Giovanni Cosentino

Le tronc commun prévu par le Pacte d’excellence est-il viable ?

Giovanni Cosentino Licencié en sciences physiques - Professeur de physique à l’Athénée royal de Mons 1

L’instauration d’un tronc commun jusqu’à la fin de la 3e année du secondaire, une des mesures  » phares » et probablement la plus radicale des mesures prévues par le Pacte pour un enseignement d’excellence est très certainement celle qui rencontre le plus d’opposition chez ceux qui sont – quoi que puissent en penser certains – les plus aptes à en juger, c’est-à-dire les enseignants.

Des années d’expérience professionnelle leur ont en effet montré que la diversité des profils scolaires est une réalité et qu’elle se révèle, chez une majorité d’élèves en tous cas, relativement tôt, dès la fin du primaire. Ce tronc commun, présenté par les auteurs du Pacte, comme une opportunité exceptionnelle offerte aux élèves de « toucher à tout » pour pouvoir effectuer, en fin de parcours, un choix motivé, risque fort, en réalité, de se révéler un véritable gâchis, un fourre-tout, une juxtaposition irréfléchie, sans nuance et sans aucune pertinence, d’élèves issus de tous horizons, animés de motivations les plus diverses, armés de bases les plus inégales. Le risque est donc grand, pour de nombreux élèves, de connaître dès le début du secondaire l’ennui et la démotivation et un peu plus tard la déception amère d’avoir été leurrés et de n’avoir pas été écoutés plus tôt.

Il est un point difficilement contestable, c’est que les contenus des programmes scolaires qui seront progressivement mis en place dans le secondaire (de la 1e à la 3e), dans la perspective du tronc commun, seront essentiellement orientés vers un enseignement de type « général » et très peu ou presque pas « technique », malgré la volonté affichée par les auteurs du Pacte de lui donner un caractère « polytechnique ». En effet, ni le temps disponible dans l’horaire des élèves, ni les équipements en matériel technique dans les écoles ne seront suffisants pour assurer à tous les élèves qui se destineront plus tard à une filière qualifiante une préparation satisfaisante, adaptée à leurs besoins.

Une des prétentions implicites contenues dans le Pacte est que les différences de toutes natures qui pourraient exister entre les élèves vont pouvoir être gommées grâce un dispositif spécial de remédiation désigné par le sigle RCD (pour « Remédiation, Consolidation, Dépassement »). Bien que sur la question de savoir comment, dans la pratique, il sera effectivement possible de mettre en place un dispositif aussi complexe, le texte du Pacte laisse entendre qu’il devrait amener les professeurs à repérer et à différentier, à l’intérieur d’une même classe, trois catégories d’élèves : ceux qui auraient besoin d’une véritable remédiation, ceux qui n’auraient besoin que d’un renforcement et ceux finalement qui, ayant atteint un bon niveau, se verraient attribuer des tâches plus complexes que les autres. Avec la possibilité, tout au long de l’année scolaire, pour chaque élève – dit en substance le texte du Pacte – de passer d’un niveau de remédiation à un autre en fonction de ses progrès ou de ses échecs. Les auteurs du Pacte prétendent donc que ce dispositif RCD « permet une différenciation dans l’approfondissement des matières qui est fonction du rythme d’apprentissage de chaque élève dans chaque matière ». Exprimé en d’autres termes : grâce à ce dispositif de remédiation, il sera possible de drainer tous les élèves, quels que soient leurs profils scolaires, et de les amener ainsi jusqu’à la fin de la 3e secondaire sans qu’il ne soit nécessaire de trop s’attarder sur les éventuelles difficultés de parcours qu’ils pourraient rencontrer puisque, de toute façon, les choix d’options ne se feront que plus tard.

Que l’on me comprenne bien : je ne dis pas que le concept de « remédiation » soit inutile ou inefficace, je dis que le mode de fonctionnement de l’école qui est proposé là risque fort d’entretenir un intolérable malentendu qui est de faire croire que le tronc commun fera l’affaire de tous, alors que dans les faits, il ne servira probablement qu’à garder les élèves le plus longtemps possible dans un type d’enseignement qui ne leur convient peut-être pas. Un autre point important que l’on ne peut négliger tant il est crucial, autant pour les élèves que pour les enseignants, c’est l’ambiance qui règnera dans les classes. Les auteurs du Pacte ont l’honnêteté de reconnaître (page 3 de l’avis n°3) que « l’instauration du tronc commun génèrera des classes de plus en plus hétérogènes » ce qui laisse évidemment comprendre qu’elles seront de plus en plus difficiles à gérer. On ne peut s’empêcher de penser alors que si la remédiation peut effectivement faire espérer des progrès à certains élèves, pour d’autres, en revanche, on ne voit pas comment elle parviendra à contrer leur volonté de s’orienter vers des activités qui seraient plus en harmonie avec leurs aspirations profondes. Il est dès lors à craindre que l’instauration d’un tronc commun ne génère dans les classes des conditions de travail bien peu propices à l’émergence d’une quelconque « excellence » pourtant annoncée depuis deux ans avec grand fracas !

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