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Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « La diplomatie américaine n’est pas morte »

Le Vif

A un lecteur qui l’interpelle, le professeur Tanguy de Wilde d’Estmael répond: « Dans la crise actuelle, la Chine profite de la rente de situation que lui a concédé la communauté internationale. Trump, fidèle à son slogan, America First, déploie d’abord une action au profit des Etats-Unis. Mais sa diplomatie n’est pas morte pour autant. »

Le Vif/L’Express relaie les interrogations de ses lecteurs auprès des experts de l’UCLouvain. Question: « La diplomatie américaine est-elle morte ? On entend parler d’accaparement de matériel à coup de dollars… En face, la Chine offre masques, personnels soignants, notamment en Italie. Quel impact aura cette crise sur les relations internationales ? ».

Réponse de Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur en sciences politiques et relations internationales, chercheur à l’Institut de Sciences politiques Louvain-Europe où il dirige les Chaires Baillet Latour UE-Russie et UE-Chine.

La diplomatie américaine n’est pas morte: l’administration Trump renonce consciemment à exercer un leadership dans la coordination à la réponse à donner à la crise du Covid-19. Fidèle à son slogan, America First, le président américain déploie d’abord une action au profit des Etats-Unis. Cette forme de retranchement n’est pas neuve et d’ailleurs Obama avait amorcé le mouvement. L’ancien président entendait « diriger de l’arrière » (Leading from behind), à savoir s’engager avec ses alliés mais pas en première ligne, et faire preuve de « patience stratégique », tout en utilisant massivement des drones pour éliminer des terroristes hors des Etats-Unis. Quant à Trump, sa renonciation au leadership s’accompagne d’une affirmation spectaculaire mais ponctuelle de puissance (frappes en Syrie, élimination d’un général iranien en Iraq, par exemple) et d’une confrontation avec le rival commercial systémique des Etats-Unis, la Chine, mais cette confrontation n’exclut pas la possibilité d’accords âprement négociés.

Dans la crise actuelle, Pékin peut tirer parti de sa capacité de production de matériel médical de base. La Chine a accéléré cet atout productif en faisant tourner les usines à plein régime. La fourniture de masques, par exemple, s’accompagne d’une scénarisation présentant Pékin comme le grand sauveur, même si, dans la précipitation, la qualité du matériel n’est pas toujours au rendez-vous. En agissant de la sorte, les autorités chinoises compensent aussi l’opacité qui a entouré la gestion initiale de la crise qui leur a été reprochée. En effet, en minimisant au départ la gravité l’épidémie, malgré les alertes du corps médical, Pékin n’a pas véritablement contribué à endiguer la propagation mondiale du virus.

La rente de situation de la Chine n’est en réalité que la conséquence d’une division internationale du travail industriel qui laisse à la Chine ou à l’Inde l’essentiel de la fabrication du matériel de base ou de pièces détachées alors que l’Europe et les Etats-Unis produisent ou assemblent des biens extrêmement sophistiqués. Et les pays occidentaux n’ont pas pensé, comme ils le font pour le pétrole, par exemple, constituer des stocks stratégiques de matériel médical, pour tenir trois mois, en cas de besoin accru ou de difficultés de livraison. L’idée était qu’on pourrait toujours se fournir à flux tendus. Ce sera sans doute une des leçons à tirer de la crise : une révision des stratégies de sécurité incluant la réalité d’une pandémie et des moyens matériels d’y faire immédiatement face.

Plus globalement, dans les relations internationales, l’irruption du Covid-19 pourrait stimuler la réflexion sur la manière de doter l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de pouvoirs accrus pour prévenir la survenance d’une pandémie et l’endiguer plus rapidement. On pourrait imaginer introduire une sorte de fonction d’alerte sanitaire renforcée qui s’inspirerait du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier veille à maintenir ou à rétablir la paix et la sécurité internationales. Un Conseil de santé, représentatif de la planète, serait chargé sous le même modèle de maintenir ou de rétablir la santé mondiale. Une épidémie serait traitée comme un conflit : il faudrait la gérer pour éviter l’embrasement généralisé à une région, un continent, voire à l’ensemble du monde. Et déployer d’emblée une coopération internationale pour juguler toute propagation.

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