroît. C’est à acheter et à lire.

Dans ce genre artistique, nous aurions pu sélectionner Fabrice Murgia. Mais il n’a pas encore monté Rue des Italiens au Théâtre National, dont il vient de prendre la direction.

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