Hadewig De Corte, CEO de la Clinique Saint-Jean © ANTONIN WEBER

Le triomphe de la positivité: portrait d’Hadewig De Corte (Clinique Saint-Jean)

CEO de la Clinique Saint-Jean, c’est le job de sa vie. Le chemin n’en aura pas moins été ardu pour y arriver. Un parcours loin du long fleuve tranquille mais les difficultés, cette battante a toujours choisi de les transformer en opportunités.

D’ordinaire, la CEO de la Clinique Saint-Jean, à Bruxelles, galope sur des talons de 12 centimètres. Ce soir, pourtant, la quadragénaire nous reçoit chez elle « les deux pattes en l’air », à savoir les jambes posées sur un repose-pieds, ordre de son médecin qui l’a récemment opérée, après avoir déplacé plusieurs fois cette « petite intervention » pour cause de Covid. Elle rit en ajoutant que la scène est encore plus drôle si on l’observe in situ, dans son bureau. Sur le front et à l’épicentre des tragédies depuis un an, on aurait pu s’attendre à rencontrer la cheffe de l’hôpital vannée par une journée démarrée treize heures plus tôt, et qu’elle débute toujours – qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige – en se rendant à pied au boulot. « Une fois qu’on a tiré un trait sur sa dignité, ça se passe très bien », lâche-t-elle dans un large sourire en évoquant le sac à dos, l’anorak et les baskets qu’elle enfile le matin. Oui, Hadewig De Corte est une femme souriante, tellement souriante qu’elle irradie même le soir.

Sa plus grosse claque: « Quand j’étais célibataire, j’ai voulu adopter un enfant mais après avoir suivi toute la procédure et « réussi » les tests, on m’a refusé le droit de le faire. J’ai fait appel de la décision, qui a été annulée après deux ans. Entre-temps, j’avais rencontré mon mari et toute la procédure d’adoption devait être recommencée à zéro. J’ai dû faire le deuil de ne jamais être la maman d’un petit Africain. »

La situation à l’hôpital? Sous contrôle. Après avoir affronté les crises de mars et d’octobre derniers, elle et ses équipes sont prêtes pour faire face à la « troisième vague » qui menace. Néanmoins, au-delà de l’effet de surprise et des drames liés à l’arrivée ou à la résurgence de la pandémie, pour le personnel de Saint-Jean, la situation est aujourd’hui franchement différente car pour la première fois, insiste- t-elle, « nous ne nous battons pas « que » pour sauver des vies mais aussi, et ça change tout, pour tuer le virus et préparer l’avenir ». Concrètement, l’institution hospitalière a non seulement ouvert un centre de test et de vaccination mais joue également le rôle de dispatching pour la distribution des vaccins aux soignants de première ligne à Bruxelles. Hadewig De Corte l’assure: « C’est enfin le début de la fin! »

Et il est temps. Plus encore pour les soignants, ces ultrarésilients du quotidien, qui ont largement dépassé le stade de l’exténuement, poursuit-elle en rappelant ces mois noirs d’enfer où les coups durs s’enchaînaient les uns après les autres: « Chaque fois qu’on sortait un peu la tête hors de l’eau, boum, on se reprenait un coup, on n’en voyait jamais la fin ». Comment tient-on quand la tempête dure pendant près d’un an? Transparente, la CEO réplique qu’heureusement, on ne sait jamais à l’avance ce qu’on va devoir affronter. Et puis, c’est un peu marche ou crève: « On ne va pas s’asseoir pour pleurer, on se fixe un objectif et on avance tous ensemble, étape par étape, car même si c’est très dur, il y a toujours des solutions. » En tout cas, c’est comme ça qu’Hadewig De Corte aborde la vie et qu’elle a toujours pensé le monde.

Quand la vie choisit le timing

La positivité? Question d’ADN, sans doute. D’exemple familial, aussi. Chez elle, une conviction bien ancrée, qui n’a jamais été que confortée par la vie. Pourtant, avant de devenir CEO de Saint-Jean, la jeune femme aura eu son lot de tempêtes à traverser. Même si elle déclare que, « franchement » elle a toujours eu de la chance, ne fût-ce que d’avoir cette capacité de « trouver des opportunités derrière chaque problème ». Ce n’est pas le propos d’un maître zen ou d’un coeur de pierre, que du contraire, Hadewig De Corte admet qu’au préalable il faut savoir « encaisser » les mauvaises nouvelles, digérer les drames et, en ce qui la concerne, cela passe parfois par ouvrir les vannes aux larmes. Depuis son arrivée à Saint-Jean il y a trois ans, elle concède avoir pleuré à plusieurs reprises, et ce, sans jamais s’en cacher. La dernière fois, c’était en discutant avec des urgentistes qui venaient de perdre un patient (« certains pleurent, moi aussi, ce n’est pas grave et ça fait du bien, l’important c’est de ne pas rester dedans »). En matière de management d’équipe, elle relève que c’est en étant « authentique » que ça marche le mieux. Et ça, c’est « vraiment beau! »

Le triomphe de la positivité: portrait d'Hadewig De Corte (Clinique Saint-Jean)
© ANTONIN WEBER

Si une attitude positive est son credo dès qu’il s’agit d’apporter des solutions, elle ajoute qu’il faut également « faire confiance à la vie ». Mariée et mère de trois enfants aujourd’hui, elle s’était toujours rêvée à la tête d’une famille nombreuse. Sauf que, très jeune, on lui prédit qu’en raison de sa santé il lui sera « bien difficile de procréer ». Des années plus tard, célibataire au long cours, elle se lance alors dans une procédure d’adoption à Bruxelles, où la Gantoise vient de s’installer. Mais, alors qu’elle est à deux doigts d’atteindre son but, après deux ans de procédure et tous les tests « réussis », la porte se ferme net. « Une immense déception », sans doute son plus gros échec contre lequel elle décide d’inter- jeter appel. Entre-temps, Bernard – un collègue parmi les 25 000 que compte la banque où elle travaille alors et qu’elle ne situe « que de vue » – l’invite à déjeuner. Coup de foudre, six mois plus tard, la nouvelle tombe, le couple attend un enfant. « Comme quoi, tout arrive quand cela doit arriver, c’est la vie qui choisit le timing. »

Mais après deux ans, alors que le couple vient d’avoir un autre enfant, on diagnostique un retard de développement chez l’aîné, la faute à un morceau de chromosome qui s’est mal accroché au moment de la conception. Un « très gros choc » mais tellement bien digéré depuis qu’elle ne saurait en retracer les rétroactes, elle se rappelle juste que le plus dur fut de remplir les papiers pour que le handicap de son fils soit reconnu, afin qu’il puisse bénéficier plus tard d’un enseignement spécialisé. Mais c’est alors qu’elle attend son troisième enfant qu’un court-circuit se produit dans sa vie ; Hadewig De Corte perd la vue d’un oeil. La cause? Impossible à établir car il n’est pas possible de faire passer un scanner à une femme enceinte. L’angoisse durera pendant des mois, avant que ne soit pratiquée une césarienne à 37 semaines. Le lendemain, alors qu’elle tient sa fille dans ses bras, le verdict tombe: « Vous avez une grosse boule au milieu de la tête. » « Et là, je me dis: « Ma vie est finie, je ne verrai jamais mes enfants grandir. » Le premier traitement est un échec, il faut ouvrir mais le résultat ne sera pas concluant, seule une biopsie a pu être réalisée. Mais « bonne nouvelle, la tumeur est bénigne ». En revanche, ce méningiome est très mal placé, l’opération est plus que risquée et comme la jeune maman est faible, il faudra attendre six semaines pour tenter l’opération. Au total, le processus durera six mois, une période que le couple passera séparément parce que Bernard ne peut pas gérer trois enfants, dont un nouveau-né, tout en travaillant et en soignant sa femme malade. Hadewig s’installe alors avec le bébé chez ses parents, à Gand.

Une fibre sociale à exploiter

C’était la première fois que le couple séparait la famille pour s’en sortir. La seconde, ce sera durant le premier confinement ; les enfants doivent être accueillis chez des amis ou dans la famille parce que maman passe sa vie à l’hôpital pour gérer la crise de la Covid. Aujourd’hui, elle confie que c’est véritablement durant sa maladie qu’elle s’est le plus battue pour « garder confiance en la vie », surtout lors de ces six semaines d’attente avant le succès – enfin – de la dernière opération. C’est à ce moment là qu’elle a trouvé son mantra: « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. » Une citation de Voltaire qu’elle fait sienne en voulant « ne voir que le positif et toujours visualiser une issue heureuse ». Elle n’a d’ailleurs jamais traîné sur Internet pour « s’autodiagnostiquer » ou se renseigner sur les tumeurs. Au contraire, elle n’y a cherché que des informations qui lui disaient « tu vas t’en sortir ».

Son plus gros risque : « Après avoir repris et terminé des études en gestion hospitalière à la Vlerick School, je quitte mon job pour travailler dans le secteur des soins mais sans avoir trouvé de travail. J’ai passé quatre mois à angoisser, même si tout le monde me rassurait en me disant ne pas s’inquiéter pour moi. »

Professionnellement, Hadewig De Corte – économiste de formation – s’était épanouie durant quinze ans dans les cimes bancaires, avant de rejoindre la maison d’édition Kluwer, alors en pleine transformation. Des jobs « super » mais dont elle pressentait qu’ils ne seraient pas les derniers. En elle restait en effet cette fibre sociale qu’elle n’avait pas encore exploitée. C’est le méningiome qui a sonné la fin de la récré: « La vie est courte, ne laisse pas filer les années. » Alors, en parallèle de son job, elle reprend des études en gestion hospitalière, à la Vlerick Business School, avant de postuler deux ans plus tard dans des hôpitaux, tous azimuts. Une bonne vingtaine d’entretiens, pas mal de claques, souvent pour « de bonnes raisons », parfois de « moins bonnes ». « Vous encaissez, vous pleurez un bon coup et vous recommencez à postuler le lendemain ». Et c’est alors que le découragement la gagnait qu’elle apprend, via un administrateur d’une asbl où elle siège bénévolement, qu’une place se libère à Saint-Jean. Elle postule et est choisie. « Saint-Jean, c’était le match de ma vie, subitement tout mon parcours, toutes mes rencontres, mes compétences, mes expériences et même mes échecs prenaient un sens, je réalisais qu’il y avait eu une raison à tout ce que j’avais vécu avant d’en arriver ici aujourd’hui. » Au loin, on entend des gazouillis des enfants dans le hall d’entrée, il est l’heure d’aller se coucher mais avant, c’est sa petite dernière qui grimpe un étage pour se lover contre sa maman qui, les pattes toujours en l’air, la couvre de baisers.

Ses 5 dates clés

  • 1997 « Je termine mon Erasmus à Poitiers et j’envisage de poursuivre mes études à Montréal. Mais je rencontre Dominique Dupuis qui m’embauche à la Générale de Banque. Mon mentor féminin, qui a changé la direction de ma vie. »
  • 2003 « Je suis nommée directrice des paiements pour la Belgique, je suis jeune et je commets l’erreur d’avancer « toute seule et trop vite », sans vérifier que mon équipe me suit. Fortement contestée, j’ai dû me remettre en question et, heureusement, on a pu rattraper les choses. Cet épisode m’a beaucoup appris. »
  • 2015-2016 « Je travaille chez Kluwer Editions. Je reprends, en parallèle, des études en gestion hospitalière à la Vlerick Business School. »
  • 2016 « Je décide de poursuivre mon rêve, malgré le gros risque. »
  • 2018 « J’arrive comme CEO de la Clinique Saint-Jean. »

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