© Capture d'écran du site des Grignoux

Les cinémas Grignoux résistent à la fermeture : « Pourquoi la culture une fois de plus? » (Entretien)

Stagiaire Le Vif

L’ASBL Les Grignoux, très connue à Liège, a annoncé hier ne pas fermer ses cinémas suite au Codeco de mercredi. Comment ont-ils pris cette décision ? Quelles en sont les conséquences ? Que risquent-ils ? Interview de Stéphane Wintgens au coeur de l’ASBL.

L’ASBL Les Grignoux regroupe plusieurs cinémas dont la majorité se situent à Liège: le Parc, le Churchill, la Sauvenière et le Caméo qui est quant à lui à Namur. Elle représente une partie très importante des cinémas présents à Liège. Les Grignoux ont annoncé hier dans la matinée que leurs cinémas resteraient ouverts malgré les mesures prises par le Codeco de mercredi. Le soutien de la population semble majoritaire, en tout cas sur les réseaux sociaux. Les cinémas étaient déjà soumis à de strictes mesures sanitaires, qu’ils ne remettent pas en cause et respectent, pour la sécurité de tous.

Les cinémas Grignoux résistent à la fermeture :
© Stéphane Wintgens

Interview de Stéphane Wintgens, responsable de communication des Grignoux.

Comment avez-vous pris la décision de rester ouvert ? Car c’est une première dans le monde de la culture…

Stéphane Wintgens: Les Grignoux sont une ASBL: une association autogérée. Les travailleurs sont membres du conseil d’administration. Nous nous sommes réunis dès jeudi matin après la décision du Codeco, en urgence. Ce sont les travailleurs eux-mêmes, à l’unanimité, qui ont décidé de laisser ouverts les cinémas. C’est une réaction à la fois spontanée et rapide, mais très réfléchie et assumée.

Les cinémas ne font, à priori, pas partie des foyers de contaminations principaux…

Non ! Mais ce n’est même pas nous qui le disons. Nous en sommes évidemment convaincus depuis des mois mais aujourd’hui ce qui nous interpelle, c’est de voir que tous les experts scientifiques comme Marius Gilbert, Marc Van Ranst ou encore Yves Van Laethem ont déclaré hier que les lieux culturels bien aérés sont des lieux totalement sécurisés. Donc,ces prises de positions des experts confirment enfin ce que nous disons depuis plusieurs mois, ça nous conforte, ça nous réconforte.

On touche aux loisirs en réalité…

Oui, tout à fait: aux loisirs, au bien être, à l’équilibre psychologique et social d’une certaine façon. Par exemple, Liège est une région qui a été fortement impactée par les inondations cet été. Parmi notre public, des dizaines voire des centaines de spectateurs sont sinistrés. Ils comptaient probablement sur nous pour leur offrir une soirée de détente et d’oxygénation. Et qu’est ce qu’on leur dit aujourd’hui ? « On ferme tout, restez chez vous dans votre maison sinistrée, commandez vos courses en ligne et regardez votre film sur une plateforme ». Humainement parlant, ce n’est pas acceptable comme décision.

Cette décision lance-t-elle un débat qui dépasse la culture pour aller dans la société toute entière ?

La pandémie et les mesures sanitaires qui nous sont imposées divisent, que ce soit la société ou dans des débats. Même en interne, parfois, on n’est pas d’accord sur des mesures à prendre ou pas. Tout ceci dépasse le cadre du secteur culturel, mais je pense que s’il y avait bien un secteur qui se devait de réagir et de dire : « Stop, on ne peut plus aller au-delà », c’est le secteur culturel. Donc voilà, nous prenons nos responsabilités. En plus, nous avons des cinémas au centre ville qui font vivre l’économie locale. […] Mais fermer nos cinémas, c’est mettre à mal cette économie mais aussi l’emploi. Nous sommes 150 travailleurs dans l’ASBL et nous avons déjà été mis en chômage à deux reprises pour cas de force majeure. On touche à l’économie locale mais aussi à tout un secteur culturel et économique important. C’est tout à fait déraisonnable et nous résistons.

Avez-vous eu des réactions du monde politique ou judiciaire par rapport à cette décision ?

Directement non et publiquement non. Nous sommes évidemment en lien avec la ministre et les autorités locales. Mais non, nous n’avons pas reçu de réactions publiques à notre décision. Après, on entend comme tout le monde, les prises de positions des différents élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition et on entend les divisions. On constate que beaucoup d’élus nous soutiennent quelque part et comprennent notre réaction.

Et si la justice décide de vous imposer des amendes par exemple, allez-vous rester sur votre décision ?

Alors, oui, c’est une possibilité que les autorités locales fassent intervenir la police. On mesure bien le risque. Mais d’un autre côté, nous sommes confiants. Nous savons qu’il s’agit simplement pour nous d’ouvrir nos salles comme nous le faisons depuis des mois en toute sécurité. Nous allons assumer notre décision et voir comment les autorités vont réagir mais on est confiant. On sent bien que les pouvoirs locaux, les bourgmestres des villes dans lesquelles nous travaillons sont bienveillants. Nous ne sommes pas dans la crainte d’une sanction, mais nous nous y préparons, au cas où.

Et d’autres membres du service culturel ont décidé de refuser cette fermeture…

On voit circuler de plus en plus de noms d’établissements culturels qui rejoignent le mouvement. Rien que dans les cinémas de Wallonie et de Bruxelles, on peut citer le Quai 10 à Charleroi, le Kinograph ou le cinéma Vendôme à Bruxelles. Il y a également des théâtres. On sent bien que le mouvement est en train de s’amplifier et on s’en réjouit même si nous ne sommes pas les porte-paroles de tous ces autres opérateurs. Ça nous rend heureux de voir qu’eux aussi prennent la décision de ne pas fermer. Le secteur culturel se sent ostracisé, exclu et sanctionné. Et on ne comprend pas pourquoi. Le sacrifice pour la troisième fois des salles de cinéma, concert ou de théâtre qu’on essaye d’imposer est incompréhensible pour nous opérateurs culturels. Mais on le sent aussi par une majorité de citoyens. Pourquoi la culture une fois de plus ?

Ariane Kandilaptis

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