Peter Mertens

« Le travail, c’est du plaisir »

Peter Mertens Président du PTB

Arriver à combiner travail rémunéré et famille tient très souvent du parcours du combattant. La répartition actuelle du travail produisant plusieurs discriminations.

« Magnifique, la semaine de 30 heures ! Tellement bien que je veux faire ça immédiatement deux fois par semaine #werkenisgeenstraf #werkenisplezant » (c’est-à-dire #travailler n’est pas une punition, et #travailler, c’est du plaisir). C’est ce qu’a tweeté quelqu’un peu après le lancement de la campagne du PTB pour la semaine des 30 heures. Beaucoup de gens effectuent déjà une double semaine dont la durée approche ou dépasse même les deux fois 30 heures : une première semaine de travail rémunéré ; et une seconde pour les tâches ménagères, élever les enfants, s’occuper des autres, etc.

La combinaison entre travail professionnel et travail privé est de plus en plus difficile, et arriver à concilier les deux tient très souvent du parcours du combattant. Alors que nous vivons précisément dans une société high-tech aux possibilités encore inconnues, nous perdons la maîtrise du temps et devenons fous à force de courir pour tout.

Travailler, c’est du plaisir ?

Ce n’est pas un hasard si, partout dans le monde, c’est le mouvement féministe qui est à l’avant-garde de la lutte pour la semaine de 30 heures en tant que nouvelle norme de temps plein. En Belgique, c’est l’organisation Femma qui a mis la semaine de 30 heures à l’agenda. L’an dernier, ce mouvement de femmes qui comporte 65.000 membres et 750 groupes de base a lancé une campagne pour les 30 heures.

Ce n’est certes pas une femme qui a tweeté qu’une double semaine de 30 heures était une chose magnifique et synonyme de plaisir. L’auteur de ce tweet est Marc Coucke, l’homme derrière Omega Pharma, entreprise vendue il y a quelques mois à une société américaine pour 3,6 milliards d’euros. Cette vente a permis à Coucke de réaliser une plus-value d’1,4 milliard d’euros, somme sur laquelle il n’a pas dû payer un seul centime d’impôt. Personne ne doute que Coucke travaille dur – et qu’il gagne encore bien plus.

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Mais cet homme qui parade en tant que troisième Belge dans le classement Forbes des hommes les plus riches du monde devrait pourtant savoir que les travailleurs d’Omega Pharma – les personnes qui ont rendu son entreprise si riche – se sont décarcassés pour combiner travail et famille.

Marc Coucke néglige également un deuxième point. Alors que des centaines de milliers de gens cherchent vainement un emploi, le burn-out et le stress sont devenus les maladies du 21e siècle. A quel point le tweet de Coucke #werkenisplezant correspond-il à la réalité lorsque la pression et le stress au travail sont en continuelle augmentation ?

Les études montrent que les problèmes de santé liés au travail sont en augmentation dans quasiment tous les secteurs professionnels, et qu’un nombre croissant de problèmes sont principalement dus au stress au travail. Non, ce #werkenisplezant de Marc Coucke ne va pas de soi pour tout le monde.

« La combinaison entre travail professionnel et travail privé (éducation, tâches ménagères, soins au proches, bénévolat…) a d’urgence besoin d’une vision neuve et bien plus stimulante. Il nous faut un autre modèle de vie qui permette non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes de combiner correctement travail, soins, engagement et temps libre », écrivent Maartje De Vries et Benjamin Pestieau dans Retrouver le temps de vivre : la semaine de 30 heures, un chapitre du nouveau livre La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société. Les deux auteurs y plaident pour une semaine de 30 heures afin de rendre possible un autre modèle de vie de manière structurelle. Aujourd’hui, seules des solutions individuelles comme le crédit-temps ou des congés motivés sont envisageables. De très nombreux parents en font usage, précisément pour pouvoir mieux combiner travail rémunéré et celui qui ne l’est pas. Mais le gouvernement ferme également les portes de la réduction individuelle du temps de travail.

Vers une autre répartition du travail

« Quelle serait l’ampleur du chômage si on travaillait toujours comme dans les années 1950, avec le même régime de travail ? », interroge Tony Demonte, de la centrale syndicale des employés CNE. « Il s’agit d’une vision de société, explique-t-il. Nous ne pouvons plus nous satisfaire du constat que tout le monde doit travailler 38 heures par semaine, alors que 1,2 million de personnes travaillent à temps partiel ou n’ont pas d’emploi. » C’est là que le bât blesse. Le travail rémunéré est certes actuellement réparti. Non plus suivant le rythme de la semaine de 60 heures de 1880, de 48 heures de 1920, de 45 heures de 1960. Mais en semaines de 38 et de 40 heures, plus un éventail de travail à temps partiel, de travail flexible et de travail intérimaire.

La moitié des gens qui ont un emploi prestent plus de 40 heures de travail rémunéré ; pour un quart, c’est entre 35 et 39 heures ; et un autre quart effectue moins de 30 heures. En même temps, plus de 400.000 personnes ont… zéro heure de travail payé. Ils sont au chômage et recherchent un emploi. Aujourd’hui, ce sont surtout les femmes qui travaillent moins : près de la moitié des femmes travaillent moins de 35 heures, et 30 % travaillent moins de 30 heures.

Dans beaucoup de familles, un des deux partenaires travaille à temps partiel pour pouvoir s’occuper des enfants, et c’est très majoritairement la femme. Cette répartition du travail rémunéré comporte plusieurs discriminations : entre hommes et femmes ; entre celui qui a un emploi et celui qui est au chômage ; entre celui qui a un emploi à temps plein et celui qui a un emploi à temps partiel ; entre celui qui a un emploi fixe et celui qui passe d’un intérim à un autre. La semaine de 30 heures est la solution structurelle qui peut contribuer à mettre fin à ces discriminations.

A Göteborg, c’est la réalité

La semaine de 30 heures n’est pas seulement défendue par le mouvement de femmes Femma ou par le PTB. En Allemagne, 150 personnalités issues du monde académique, des syndicats, de la politique et du mouvement écologique ont écrit une lettre ouverte appelant à la semaine de 30 heures. Elles argumentent entre autres que cela causerait moins de burn-out, moins de stress, moins de maladies chroniques et psychosomatiques.

Il nous faut revoir d’urgence la manière dont nous répartissons et évaluons le travail rémunéré et celui qui ne l’est pas

Anna Coote, présidente du groupe de réflexion politique et social britannique New Economic Foundation, a réalisé une étude sur la réduction du temps de travail. Cette étude indique également qu’il nous faut revoir d’urgence la manière dont nous répartissons et évaluons le travail rémunéré et celui qui ne l’est pas. En Belgique, le think-tank Poliargus vient de publier un rapport sur cette question. Poliargus écrit : « Sur base d’une analyse des études existantes et de quelques simulations, nous arrivons à la conclusion qu’une semaine de travail plus courte est non seulement souhaitable, mais réalisable. »

La ville de Göteborg, en Suède, est, elle, déjà passée à la pratique. Depuis le 1er mai 2014, les fonctionnaires de la Ville prestent des semaines de travail de trente heures, pour le même salaire qu’auparavant. L’expérience a été lancée l’an passé avec deux objectifs : mettre plus de gens au travail en répartissant le travail, et créer de meilleures conditions de travail pour améliorer les services. Une évaluation officielle sera bientôt réalisée, mais les premiers résultats sont positifs. Moins de gens ont été en congé de maladie et le nombre de personnes souffrant de problèmes psychiques a diminué.

L’expérience de Göteborg réfute donc l’objection qui qualifie la semaine de 30 heures d’ « utopique ». Mais ce même qualificatif avait été seriné aux travailleurs qui se battaient pour la semaine de 40 heures…

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