Thierry Fiorilli

Les attentats et le Royaume d’éponge

Thierry Fiorilli Journaliste

Dans ce pays, on se tient coi. Traditionnellement. On peut s’en désespérer. On peut aussi y trouver des vertus. Et y distinguer une extraordinaire faculté d’adaptation, d’absorption, d’assimilation. Les Belges auraient ainsi des propriétés comparables à celles de l’éponge.

Jérôme Colin, coanimateur d’Entrez sans frapper, pour quelques jours encore, sur La Première, fait souvent la réflexion, derrière son micro : « Mais qu’est-ce qu’il faudra pour que, dans ce pays, les gens descendent dans la rue ?  » C’est l’une des meilleures questions de ce pourtant toujours très bon intervieweur. Et c’est l’une des rares auxquelles il n’a pas obtenu réponse(s).

En faut-il forcément, d’ailleurs? D’autant que Jérôme Colin, dans ce cas, s’interroge moins qu’il ne s’arrache les cheveux. Et s’exclame plus qu’il s’interroge: « Mais qu’est-ce qu’il faudra pour que, dans ce pays, les gens descendent dans la rue ! » Une forme de dépit devant l’impossibilité de mobiliser les foules, chez nous. Sauf lorsqu’il s’agit d’une Marche blanche, d’un match des Diables, d’un salon de l’Auto ou de Batibouw, évidemment. Pour le reste, qu’importe la baisse du pouvoir d’achat, le nombre et l’ampleur des affaires politico-financières, les mesures décidées, les projets annoncés, les promesses non tenues, les délais repoussés, on s’indigne sur les réseaux sociaux, on débraie ici ou là, on grommelle entre soi.

Dans ce pays, on se tient coi. Traditionnellement. On peut, comme Jérôme Colin, s’en désespérer. On peut aussi y trouver des vertus. Et y distinguer une extraordinaire faculté d’adaptation, d’absorption, d’assimilation. Les Belges auraient ainsi des propriétés comparables à celles de l’éponge.

Celle qu’on passe, promptement. C’est notre aisance à enchaîner très vite avec autre chose, sans qu’on fasse tout un plat de ce qui vient de se produire. Ou qui est occupé à se produire. Ou qui se produit à nouveau, alors qu’on nous avait juré que ça ne se reproduirait plus jamais. Ou qu’on sait qui se produira bien, un jour ou l’autre.

Celle qu’on jette, princièrement. C’est notre tendance au renoncement. Notre côté « de guerre lasse ». On n’est pas dupe, on sait que le jeu en vaut tout à fait la chandelle, mais on n’a pas envie de batailler. On brandit le poing, par-ci par-là, mais on ne va pas se lancer dans douze rounds pour tenter de battre l’adversaire par K.O. On est au-dessus de ça. Et on ne veut pas d’histoires, de toute façon.

Celle qui avale, inlassablement. C’est notre aptitude à accepter les choses comme elles sont. Même lorsqu’elles sont comme elles ne devraient pas être.

Un an après les attentats de Bruxelles, ce sont ces particularités qui dominent. Beaucoup d’entre nous ont rapidement tourné la page. Beaucoup ont considéré qu’il fallait bien vivre avec la menace. Beaucoup n’ont pas souhaité en découdre. Très peu ont versé dans le cloaque populiste. Et certains ont continué à se radicaliser, de part et d’autre, sans qu’on ne décide réellement de les en empêcher.

Reste dès lors à vérifier si, et quand, l’autre caractéristique de l’éponge se manifestera. La régurgitation. Ce moment où elle se dégorge, où elle recrache tout ce qu’elle a englouti. Le trop-plein. Ce sera, normalement, dans le vote, qu’on y assistera. Mais, comme l’illustre notre dossier, cette semaine, il n’est pas exclu que ce soit aussi, d’une façon ou d’une autre, dans la rue.

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