Etienne Dujardin

L’enseignement a plus besoin d’un retour de l’exigence que du « Pacte d’Excellence »

Etienne Dujardin Juriste et élu conseiller communal MR à Woluwe-Saint-Pierre

Le parcours du Pacte d’Excellence fait de plus en plus penser à celui du décret inscription. Les directeurs, les parents, les syndicats… tout le monde commence à s’inquiéter de cette réforme encore vague.

En l’imposant contre la volonté d’une grande partie du monde enseignant et de la majorité des parents, les promoteurs de ce fameux décret inscription l’ont vendu comme le remède miracle pour encourager la mixité sociale et lutter contre l’échec scolaire. Malgré le tollé qu’il provoquait, certains l’ont promu sans tenir compte des critiques. Une étude encore récente a montré que ce décret n’avait finalement favorisé ni la mixité sociale, ni le taux de réussite. L’échec est patent et une grande partie des parents n’ont toujours pas avalé qu’on touche à leurs libertés, à celles de leurs enfants et des établissements scolaires.

Aujourd’hui, le Pacte d’Excellence suscite le même malaise. À voir les enquêtes d’opinion, le soutien est très faible. Les directeurs, les parents, les syndicats… tout le monde commence à s’inquiéter de cette réforme encore vague. Une grande inquiétude est celle d’un nouveau « tronc commun » où l’on mêlerait différents types de savoir. L’enseignement technique serait, lui, purement et simplement supprimé pour ne garder que deux filières à la fin du tronc commun : une filière de transition (ex-générale) et une filière qualifiante.

Dès juin 2016, une excellente chronique du spécialiste Guy Martin, publié dans le Vif, alertait sur l’énorme erreur qu’allait commettre le Pacte d’Excellence en imposant le tronc commun, en ne respectant pas les différences de chacun et en tuant l’enseignement technique. Il soulignait : « Dans l’apprentissage, ‘à chacun selon ses besoins et ses désirs’ (l’équité) est plus efficace que ‘à chacun la même chose’ (l’égalité) » et poursuivait « Imposer un tronc commun jusque 15 ans, organisé sur le modèle de l’enseignement général, c’est implicitement dire que l’enseignement technique est moins bon, qu’il ne développe pas autant l’intelligence que l’enseignement général. » L’enseignement technique est depuis longtemps dévalorisé en Belgique alors qu’il devrait, au contraire, être bien mieux valorisé, car il permet d’obtenir une formation qui débouche sur une qualification très précieuse dont la demande est souvent criante. Il serait urgent d’y encourager les filières dont le marché du travail manque cruellement.

L’enseignement ne va pas bien. Voilà un constat sur lequel tout le monde est d’accord. Les derniers tests Pisa montrent des résultats catastrophiques. L’aptitude à la lecture des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles, par exemple, est repassée en dessous de la moyenne des pays membres de l’OCDE. C’est affligeant, sachant que notre enseignement est bien mieux financé que beaucoup d’autres. À force de prôner « l’école de la réussite » et d’imposer des pédagogies innovantes, on a cassé l’école et augmenté les inégalités. Car la réalité, c’est que les enfants des publics favorisés fréquentent les écoles plus exigeantes sur la transmission des connaissances. Vincent de Coorebyter le résumait assez bien : « Cette pédagogie nouvelle est une pédagogie de la bienveillance : l’école doit cesser de faire échouer les élèves défavorisés à force d’être trop formaliste, trop exigeante. Mais l’école, aujourd’hui, fait échouer parce qu’elle n’est pas assez exigeante : elle n’est pas assez ambitieuse dans ses attentes, pas assez rigoureuse dans ses méthodes, pas assez courageuse dans ses évaluations« .

Lorsque vous entendez certains professeurs se plaindre de la façon dont fonctionne l’enseignement, vous ne pouvez que leur donner raison. L’étude par coeur est quasiment bannie, les devoirs sont presque proscrits ou ne peuvent être amenés que de manière déguisée. Une interrogation ou une dictée ? Surtout pas ! L’enfant pourrait se sentir importuné, tiraillé dans son intérieur profond. Seuls quelques tests ou examens peuvent être certificatifs. Les cours magistraux ? Horreur, l’enfant doit apprendre par lui-même. Interrogez quelques professeurs qui aiment leur métier, qui aiment consacrer leur vie à partager leur savoir, et vous verrez qu’ils sont presque tous obligés de prendre des libertés par rapport aux programmes et inspections s’ils veulent garder un certain niveau dans leur cours.

Ce laxisme dans les méthodes d’apprentissage conduit à l’échec. Tous les acteurs du Pacte d’Excellence devraient lire l’ouvrage de Carole Barjon, journaliste au Nouvel Observateur : « Mais qui sont les assassins de l’école ?« . Son enquête réalisée en France montre, par exemple, un recul en français dû à la réduction du temps de répétition, d’entraînement, d’apprentissage des automatismes de lecture, ou du rejet de la méthode syllabique. L’auteur démontre également que les réformes voulues par certains gourous de l’éducation, qui veulent que l’élève apprenne par lui-même et qui déconseillent les évaluations certificatives, ont creusé les inégalités au lieu de les combler. L’école qu’on voulait rendre plus juste est devenue en réalité plus injuste.

Les réformes des dernières années au niveau de l’enseignement n’ont pas répondu aux enjeux. On pense au décret inscription, à la réforme des titres et fonctions, au décret Paysage qui souffre lui aussi d’une contestation de plus en plus grande. Le Pacte d’Excellence, qui comporte certaines bonnes choses, ne peut pas se permettre d’être le nouvel espoir déçu. Pour réussir, il doit impérativement tenir compte de l’avis des principaux acteurs : non pas certains pédagogues nourris à l’égalitarisme, mais bien des parents, des professeurs et des directeurs, très réservés sur les modifications en cours. On apprend par ailleurs qu’un budget de près de 200.000 euros a été mobilisé pour communiquer sur le Pacte d’Excellence. On pourra prendre la meilleure agence de communication, la réforme ne passera pas dans le grand public si c’est une réforme peu claire qui chamboule ce qui va bien sans tirer vers le haut ce qui va moins bien.

L’enseignement n’a pas besoin d’une énième réforme creuse aux contours flous et aux résultats incertains.

Le but de l’école est de transmettre le savoir et de donner une formation. Personne n’est pour l’immobilisme ni ne prône un retour en arrière, toutefois, l’enseignement a moins besoin de réformes telles que proposées par le Pacte d’Excellence (même si certaines sont judicieuses), que d’un retour à l’exigence avec notamment le retour des interrogations certificatives durant toute l’année, un maintien du redoublement si nécessaire, un retour des méthodes classiques d’enseignement qui ont fait leurs preuves dans le passé en les adaptant au contexte actuel. Il faut également une revalorisation du technique et non une dilution au sein d’un éventail illisible. Enfin, il faut remettre le professeur au centre, lui donner à lui et à sa direction plus de libertés dans son programme pédagogique pour s’adapter au terrain. L’enseignement est l’un des secteurs les plus importants dans une société qui veut une réelle égalité des chances, soyons donc à la hauteur de l’enjeu !

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