Carte blanche

Les pénuries ne sont pas forcément une mauvaise nouvelle (carte blanche)

Jacques Liesenborghs, ex-secrétaire générale de la CSC-Enseignement et ex-sénateur Ecolo, s’interroge sur les pénuries actuelles de biens et de matériaux. Plutôt que de les déplorer, ne faudrait-il pas prendre acte de la défaillance du système et changer les habitudes de consommation ?

Ce ne sont plus les rayons de papier toilette qui sont vides, mais les magasins de vélos et les garages. Même les magasins de jouets pourraient avoir de sérieux problèmes d’approvisionnement. C’est grave, docteur ? Ca mérite en tout cas un moment d’arrêt.

Semi-conducteurs ?

Je découvre, peut-être comme vous, que sous ce vocable se cachent des puces électroniques dernier cri. Soit un petit carré de verre d’un centimètre de côté finement gravé de milliards de traits dix mille fois plus mince qu’un cheveu humain. C’est d’eux que dépend une bonne partie de l’économie mondiale.

Ces puces, elles sont partout. Dans nos cuisines, nos salons, nos téléphones, nos voitures et les machines qui les fabriquent. Et ces puces, elles se font désirer ! A tel point qu’une partie des usines des grandes marques automobiles ont dû ralentir voire interrompre la production. Opel, Peugeot, Fiat, Citroën, Toyota, Ford, VW … elles ne crevaient pas toutes, mais toutes étaient frappées. Et leurs clients devront attendre quelques mois avant de disposer d’un nouveau véhicule.

Figurez-vous que, dans le même temps, quelques constructeurs ne sont pas touchés. Et pas n’importe lesquels. Ainsi, d’après son patron, Rolls Royce dispose de 100% des puces nécessaires. Bentley, Lamborghini, Ferrari, Aston Martin sont tout aussi privilégiés… comme leurs clients qui se bousculent au portillon. « Il y a beaucoup d’argent prêt à être dépensé », constate le boss de Rolls Royce. Et oui, certains clients dépensent 80.000 euros rien que pour « l’habillage » de leur véhicule dont le prix de base dépasse largement les 200.000 euros. Voilà dans quel monde ils vivent ! Un monde où le marché des produits de luxe, tous secteurs confondus, est en forte progression (1).

Jouets et vélos

Parlons plus prosaïquement de pénuries qui nous touchent peu ou prou : de vélos et de jouets. Les vélos, surtout électriques, se font aussi désirer. Faute de livraison de matériel chinois. Cadres, freins, roues, batteries, moteurs sont très majoritairement produits en Asie. Même les pédales ! Cette pénurie est le résultat de la complexité du système d’approvisionnement en flux tendus. Dès qu’un maillon de la chaîne ne peut plus suivre le rythme infernal, c’est tout le système qui est ébranlé : embouteillage dans les ports, prix du fret maritime qui explose… Patience les cyclistes!

Depuis la mi-septembre, la presse se fait l’écho d’un risque de pénurie de jouets. Avant la Saint Nicolas et Noël, ce serait mal venu. Plusieurs gros vendeurs se veulent rassurants, tout en reconnaissant qu’ils ont dû puiser dans leurs stocks. Gare ! Parce que le système d’approvisionnement de 80% des jouets est le même que celui des vélos. Et de bien d’autres produits.

Les jouets et les vélos, ça touche tout le monde. Mais il ne faudrait pas oublier tous les professionnels, électriciens, chauffagistes, frigoristes, plombiers, informaticiens, qui manquent de pièces (puces) pour réparer, entretenir ou installer du neuf.

Que faire ?

Surtout ne pas se contenter d’attendre que tout cela « rentre dans l’ordre ». Au contraire, prendre acte que le système est défaillant et réfléchir aux initiatives à prendre pour en changer, en relocalisant tout ce qui peut l’être. Ce qui n’est pas simple et ne se réalisera pas d’un coup de baguette magique. Heureusement, le mouvement est entamé ici et là

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Et nous ? Nous pouvons être des acteurs de ce changement. Le cas des jouets est un bel exemple. Pourquoi ne pas résister aux pubs pour les modèles « dernier cri » ? Pourquoi ne pas privilégier les petits magasins qui proposent des jouets fabriqués chez nous ? Pourquoi ne pas aller faire notre marché chez les Petits riens, dans des magasins de seconde main ? Et soutenir du même coup des associations solidaires.

Une chance à saisir ?

Voilà donc une nouvelle occasion de nous interroger sur nos modes de consommation. Et sur notre vulnérabilité, comme le suggère le médecin psychiatre Christophe André : « Des sociétés biberonnées à la pléthore et à l’immédiateté sont forcément des sociétés vulnérables à toute forme de manque, réel ou supposé, complet ou limité, et intolérantes à l’attente. Et comme de vraies pénuries sont à venir, même pour les Occidentaux, nous ferions bien de nous y préparer, socialement et mentalement » (2).

Au-delà de ce rappel aux privilégiés que nous sommes, il y a les grandes pénuries. Intolérables, celles-là : la grande pauvreté, les famines, le manque d’eau et de vaccins … qui accablent des milliards de nos frères et soeurs en humanité. Nous le savons depuis les années 90, si le monde entier consommait comme les pays riches, « il faudrait plusieurs planètes ». Aussi je conclus avec les propos provoquants de Pablo Servigne : « Conserver notre niveau de vie est un crime ! Partager revient donc obligatoirement à réduire notre niveau de vie. Ces pénuries, comme toutes les catastrophes, sont des opportunités de changement. Elles nous forcent à expérimenter. Que voulons-nous garder d’essentiel ? Que pouvons-nous abandonner ? Dans cette voie de la sobriété, donc du partage, donc de la paix, il faudra s’habituer aux pénuries. Alors, profitons-en pour changer ! »

Le titre est de la rédaction.

  • (1)Le Monde, 29-10-21, La bonne fortune des voitures de luxe
  • (2) Dans l’éclairant n°368 (13-10-21), Le Un hebdo

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